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Bâtiments vacants : occuper sans squatter

Se réapproprier la ville, un immeuble vide à la fois.

Par
Camille Dauphinais-Pelletier
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Avez-vous déjà remarqué cet ancien espace à bureaux couvert de graffitis près de chez vous, cet hôpital déserté depuis l’ouverture du nouveau CHUM ou ce commerce qui a fermé pour ne jamais rouvrir? Il y aurait autour de 900 bâtiments vacants à Montréal : les chances sont bonnes que vous en croisiez un de temps en temps sur votre chemin.

Parmi ces nombreux édifices inoccupés, il y a un modeste bâtiment de briques de deux étages situé au 204 de la rue Young, dans Griffintown, près de l’ÉTS. Il abritait il y a quelques années les bureaux de la compagnie de logiciels Autodesk Canada. Il a depuis été acheté par la Ville de Montréal, qui compte le démolir pour y construire des logements sociaux en 2020. En attendant, la bâtisse reste là, vide, inutile.

C’était du moins le cas jusqu’à tout récemment, alors que le nouveau conseil municipal a approuvé qu’il soit occupé temporairement, avec le Projet Young. L’idée est de louer à prix modique les locaux du 204 à des projets d’entrepreneuriat avec des retombées sociales pertinentes, jusqu’en décembre 2019.

« Les projets soumis pourraient occuper environ 38 000 pieds carrés, alors qu’on avait juste 5000 pieds carrés de disponibles. On a eu beaucoup plus de demandes que ce qu’on pouvait accepter », mentionne Jonathan Lapalme

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Les 17 équipes qui prendront place dans l’édifice de la rue Young ne seront dévoilées qu’au début du mois prochain, mais il y a certainement de la demande : l’appel de candidatures a été assez populaire. « Les projets soumis pourraient occuper environ 38 000 pieds carrés, alors qu’on avait juste 5000 pieds carrés de disponibles. On a eu beaucoup plus de demandes que ce qu’on pouvait accepter », mentionne Jonathan Lapalme, cofondateur de l’organisme Entremise, qui gère le projet avec des partenaires. Les modiques loyers seront bien en dessous des prix du marché.

Jonathan Lapalme espère que le Projet Young fera ensuite des petits – après tout, Valérie Plante a promis en campagne électorale la création de dix incubateurs à entreprises dans des bâtiments publics vacants. « Ce sont des bâtiments publics, entretenus avec l’argent du public, mais qui ne servent pas au public », résume Jonathan Lapalme.

La nature a horreur du vide

Pourquoi a-t-on avantage à occuper ces espaces?

Eh bien, premièrement, parce que la nature a horreur du vide : si on n’y crée pas de l’activité, ces bâtiments sont plus à risque d’être vandalisés, squattés et de faire diminuer le sentiment de sécurité dans le quartier et la valeur des propriétés autour.

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Mais aussi parce que ça permet à des projets aux moyens plus modestes de voir le jour et que ça évite le gaspillage. Surtout que parfois, les immeubles ne restent pas vides juste quelques mois…

« Beaucoup de bâtiments demeurent vacants des années, voire des décennies. [L’ancien hôpital] Royal-Victoria l’est depuis deux ans, et va sûrement l’être pendant des années. […] Avec l’occupation temporaire, on est dans un paradigme de développement urbain plus agile, qui peut inclure un plus grand dynamisme, parfois à très court terme. »

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Parce qu’on doit admettre que le Royal-Vic a quand même du potentiel… (Crédit : Mark Plummer)

Et il y a évidemment un côté écologique à tout ça. Quand on sait que « le bâtiment le plus vert est celui qui existe déjà », ça n’a pas trop de sens de construire de nouveaux immeubles alors que d’autres qui pourraient convenir sont inoccupés.

Cerise sur le sundae : c’est aussi une bonne façon de préserver le patrimoine bâti.

D’autres exemples à Montréal (et ailleurs)

C’est bien beau tout ça, mais est-ce que ça se peut dans la vraie vie?

Il semble que oui : ce projet est le premier à avoir été lancé par l’administration Plante, mais on retrouve à Montréal d’autres exemples d’occupation temporaire.

Le projet Quartier Éphémère, qui s’est déroulé de 1994 à 1999 dans un ancien entrepôt de la rue Prince, à Griffintown, comprenait une salle d’exposition et des ateliers d’artistes exploités par la Ville.

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L’organisme les Amis du Champ des Possibles ont par exemple transformé une ancienne gare de triage ferroviaire en espace vert dans le Mile-End. Ça ne leur appartient pas, mais ils l’entretiennent pour le moment. La plateforme Lande favorise la réappropriation de terrains vacants dans la ville : on peut consulter sa carte interactive, et proposer un projet pour un terrain près de chez soi.

Et ce n’est pas si nouveau : le projet Quartier Éphémère, qui s’est déroulé de 1994 à 1999 dans un ancien entrepôt de la rue Prince, à Griffintown, comprenait une salle d’exposition et des ateliers d’artistes exploités par la Ville. L’accès y était gratuit. Ç’a donné naissance à la Fonderie Darling, aujourd’hui un centre d’art contemporain et de résidences d’artistes.

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Les initiatives de ce genre sont aussi nombreuses à travers le monde : on n’a qu’à penser au Hidden Door Festival, qui se déroule chaque année à Édimbourg dans des bâtiments vacants (dans une section de la ville catégorisée patrimoine mondial par l’UNESCO), aux boutiques éphémères à Londres ou encore à Camelot, un courtier immobilier communautaire qui loue temporairement des espaces dans des bâtiments vacants en Grande-Bretagne.

Et ensuite?

On peut donc espérer qu’au moins neuf autres projets du genre seront lancés par la Ville de Montréal. Difficile, toutefois, de prévoir où ce sera : il n’existe pas de catalogue clair qui répertorie les bâtiments publics vacants – ou partiellement vacants – à Montréal…

« [Chez Entremise], notre radar à bâtiments vacants est assez développé, on en a plusieurs dans notre mire, mais on ne peut pas en parler publiquement encore, avance Jonathan Lapalme. Ce serait intéressant de voir quels sont les bâtiments qui reviennent le plus dans les suggestions des gens. »

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On vous le demande, donc : quel bâtiment public vacant aimeriez-vous voir être revitalisé? Ça pourrait devenir réalité…

*

Le programme d’occupation temporaire qui inclut le Projet Young s’appelle Laboratoire transitoire. En plus d’Entremise, la Maison de l’innovation sociale, la Fondation McConnell, la Ville de Montréal et le Gouvernement du Québec y contribuent.