Logo

Backxwash : la renversante princesse underground

Aux origines de son nouvel album «I Lie Here Buried with My Rings and My Dresses»

Par
Benoît Lelièvre
Publicité

L’univers était-il prêt à recevoir le premier extrait du nouvel album de la rappeuse Backxwash I Lie Here Buried with My Rings and My Dresses ?

Ne vous en faites pas trop si vous êtes tombés en bas de votre chaise – dans le bon sens du terme – lorsque c’est sorti. Ça m’est arrivé aussi. Personne ne s’attendait à un retour aussi féroce, original et audacieusement personnel de la part d’une musicienne ayant remporté le prestigieux prix Polaris l’an dernier pour God Has Nothing to do With This Leave Him Out of It, un album déjà féroce, original et audacieusement personnel. Il lui avait valu également les éloges de plusieurs noms importants de l’industrie de la musique, dont le célèbre critique américain Anthony Fantano.

On a devant nous une artiste aussi excitante qu’avant-gardiste.

Publicité

Dans le paysage musical québécois, ceux et celles qui opèrent aussi clairement en marge des conventions sont plutôt rares. La fureur et l’excentricité de Backxwash en font un cas unique et chaque parution redéfinit les attentes envers son oeuvre qui, bien qu’engagée, semble à l’épreuve des barrières sociales et politiques. On a devant nous une artiste aussi excitante qu’avant-gardiste.

Comment arrive-t-on à créer une proposition aussi intense et originale? J’ai eu la chance de m’entretenir avec Ashanti Mutinta alias Backxwash au téléphone quelques jours avant le lancement de l’album I Lie Here Buried with My Rings and My Dresses pour en discuter.

Crédit: Chachi Revah
Crédit: Chachi Revah
Publicité

Notorious B.I.G & FL Studio 3

«Tout a commencé avec le R&B à l’âge de 8 ou 9 ans», me raconte Ashanti, au bout du fil. «Ma soeur m’avait dit que j’avais une belle voix, alors je chantais du Boyz II Men à pleins poumons à qui voulait bien l’entendre».

C’est le clip de Notorious B.I.G Mo Money, Mo Problems quelques années plus tard qui changera le cours de sa vie et la mènera à prendre la musique plus au sérieux. Dès l’âge de 12 ans, elle se met à rapper et à écrire ses propres chansons. À 13 ans, elle produit ses propres beats avec le logiciel FL Studio 3 que lui a dégoté son frère. «Mes premiers beats étaient techniquement corrects, mais ils n’avaient pas d’âme. À l’époque, je ne voulais pas utiliser de samples, parce que je trouvais que c’était tricher. C’est un peu ironique, parce que je trippais vraiment beaucoup sur Kanye West», me confie-t-elle, avant d’éclater de rire.

«À l’époque, je ne voulais pas utiliser de samples, parce que je trouvais que c’était tricher. C’est un peu ironique, parce que je trippais vraiment beaucoup sur Kanye West.»

Publicité

Mais le rap n’est qu’une partie de l’équation de Backxwash. Grâce à ses camarades de classe qui s’échangeaient des clés USB, elle entre en contact avec une foule de nouveaux genres musicaux. Il faut savoir qu’Ashanti vient d’un milieu où la religion était très présente et que la « musique du diable » n’était pas la bienvenue. Malgré tout, le métal, la musique industrielle, le punk rock et plusieurs autres influences feront leur chemin dans son univers et ses chansons. «J’avais un graveur de CD à la maison, donc j’étais au milieu de cette culture clandestine. Le premier groupe métal que j’ai découvert, c’est Linkin Park. Je les ADORAIS», spécifie la chanteuse.

C’est d’ailleurs comme ça qu’elle tombera sur l’horrifiante chanson de Black Sabbath, dont le sample au début de God Has Nothing to do With This Leave Him Out of It a tant fait jaser l’année dernière.

Publicité

«C’est carrément la première chanson de Black Sabbath que j’ai écoutée dans ma vie. J’étais terrifiée. J’étais jeune à l’époque et Ozzy avait tellement l’air de souffrir».

Crédit: Chachi Revah
Crédit: Chachi Revah

Le cypher

À 17 ans, elle part de Zambie pour s’établir au Canada. Tout d’abord en Colombie-Britannique, puis à Montréal. «J’ai arrêté de rapper pendant longtemps en arrivant au Canada», m’explique Ashanti, laissant planer qu’elle avait d’autres chats à fouetter dans sa vie personnelle et professionnelle. «C’est en allant à mon premier cypher* à Montréal que le feu s’est rallumé en moi. Être au milieu de cette énergie et de cette créativité, ça m’a redonné le goût. Il faut dire que j’étais pas mal saoule aussi! Ça m’a aidé à me lancer. »

«j’étais convaincue d’être suivie. Je suis sortie avec la peur au ventre en me disant que mon pire cauchemar allait bientôt se matérialiser et finalement, le gars voulait juste me demander une cigarette»

Publicité

«Mes premiers projets étaient très queer», poursuit-elle, faisant allusion à ses premières parutions F.R.E.A.K.S et Black Sailor Moon. «À l’époque, j’essayais de retomber sur mes pattes et de recommencer à rapper. Je n’avais plus la confiance de ma jeunesse. »

Retrouver cette confiance et un certain niveau de confort en public a été un défi. Lorsqu’on discute de la chanson Into the Void (un de mes morceaux favoris), elle me ramène au cypher. «C’est une chanson à propos de la paranoïa. Une fois au cypher, j’étais convaincue d’être suivie. Je suis sortie avec la peur au ventre en me disant que mon pire cauchemar allait bientôt se matérialiser et finalement, le gars voulait juste me demander une cigarette. C’est vraiment une chanson à propos de l’état d’esprit qui m’a habitée ce soir-là».

Crédit : Chachi Revah
Crédit : Chachi Revah
Publicité

Devenir Backxwash

Il s’est écoulé à peine deux ans entre la sortie du premier EP F.R.E.A.K.S et God Has Nothing to do With This Leave Him Out of It, son premier album. Entre les deux, la chanteuse s’est métamorphosée en créature chimérique dans son esthétique de scène et sur le plan sonore.

Deux ans seulement.

«J’ai eu une prise de conscience après la parution de mon EP Deviancy en 2019. C’était très politique et j’ai l’impression certains artistes maîtrise cet art beaucoup mieux que moi. Je ne voudrais pas avoir l’air de lire des tweets sur mes chansons,» explique Ashanti.

«C’est difficile d’être vulnérable sur un album de rap, mais j’ai beaucoup appris d’artistes comme Kanye West. The College Dropout m’a ouvert les yeux à propos de la vulnérabilité dans le hip-hop.»

Publicité

Ces chansons deviendront alors plus personnelles, explorant ses pensées plus sombres. Backxwash servait-elle d’alter ego permettant de s’exprimer sans contraintes? Ashanti m’assure que non. «C’était ça au début, mais plus ça va, plus c’est près de la réalité. L’identité visuelle conçue avec ma directrice de création Chachi, c’est une manifestation de mes peurs, de mes démons, de comment je me sens quand je traverse une mauvaise passe. »

Et cela s’entend aussi sur God Has Nothing to do With This Leave Him Out of It. «Si je ne fais rien de ces pensées, elles vont continuer à me hanter. C’est difficile d’être vulnérable sur un album de rap, mais j’ai beaucoup appris d’artistes comme Kanye West. The College Dropout m’a ouvert les yeux à propos de la vulnérabilité dans le hip-hop».

Avec I Lie Here Buried with My Rings and My Dresses, elle souhaitait plonger encore plus profondément à l’intérieur d’elle-même. Aborder les thèmes plus ouvertement et de manière plus frontale. Ce n’est donc pas un hasard si la chanson titre nous a happés de la sorte et que l’album est parsemé de pépites, dont la terrifiante Wail of the Banshee et l’excellente Blood on the Water produite par les géants du rap industriel américain clipping.

Publicité

Étions-nous prêts à ça? Peut-être que non. Mais ça ne fait que rendre ce nouvel album encore plus mémorable.