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Backpacker dans ma propre ville

Récit d’une virée dans une auberge de jeunesse... de Montréal.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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Le taxi me dépose devant l’immeuble en briques avec de jolis auvents rouges sur la rue Mackay, au milieu d’une forêt de gratte-ciels.

Il n’y a pas grand-chose dans mon sac à dos, mon voyage sera de courte durée. J’ai l’habitude d’écumer les auberges de jeunesse, mais c’est la première fois que je vais le faire dans ma propre ville. Et c’est dans le confort du Saintlo Montréal que je vais vivre ce baptême.

Je ne m’attends à rien en poussant la porte en pleine canicule. Le staff à la réception m’accueille avec le sourire, une chambre est réservée à mon nom*. Privée même, donc pas de dortoir bercé au son des ronflements.

L’établissement vient de reprendre ses activités en juillet, après environ dix mois de fermeture. Normal, une auberge de jeunesse sans touristes, c’est un peu comme un party de bureau sans malaise le lendemain.

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Après avoir déposé mes affaires dans la chambre 304, le directeur général, Nicolas Lemaire, et « la responsable de l’expérience », Gabrielle Caron, m’offrent un tour guidé.

S’il fallait mettre une photo à côté du mot « sympathique » dans le dictionnaire, c’est la leur que je mettrais pour remplacer celle de Jean-Marie Lapointe.

L’auberge est répartie sur trois étages, incluant un sous-sol où est aménagé un petit bar et une salle à manger.

Nicolas raconte se buter aux mêmes difficultés qu’ailleurs: trouver du staff et se croiser les doigts pour le retour de la clientèle, à l’heure où les voyages internationaux reprennent timidement. « On a beaucoup d’Ontariens, plus d’Européens depuis deux semaines et quelques Américains qui recommencent à venir », observe le patron, toutefois satisfait de son établissement de « 200 oreillers » (éparpillés dans une soixantaine de chambres) rempli à 60% à mon passage.

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Il rappelle que ses chambres privées ou dortoirs à quatre/six ou dix lits sont ouverts à tous, aux familles notamment. « Il y a encore des préjugés d’une place de hippies qui font juste le party », résume Nicolas.

Bon, c’est heureusement un peu ça, mais également une place de coworking à en juger par les locataires croisés un peu partout dans des espaces dédiés, devant leur ordinateur. En fait, plusieurs visiteurs sont des étudiants européens fraîchement débarqués qui passent quelques jours ici en attendant d’avoir accès à leur logement.

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C’est le cas d’Élie, 21 ans, qui entreprendra des études en génie mécanique à l’Université de Sherbrooke. « Je suis venu en vacances quelques jours avant le début de mon bail le 31 août. J’ai adoré mon expérience ici, il y a une super bonne connexion, mais mon niveau de bières a explosé en bas (au bar)! », plaisante le jeune homme originaire de Bordeaux, fébrile à l’idée de commencer sa nouvelle vie. « J’ai pas mal marché à Montréal, mais je n’ai pas l’habitude des grandes villes. J’ai hâte de bouger, d’aller à Sherbrooke où il y a plus de verdure », résume Élie.

Un Français de Bordeaux excité à l’idée d’aller vivre à Sherbrooke, oui ça se peut. Vous l’aurez appris ici.

Nicolas et Gabrielle me font visiter quelques chambres. La #113, designée par des ébénistes locaux, la #203, classique avec des petits rideaux qui s’abaissent pour l’intimité, la familiale spacieuse et le dortoir à dix. « Wow, vraiment beau! », que je lance bon joueur, en rêvassant à ma chambre privée avec air climatisé la-la-la-lè-re!

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Nicolas aimerait sinon s’ouvrir davantage au marché des travailleurs numériques, pour 1000$ par mois pour une chambre privée ou 600$ dans des dortoirs, en plus des rabais étudiants. « Les gens peuvent utiliser la cuisine et emprunter de la vaisselle à condition de tout ramener », souligne Nicolas, qui a rencontré sa blonde ici même. « C’était une cliente venue du Venezuela. Elle avait besoin d’aide avec une porte brisée dans sa chambre. Nous voilà huit ans et deux enfants plus tard…»

La visite est finie. C’est l’heure de la bière.

Je descends au sous-sol, où Phil est au bar. Il sert de l’alcool et de la poutine. Classique.

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« J’ai été 6-7 ans au Sea Shack (célèbre escale du réseau en Gaspésie), j’ai beaucoup voyagé avant, mais je ne pensais jamais à visiter une auberge dans ma ville », explique le gaillard, aussi musicien au sein du duo reggae Okapi.

Avec la responsable de la « vibe » Gabrielle, il anime également des soirées jockey et karaoké (sur la glace depuis la pandémie) avec les voyageurs.

Bref, on est fait pour s’entendre.

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Gabrielle organise aussi des balades pour découvrir Montréal hors des sentiers battus. Traduction: découvrir la métropole sans nécessairement faire un arrêt à la Banquise ou devant la basilique Notre-Dame . « On se promène dans le Mile End ou en vélo au bord du canal Lachine. Le but est que les voyageurs socialisent et passent un beau séjour », explique la pimpante responsable du fun, qui organise également des tournées de bars fort populaires (et arrosées). Ses bars de prédilection sont le pub Sainte-Élisabeth, l’Abreuvoir, les Foufs, le St-Sulpice, le Comedy club et le Mad Hatter plus près sur Crescent.

Évidemment, les Européens veulent visiter la damnée ville souterraine. Au-delà du mythe, paraît qu’on y croise, proche du Square Victoria, un morceau du mur de Berlin. « Les Européens sont certainement moins impressionnés par le Vieux-Montréal. Je leur recommande de découvrir la ville quartier par quartier. Verdun et Saint-Henri sont sur notre carte maintenant », explique-t-elle.

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Parmi les coups de cœur, les clients apprécient la vue du haut du Mont-Royal, les tours de vélo, le festival Mural sur le boulevard Saint-Laurent et l’architecture du Plateau-Mont-Royal (oui, avec les escaliers en colimaçon). « Je leur recommande d’aller ramasser leur poutine à la Poule mouillée et d’aller la manger au parc Lafontaine », explique Gabrielle.

La bière de microbrasserie descend dangereusement bien, l’ambiance est festive. Une bande de Français joue au pool derrière. Un jeune homme roupille dans le sofa, encore amoché de la veille justifie-t-on. Une version reggae de la chanson Les copains d’abord de Brassens joue dans la pièce, gracieuseté du DJ Phil.

Nicolas doit rentrer chez lui s’occuper de ses jeunes enfants. Maxime, un autre employé, prend sa place au bar. Il vient de terminer son quart de travail.

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Dans la cuisine, Leon, un jeune Allemand qui vit au Danemark prépare son souper. « Je fais des rigatonis avec du feta, des épinards et une sauce tomate », résume le jeune homme de 21 ans, qui amorcera dans quelques jours des études en sciences politiques à Toronto. Il profite en attendant de quelques jours à Montréal. « J’aime les gens, leur ouverture, leur mentalité. J’ai passé la journée à Verdun où c’est plus authentique comparé au Vieux-Montréal. Par contre, je comprends que le Vieux ou la Ville de Québec, ça doit être malade pour quelqu’un qui ne vient pas d’Europe », analyse-t-il en coupant des oignons sans pleurer.

Un dur à cuire le Leon.

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De retour sur mon tabouret au bar, sur une version reggae de For me formidable d’Aznavour. Léa, une amie de Gabrielle, vient la rejoindre. L’ambiance est à la fête. Les pintes descendent vite. Les miennes en tout cas.

Une fille émerge au même moment, fraîchement débarquée. Son vol Barcelone-Paris-Montréal vient d’atterrir. « J’ai passé trois heures aux douanes, le processus d’immigration était vraiment chaud! », souligne Jo, qui vient faire son barreau ici.

L’étudiante a réservé son billet d’avion la veille, dès que son visa a été approuvé. « Je ne connais personne, je n’ai pas d’appartement, au pire je vais vivre ici, j’ai un super accueil! », louange avec l’accent chantant du sud la jeune femme de 25 ans née à Carcassonne, avant de s’initier à la culture locale avec une Blanche de Chambly. « Woah elle est trop bonne, génial! », s’exclame-t-elle, avant de partir à pied seule découvrir un peu la ville. « C’est de quel côté le belvédère du mont Royal? »

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À la table voisine, Leon mange son rigatoni avec les Français. Polis, ils parlent tous en anglais pour accommoder le seul non-francophone.

Gabrielle nous fait ensuite goûter la sauce tomate qu’elle a préparée chez elle. Phil y ajoute un peu de vodka et nous la sert en shooter sur une version reggae d’Unforgiven de Metallica.

Je sors fumer une clope.

En entrant, j’aide une nouvelle cliente avec ses deux valises hyper lourdes. « Je viens étudier un an à McGill, mon appartement n’est pas encore prêt », explique-t-elle, les yeux fatigués par son long voyage et ses trois heures passées à la douane.

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Je me fuck le dos en l’aidant à monter ses bagages jusqu’à sa chambre au troisième. « Heille, on est voisins! », que je lui dis niaiseusement devant la chambre 302, qu’elle partage avec quatre personnes.

Elle me regarde avec un mélange de fatigue, de reconnaissance pour ses valises et de «Ok Boomer», avant d’aller s’échouer sur son matelas.

Je retourne en bas, où ma poutine est prête. Je la mange dans la face du Torontois Simon, qui me raconte son périple en sol québécois. « J’ai passé deux jours à Québec. Là, je prévois aller à la Ronde et marcher dans la ville. Il y a quelque chose de spécial à Montréal, la vibe », constate le jeune travailleur social de 27 ans, qui se prépare à sortir au Mad Hatter.

Qu’importe, c’est clairement ici que le party lève le plus.

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Phil nous permet de mettre tour à tour nos demandes spéciales, je choisis Suspicious minds d’Elvis en premier. Je jase un peu avec Danielle Savoie du Nouveau-Brunswick.

Elle raconte que la pandémie a été un wake up call pour elle, qui n’avait encore jamais quitté sa province à 32 ans. « J’ai vécu une rupture après 14 ans et j’ai voulu voyager », résume Danielle, qui vit sa best life en compagnie de ses amis Sadia et Anu, rencontrées ici. « On a visité le Vieux-Port, on a fait le zipline. On est sortis hier soir et on remet ça ce soir! », souligne Sadia, qui habite pour sa part à Toronto. Le dude qui cuvait son vin dans le sofa plus tôt ressuscite miraculeusement pour les accompagner.

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Les heures se succèdent sur l’horloge, aussi vite que les shooters. La faute d’un maudit jeu pour boire qui m’a fait perdre quelques compétences langagières.

C’est la Torontoise Feji qui en subira les conséquences, en affrontant un horrible franglais jusqu’à l’abandon de ma solidarité linguistique pour finir la soirée en français svp!

Une soirée parfaitement improvisée, comme celle qu’on adore en voyage, sans même changer d’indicatif régional.

*Une partie des frais de ce séjour ont été payés par Saintlo Montréal : l’établissement m’a offert gratuitement une nuitée et un tarif staff pour ma (longue) facture au bar. L’aubergiste n’a cependant rien pu faire pour mon mal de tête le lendemain.

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