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Balade sur Ontario avec Adamus

Par
Benoît Poirier
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Ce texte est extrait du #28 spécial Escrocs, maintenant dans les kiosques.

Bernard Adamus a vécu pendant une trâlée d’années dans le Centre-Sud, toujours près de la rue Ontario, la rue où ça se passe, la rue où le
monde s’essaie, la rue où t’as pas envie d’être une fille seule la nuit, la rue où tu peux rencontrer une fille pis te rendre compte (parfois trop tard) que c’est pas une fille : une rue qui fait une bonne chanson, comme Adamus le montre sur le simple Rue Ontario, paru peu de temps après son premier album, Brun.

Le temps d’une promenade entre Dorion et Saint-Christophe, il nous raconte des histoires du temps où il habitait le corridor des petits shylocks de la métropole.

Chantre affranchi des rues et des tavernes montréalaises, Adamus promène son blues-folk urbain presque sans arrêt depuis plus d’un an à travers le Québec, et un peu en France; il est occupé. Ç’a été une job de booker une entrevue avec celui qui a gagné les Francouvertes, remporté le Prix Écho de la SOCAN avec sa chanson La question à 100 piasses et récolté six prix au Festival en chanson de Petite-Vallée.

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On s’était donné rendez-vous au coin d’Ontario et de Papineau, où un pimp en pantalons Adidas m’a jadis demandé si j’étais nouveau dans le coin, parce que j’attendais, tout seul, accoté sur un mur. Bernard est facile à repérer : il est grand (comme dans très grand), il a des petits dreads blonds qui sortent sous sa casquette et il est presque toujours vêtu d’une chemise à carreaux. Comme aujourd’hui.

On se demande par où on commence la promenade. Il suggère, amusé et assuré, d’une voix pas très grave pour son gabarit : « Si on reste ici, ça sera pas long qu’il va se passer quelque chose. » L’observation en vaudrait la peine, sauf qu’il fait chaud en capitaine sur un coin de rue durant la canicule. On se prend une six de rousse au dépanneur (qui a des allées en zigzag pour prévenir le vol de boisson), pis on va à l’ombre, près des fontaines dans le nouveau parc situé entre Dorion et De Lorimier.

– J’ai eu un appart sur Wurtele pendant un an, un autre sur Champlain, deux apparts sur Iberville, un en face de l’autre; je sais pas trop pourquoi, mais à un moment donné, j’ai décidé de déménager en face. On a charrié mon stock à bras. Pis j’ai habité à côté du parc sur Cartier, mais ça, c’était il y a, quoi… douze ans? Ce parc-là, c’est nouveau. Avant, ici, il y avait des commerces qui faisaient du blanchiment d’argent et qui appartenaient aux Hell’s, mais ils ont tous été rasés un par un. Après, ç’a été un terrain vague pendant plusieurs années, avant que ça devienne un parc. C’est une bonne affaire.
– Pourquoi t’es resté dans le quartier aussi longtemps?
– Ben les apparts étaient cheaps pis on n’avait pas d’argent : on a trouvé un grand 6½ avec un balcon à l’avant et un autre à l’arrière pour 500 $ par mois. Il était super beau, super éclairé, il y avait un accès au toit. Je sais pas combien c’est rendu aujourd’hui, mais ça doit être quelque chose comme 1000 $.

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Bernard est plutôt rodé en matière de déménagement : à 3 ans, il a quitté la Pologne avec sa mère pour venir s’établir à Montréal. Je prends une gorgée de rousse et je le relance :
– Pis t’es jamais allé vivre de l’autre bord du viaduc, dans Hochelaga?
– J’y suis déjà allé pour prendre un verre ou faire un show, mais j’ai jamais habité là, non.

L’an passé, il a joué dehors sur la place Valois et a reçu des plaintes de la part d’organismes familiaux du coin, comme quoi son spectacle était trop vulgaire.
– Pourtant, c’était Alex Jones [de WD-40] qui jouait avant nous, pis on s’entend qu’il est vulgaire en… beaucoup de mots, tsé. Pas mal plus que moi en tout cas… mais les plaintes s’adressaient à moi.

De l’autre bord du viaduc, dans Hochelaga, c’est quand même loin d’être calme : mais l’aspect familial du quartier lui donne un côté plus white trash que bum. L’un des hauts lieux de ce qui se trame de croche, c’est le bar Davidson avec ses machines à pitons, ses jeunes pseudo-gangsters, ses revendeurs à sac banane et feu ses films de fesses.

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– Après le show de la place Valois, je prenais une bière au Saint-Vincent, en face; c’est à la fois une brasserie et un karaoké, explique Bernard. Vers minuit, le barman commence à fermer ses portes. On lui demande pourquoi si tôt, on lui dit qu’on n’a pas fini nos bières; ben relax, il nous explique que les Anges veulent que ça transfère de l’autre bord, sûrement parce que le vendeur a traversé lui aussi, ça fait qu’il a pas le choix de fermer.

Comme bien du monde, Bernard Adamus a déjà trempé dans la petite magouille en travaillant au noir. Rien de grave, pas pour mal faire : pendant plusieurs hivers, il descendait à New York dans le temps des fêtes pour vendre des sapins, et ce seul revenu lui permettait de subsister dans les mois qui suivaient. Mais, il y a quelques années, il s’est fait prendre aux douanes parce qu’il n’avait pas de permis de travail et s’est vu interdire l’accès aux États-Unis depuis. Sans le sou, il a passé un hiver pénible. C’est à ce moment-là qu’il a écrit sa chanson primée par la SOCAN, celle qui, incidemment, lancera sa carrière, La question à 100 piasses, dans laquelle il chante : « l’hiver va être long c’t’année, chus cassé ben raide ».

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La suite dans le #28 spécial Escrocs, en kiosques maintenant.