« Allô! Sois pas surpris, Boom sera avec Jean-Marc, car il est chez lui », me texte sur mon départ Marie, de l’agence de promo, au sujet de mon entrevue prévue dans une heure avec l’orgueil de Val-d’Or.
Le Jean-Marc en question est nul autre que Jean-Marc Couture, ex-gagnant de Star Académie cuvée 2012 et nouveau Dany Bédar de La Chicane, qui s’apprête à lancer un nouvel album (un quatrième) le 19 mai prochain.
C’est pour en jaser que je saute dans mon char en direction de Saint-Adèle, où habite Boom Desjardins.
Pour me mettre dans le boo… bain, j’ai pu écouter une couple de fois le nouvel opus intitulé Quand ça va ben, enregistré dans l’ancien monde et dont la sortie a été repoussée à cause de la pandémie.
Je me suis aussi tapé un best of de La Chicane en chemin, ce qui m’a permis de dégager les deux constats suivants :
1- Je connais toutes les estifies de chansons connues par cœur. TOUTES.
2- La toune Le Fil est vraiment meilleure que dans mes souvenirs avec sa petite vibe tzigane instrumentale (le band se donnait dans le vidéoclip dans l’temps en plus).
Après avoir croisé plusieurs (!?!) marmottes écrapouties (et même un chevreuil) sur le bord de l’autoroute, j’arrive dans un parc domanial prestigieux où s’élèvent des maisons modernes assez cossues.
Moi qui pensais naïvement rencontrer l’interprète de Calvaire dans un shack sans électricité où il aurait bûché du bois pendant que je lui pose mes questions.
Mais bon, n’oublions pas que le rockeur du terroir a aussi l’habitation dans le sang, lui qui est promoteur immobilier dans ses temps libres dans son coin de pays.
Une carrière sur la glace pendant que celle en musique redécolle comme dans les vieux jours. L’album n’est même pas officiellement sorti, mais le band promène depuis deux ans les nouvelles chansons à travers la province, chaque fois qu’un creux de vague le permet. « On a fait du rodage en masse. On a notamment fait le Festivoix devant 1000 personnes dans des clôtures au lieu des 10 000 habituels », illustre Boom Desjardins au sujet de ces enclos pandémiques installés pour maintenir une distanciation dans les festivals.
Comme l’album contenant huit titres a été enregistré en 2019 avec Dany Bédar, quelques ajustements ont été faits pour le remplacer par Jean-Marc Couture sur la pochette. Ce dernier a aussi pu ajouter son grain de sel au contenu. « L’album était prêt, mais j’ai eu la chance d’ajouter une couple de back dessus », souligne le principal intéressé, qui, à 31 ans, insuffle un vent de jeunesse au sein de la formation de vétérans quinquagénaires (Martin Bédar, batterie, Éric Lemieux, clavier/chant et Boom)
Pour souligner ses vingt ans de carrière, le groupe avait annoncé son grand retour en 2017, avant de prendre la province d’assaut avec plus de 150 représentations – dont plusieurs à guichets fermés.
La création du nouvel album s’était donc enchaînée naturellement et la sortie était au départ prévue en mai 2020. Plusieurs dates de spectacles étaient bookées, mais la pandémie est venue empêcher le groupe de « sortir ben tard juste pour voir le monde vibrer devant moé ».
« Pas le choix de repousser un album qui s’intitule : Quand ça va ben », résume sourire en coin Boom – né Daniel –, ajoutant à la blague avoir presque prophétisé le slogan pandémique « Ça va bien aller ».
.jpg)
On s’installe à la table de la grande cuisine de Boom, Jean-Marc et moi devant une Corona, Boom, un Pepsi Diète. Ils ont veillé tard, Jean-Marc a dormi ici.
Des photos de famille ornent les murs derrière. Boom a quatre enfants, l’aînée dans la vingtaine avec une autre femme, puis les trois autres (dix-huit, seize et six ans) avec sa conjointe de longue date Tania. « Mon gars de dix-huit fait ce que tous les gens de son âge font à cet âge : il dort », souligne le chanteur. Sa fille Perle suit pour sa part les traces de son père dans le milieu artistique et semble d’ailleurs avoir le vent dans les voiles.
Quant au cadet, Moïse, il permet à Boom de se consacrer plus que jamais à son rôle de père. « J’avais jamais changé une couche de ma vie », confesse-t-il avec franchise, soulignant que sa vie était un peu plus rock and roll avant.
On décortique ensemble les pièces du nouvel album. Je ne suis pas un connoisseur, mais disons que ça ressemble à de La Chicane pur jus et certains titres ont le potentiel de rester coincés dans ta tête (mais moins que le jingle de Barbies resto bar grill quand même… oups).
Boom est fier du résultat. « D’habitude, on fait trois nouvelles tounes en show, mais avec cet album, on va jusqu’à cinq », souligne l’interprète à l’éternelle queue de cheval.
Les fans s’y reconnaîtront en entendant la voix d’écorché vif de Boom s’épancher sur le deuil, la santé mentale (Un peu perdu), la vieillesse ou l’amour. La musique vivote entre des sonorités rock, country et douces, bonifiées par les harmonies du band et quelques solos décapants de Dany Bédar/Jean-Marc Couture.
« Les gens se reconnaissent beaucoup dans La Chicane, comme si notre musique traverse les générations, bonne pour les enfants comme leurs grands-parents », analyse Boom, ajoutant se sentir sur la même longueur d’onde que le public.
L’album s’ouvre avec entrain sur le titre éponyme Quand ça va ben, qui écorche un peu la société d’aujourd’hui et le vide qu’on retrouve sur les réseaux sociaux. Sur Ils partiront bientôt, on critique l’exaspération des jeunes face aux aîné.e.s, envers qui on devrait plutôt être reconnaissants. Même si la toune était écrite avant la pandémie, la crise a renforcé son sens aux yeux du chanteur. « On était rendus au point de laisser mourir ceux qu’on aime seuls, la société ne peut pas accepter ça! », peste-t-il, bien tanné qu’on casse du sucre sur le dos des baby boomers.
Après la nostalgique Je reviens en ville, le groupe explore avec T’es ben plus belle la rupture de manière lucide.
« Même si c’est dur à imaginer, t’es ben plus belle à voir sans moé », chante-t-il pendant le refrain.
L’album se boucle joliment avec Le dernier appel, en hommage à un chum décédé. « Au clair de ta lune, j’ai dû en faire mon deuil », chante Boom qui s’est inspiré de la mort soudaine de cet ami pour composer les paroles.
Après un long confinement, La Chicane est donc pressée d’en découdre avec son public. Plusieurs dates sont déjà à l’agenda des prochains mois, mais Boom prépare déjà Jean-Marc et les autres à une grosse année 2023. Toute façon, « c’est plus l’temps d’reculer, j’trouve ça ben effrayant, j’suis deux semaines (minimum) à l’affiche, j’en demandais pas autant » (oui, je me calme).
L’ex-académicien confie pour sa part être déjà sur un petit nuage par rapport à sa nouvelle job. Il revient sur ses premiers concerts. « C’est fou comment le monde connaît les tounes par cœur en show. Je m’en doutais, mais bon, si Boom prenait un break (ce qu’il ne fait jamais) tout le monde chanterait à sa place », confie le musicien, qui aime particulièrement jouer live le solo sur la nouvelle Dis-moi et – bien sûr – celui qui ouvre Calvaire (oui, vous l’avez dans la tête).
« Je trippe ben raide, j’ai toujours été chanteur et mon propre guitariste, mais c’est une première d’être lead guitariste », s’exclame fébrile Jean-Marc Couture, qui continuera aussi à mener sa barque de son côté.
Après son embauche, il dit s’être fait des ampoules à apprendre rapidement le catalogue de La Chicane pour des concerts, alors qu’il ne jouait au préalable que quelques titres acoustiques sur le bord d’un feu. « C’est mon guitar hero! », louange Boom, fier de sa recrue, qui pourrait même le remplacer sur scène s’il tombait malade.
.jpg)
Pour La Chicane, c’est surtout la chimie qui compte, ajoute Boom au sujet de la cohésion avec le nouveau guitariste. « Nous autres, on est des gars de garage. J’ai pas d’estie de méthode, on fait tout à l’oreille », avoue le chanteur, pendant que sa magnifique chienne Baileys (un Tamaskan Husky), dort au soleil sur le balcon contre la porte-patio.
Boom se pince encore d’avoir autant de fun à bientôt 51 ans, de vivre de son métier et se faire arrêter dans la rue pour se faire parler de sa musique.
Il est bien conscient de la charge nostalgique de sa musique auprès des fans et qu’il sera impossible avec le nouveau matériel de reproduire le succès d’antan. « Avant, il y avait moins de joueurs dans l’industrie et on investissait des centaines de milliers de dollars dans la promo », souligne Boom au sujet de cette époque révolue, où la musique ne se rendait pas aux oreilles des gens de la même manière.
Loin d’être amer, il dit se rabattre sur les concerts, ce qu’il préfère de toute manière. Il garde toutefois en tête d’immenses moments de carrière vécus, à commencer par un concert en première partie des Rolling Stones en 2003 à Ottawa devant plus de 500 000 personnes.
«Avant, la musique, c’était la radio. Maintenant, c’est plus difficile de sortir du lot et il y a plein de lieux de diffusion.»
Jean-Marc Couture aussi a connu une renommée stratosphérique il y a dix ans en remportant Star Académie. « C’est sûr qu’en étant vu par des millions de personnes, tu reçois une pousse. Mais ensuite, il faut travailler, surtout maintenant puisqu’il y a tellement d’artistes », nuance le chanteur à la voix grave, qui a toujours gagné sa vie avec la musique. Pendant la pandémie, il est retourné chez lui au Nouveau-Brunswick et s’est aussi trouvé momentanément un emploi dans le domaine de la domotique. Il a aussi commencé à faire de la radio pour une station du Nouveau-Brunswick, qu’il anime à distance.
Sans chier sur la musique actuelle (ce qu’il a déjà fait dans le passé plutôt maladroitement avant de s’excuser), Boom estime que le sentiment d’appartenance envers la musique québécoise est moins là aujourd’hui. « Avant, la musique, c’était la radio. Maintenant, c’est plus difficile de sortir du lot et il y a plein de lieux de diffusion. Il y a plus de diversité et je ne dis pas que la musique est moins bonne, mais pour mes enfants, la musique québécoise, c’est bof », constate le chanteur, convaincu que le talent québécois n’a rien à envier aux autres.
.jpg)
Ce qui nous amène au proverbial snobisme envers les régions, de la part des critiques et médias montréalais notamment. Boom a dû dealer avec toute sa carrière. « C’est l’histoire des bands comme nous. Il faut se battre pour se faire valoir », admet le chanteur, citant en exemple cette fois où un promoteur lui a carrément dit qu’il n’aimait pas son band et ne voulait rien savoir de le présenter dans son festival (ce qu’il a finalement fait).
Ce dédain de plusieurs envers un mouvement rock plus régional (Kaïn, Noir Silence, etc.) n’a jamais empêché Boom de dormir. Après tout, c’est toujours le public qui tranche, résume-t-il, en y allant d’une analogie sportive. « Le but est plus hot si t’as eu plein d’obstacles et reçu des mises en échec en montant au filet. »
De son côté Jean-Marc Couture croit que ce snobisme s’estompe heureusement. « Sinon, c’est comme si tu traitais mon public de colons. Mais quand t’es rassembleur, c’est sûr que tu déranges », estime-t-il.
De toute façon, La Chicane sait d’où elle vient et n’a pas l’intention de laisser tomber ses fans pour faire les yeux doux aux critiques. « Toute ma carrière s’est faite en région, souligne Boom. Je peux remplir le St-Denis, mais c’est pas tous les artistes qui peuvent réussir en région. C’est peut-être le côté bûcheron… »
L’entrevue s’achève. Jean-Marc demande la permission de vapoter, Perle débarque sur l’entrefait en nous saluant et fiston de dix-huit ans semble s’agiter au sous-sol.
« J’ai une belle vie, même si j’ai des enfants qui se lèvent tard », plaisante Boom devant le salon où une tente est érigée pour le petit Moïse, qui campe pour le fun.
Avant de partir, Boom me fait visiter un petit studio aménagé dans une annexe de sa maison. Je leur propose un petit Boom Challenge pour mousser ma popularité sur TikTok; les deux musiciens se prêtent gentiment au jeu. Boom rechigne un peu, lui qui se tient à des années-lumière des réseaux sociaux. Il remporte malgré tout mon concours improvisé du meilleur imitateur de lui.
Ne me reste qu’à leur souhaiter bon vent, après la longue pandémie.
Au moins, La Chicane est mieux placée que quiconque pour savoir qu’« après la pluie, l’beau temps, mais l’orage peut durer longtemps ».