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Barbe-Rouge

La passion de Jack Passion est abondante et elle lui trône en plein visage.

Par
Catherine Therrien
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Ce texte est extrait du Spécial ROUX du magazine URBANIA.

L’entrepreneur dans la fin vingtaine a de quoi être fier de sa marque de commerce : son imposante barbe rousse lui aura valu deux titres de champion du monde, une série télé, plusieurs commanditaires, l’écriture d’un livre et une renommée internationale. Portrait d’un Barbe-Rouge des temps modernes.

Jack Passion (semi-nom d’artiste : Passion est bel et bien son deuxième nom) a la pilosité faciale précoce. Natif de Walnut Creek, petite ville de Californie, il a 12 ans lorsque son sillon nasal et ses joues se couvrent d’un duvet plus important qu’avant. « J’ai toujours eu du poil au visage. Ça fait partie de mon identité. » Dès 13 ans, il doit se raser quotidiennement. L’année suivante, il court-circuite sa toilette quotidienne en optant pour les favoris, qui deviendront rapidement sa marque de commerce.

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À l’université de Santa Cruz en Californie, où il étudie la philosophie et la musique électronique, il se rase le matin, au réveil, et une seconde fois à l’heure du lunch. Cette routine exigeante a tôt fait de l’épuiser. « C’était trop pour moi. J’ai compris que mon corps essayait de me dire quelque chose, et j’ai décidé de l’écouter. » Donc, début vingtaine, il s’abandonne à ce qui est, selon lui, sa destinée : il range le rasoir et se laisse pousser la barbe. Longuement.

Et plus elle pousse, plus sa barbe a de la personnalité. Ses favoris rouge foncé se dégradent en un orange clair, ce qui ne surprend personne dans sa famille. « Mon grand-père était effectivement reconnu pour ses cheveux très noirs et sa moustache… orange vif ! »

Poils Académie

Sa barbe devient rapidement légendaire sur le campus. Plusieurs de ses amis le poussent à participer aux World Beard and Moustache Championships, compétition biennale internationale célébrant les plus belles barbes et moustaches du monde entier. Les trois catégories (Moustache, Barbe partielle et Barbe complète) se déclinent en 17 sous-catégories, du petit goatie (barbichette) à la turbo-méga-grosse-thunder barbe.

C’est donc à 21 ans qu’il participe pour la première fois au Championnat, qui se tient à Berlin en 2005. Il n’oubliera jamais son premier voyage en Allemagne : il voit du pays, rencontre des personnages qu’il trouve fascinants. Couronné 3e dans sa catégorie – Full natural beard, la plus prestigieuse –, il rit de sa déconfiture. « Je ne trouvais rien de prestigieux dans le fait d’arriver, finalement, deuxième perdant. What a joke ! »

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Son désenchantement fait vite place à la gloire: il apprend qu’il est le véritable talk of the town à Berlin. Il faut dire que le podium était depuis longtemps monopolisé par une poignée de moustachus — le grand gagnant y occupait la première place depuis… 22 ans. Son arrivée parmi les grands ne se fait cependant pas sans heurts. On le vilipende, lui hurle What are you doing here, American kid !, on rit de son costume de pirate. L’hostilité ambiante à laquelle il se bute n’a toutefois pas raison de sa détermination, car c’est avec erté qu’il arbore sa longue et amboyante barbe, en se jurant qu’elle lui fera un jour remporter les plus grands honneurs.

Deux ans plus tard, en Angleterre, il remonte sur le podium, mais cette fois pour l’or. Exploit qu’il répète en 2009, à Anchorage, Alaska. Depuis, il n’est plus certain de vouloir continuer la compétition: c’est un milieu très stressant où convergent, selon lui, toutes les monstruosités des hommes à barbe. La compétition y est forte, les cliques sont puissantes. Jack ne s’y sent plus nécessairement le bienvenu. «Je me fais traiter de yuppie. Je connais mes règles de grammaire. Ils n’aiment pas que je sois articulé. »

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C’est vrai que Jack clashe parmi ses pairs, qu’il estime « obsédés par leur pilosité faciale, compétitifs, malsains.» Si ces derniers lui ressemblent, ils n’ont en commun que la barbe.

Jack se distingue par sa voix posée et sa parole agile — il manie en effet aussi bien le verbe que les ciseaux. Il se prétend électron libre dans un monde où les cliques sont bel et bien réelles: les bikers, lumberjacks et autre grizzly men du circuit compétitif l’ont invité à joindre leurs rangs, mais Jack a toujours refusé de se conformer. Et nalement, offense suprême pour les habitués des tournois internationaux où l’alcool coule à ots, Jack est sobre. Il tente de combattre les stéréotypes relatifs aux hommes à barbe et de vivre sa vie en contraste total d’avec eux.

Le bon, La barbe et Le truand

Parallèlement à la compétition, qui ne paie pas un sou, Jack Passion, entrepreneur-né, travaille sur les produits dérivés de sa barbe. T-shirt, livre et show télé se sont vite succédé. Il devient la star principale de Whisker Wars, sur IFC, une téléréalité documentaire sur l’univers des compétitions d’hommes à barbe. Encore une fois, tout n’est pas rose. «Je me suis véritablement fait beaucoup d’ennemis avec cette série. J’y endosse le rôle du méchant, et le public n’a pas compris que je souhaitais seulement m’amuser un peu, jouer un personnage, exagérer certains traits de ma personnalité et repousser les limites. »

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Mais qu’est-ce qu’une telle série, aux allures traditionnelles de gros show de téléréalité romancée, peut bien révéler de si terrible sur Jack ? Vérification faite, après quelques épisodes de Whisker Wars, il est plutôt étonnant de voir que Passion, jeune amoureux de philosophie allemande à la voix douce, ait pu s’écrier devant les caméras : « I won’t quit until I’ve dominated them and ruin their family name ! ( Je n’arrêterai que lorsque je les aurai dominés et détruit leur réputation !) »

Malgré tout, ces épreuves n’ont toujours pas eu raison de sa barbe, qu’il continue de porter avec sa superbe habituelle. Il prétend qu’il s’y est logé, au l des ans, une histoire, comme si elle faisait of ce de ligne du temps. « J’aime considérer ma barbe comme un tronc d’arbre [lorsqu’on le coupe et qu’on y observe les cercles de croissance]. Si on en regardait un des poils au micro- scope, on verrait les moments où j’allais moins bien, où je ne prenais pas soin de moi. Hair is the residu of your health », résume-t-il.

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Une empreinte visible du bien-être général ? Jack Passion n’aurait pu mieux résumer son motto : Healthy man, healthy beard, un homme sain dans une barbe saine.