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Balade au cœur d’un mouvement de grève historique
Il m’a suffi de franchir quelques coins de rue pour entendre les klaxons de la rébellion et rencontrer mes premiers fanions verts flottant au gré du vent.
Le mardi 21 novembre marquait le début d’une grève à l’ampleur historique, où près de 420 000 employés de la fonction publique ont décidé tous ensemble, de punch out jusqu’à jeudi. Menée par une coalition appelée le Front commun, cette mobilisation regroupe les branches syndicales de l’éducation, de la santé et des services sociaux. Après plus d’un an de négociations marquées par une atmosphère de méfiance croissante, la récente proposition de la CAQ a été mal reçue, exacerbant ainsi le bras de fer entre les travailleurs et le gouvernement.
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À l’angle de la Main et du boulevard René-Lévesque, l’entrée est barrée par deux voitures de police. Des employés administratifs, des préposés aux bénéficiaires et des auxiliaires de santé se rassemblent sur le bitume, transformant la rue en piste de danse improvisée. Des crécelles, des sifflets et des cloches à vache se fondent dans la symphonie du centre-ville. Les manifestants brandissent pancartes et cafés filtre, portant haut leurs revendications au rythme des encouragements incessants.
« Le gouvernement ne nous prend pas au sérieux. Là, on veut se faire entendre », réclame Christine Leduc, présidente du syndicat du personnel administratif du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal (CCSMTL).
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« Nos membres ont été très déçus de la dernière convention collective, poursuit-elle. Ils sont en surcharge de travail depuis des mois, des mois et des mois. Les conditions de travail sont extrêmement difficiles. Ceux qui sont ici, les employés du personnel administratif, ce sont souvent les plus bas salariés et ce n’est pas un personnel qui se soulève beaucoup. Mais là, on sent leur fatigue. L’organisation du travail doit être réévaluée, et on ne se cachera pas que les salaires doivent aussi être ajustés. »
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Je continue mon chemin dans ce labyrinthe d’acronymes à en perdre son latin. CSN, FTQ, APTS, CSQ, FIQ, FAE, SCFP.
Deuxième arrêt dans le Quartier latin, justement. Stéphane Thellen, enseignant de sociologie au Cégep du Vieux-Montréal, abonde dans le même sens : « Il s’agit vraiment d’une mobilisation qui émane de la base. J’ai l’impression que les gens se l’approprient, cette grève-là. Elle n’est pas forcée par les syndicats. Le mandat de grève est passé à 97%. On ne sait toujours pas pour la grève générale illimitée (GGI), mais les enseignants veulent en découdre. »
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Les revendications du professeur se perdent parfois dans la cacophonie de l’ambiance festive, où résonnent les paroles de Céline en karaoké. Manifestement bien orchestré, l’événement perturbateur de cette institution emblématique, rompue à ce genre d’initiatives, propose simultanément un atelier de tricot, alors qu’une partie de hockey-balle vient tout juste de se conclure. Entre les éclats de rire, des sandwichs au jambon sont distribués, contribuant à l’atmosphère plus joyeuse qu’incendiaire.
Entre deux morceaux des Colocs, Stéphane m’explique davantage la position du Front commun : « Le Front commun, c’est des centaines de conventions collectives. On a la force du nombre, mais personne ne veut faire deux mois de grève générale illimitée! », exprime-t-il, soulignant que l’avenir demeure incertain et complexe à anticiper.
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« Depuis le début des négociations, nous militons pour des meilleures conditions d’enseignement et un salaire adéquat en fonction des nouvelles réalités. Il y a une pénurie de professeurs alors qu’un nombre croissant d’étudiants pointe à l’horizon. Il faut mieux baliser notre métier, par exemple dans le cas de l’enseignement à distance. On est pas contre, mais on doit défendre la qualité de la formation. »
Les enjeux sont, sans surprise, multiples. « C’est fou. », conclut le gréviste à la barbe poivre et sel.
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En prenant un moment pour photographier le gigantesque « FRONT COMMUN TOUS UNIS ! » inscrit sur les vingt fenêtres du bâtiment, une dame tout sourire lance : « C’est mon idée! J’ai fait ça en cachette, hier soir. Mais ne vous inquiétez pas, c’est fait avec du papier recyclé! »
J’aime j’aime
Tes yeux, j’aime ton odeur
Tous tes gestes en douceur
Je quitte le party bercé par les paroles engagées d’Axelle Red.
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Ontario, Panet, Fullum, Saint-Urbain. Leur présence est inévitable. Que ce soit en petit nombre ou en immenses groupes bruyants – l’envergure de ceux-ci variant d’une institution à l’autre – l’occupation de la ville est impressionnante. Du Centre-Sud au Mile End, les conducteurs encouragent ces poches de résistance qui expriment leur ras-le-bol.
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Grosses bottes, grosses mitaines. Des centaines de groupes formés de techniciens administratifs, de magasiniers, de techniciens de bâtiment, d’agents de gestion du personnel, bravent le froid devant l’hôpital Notre-Dame, sur la rue Sherbrooke.
Trois food trucks proposent un menu varié comprenant des crêpes, des viennoiseries et de la poutine. Des patients fragiles sortent pour profiter de l’air frais, observant avec un léger étonnement toute cette effervescence autour d’eux.
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José Carufel, conseiller syndical du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), me sert la main. D’emblée, il qualifie les offres présentées par la partie patronale d’« arrogantes » et « insultantes ». Il décrit la situation comme un jeu de poker où les cartes sont gardées secrètes.
Je lui demande si convaincre les gens de participer au Front commun a été difficile : « Pas du tout! Le seul argument que nous avons eu à avancer, c’est la proposition de l’employeur! Ici, c’est à 92% en faveur de la grève. Les déclarations du gouvernement, juste par leur ton, contribuent à renforcer la mobilisation. »
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« Les conditions de travail créent une grande insatisfaction. Il faudrait au moins nous écouter. Des pistes de solutions, on en a. Après tout, c’est notre personnel qui est sur le terrain, il connaît les problématiques. Les solutions ne passent pas juste par les propositions de Sonia LeBel (la présidente du Conseil du trésor). Il y a tellement peu de mouvement à la table de négociation, que ça pourrait durer longtemps. »
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Dernier arrêt sur Mont-Royal devant le Centre de santé et des services sociaux Jeanne-Mance. Une femme qui préfère garder l’anonymat annonce que ce n’est que le début. « Ça fait du surplace depuis des mois. Le momentum va prendre du galon jeudi, où près de 600 000 employés de l’État seront en moyen de pression. Là ça va être vrai. »
Je la quitte en lui demandant avec le sourire si elle a acheté ses billets pour le match des Kings à Québec? Elle me répond sans hésitation avec un joyeux « fuck you » complice.
Si l’impasse persiste, est-ce que la grève pourrait se prolonger jusqu’aux Fêtes? Nul ne sait. Mais, mardi dernier, dans les rues de Montréal, la solidarité était palpable, authentique et investie d’une farouche détermination. Tant que les klaxons retentiront, le gouvernement de François Legault se trouvera face à des décisions délicates.