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Bonjour. Mon nom est Sarah Labarre et je suis un être humain, avec un utérus à peu près fonctionnel.
Vous savez, moi, je n’aimerais pas ça, que quelqu’un – que ce soit mon amoureux, une autorité religieuse ou une institution gouvernementale – vienne m’imposer un choix qui n’est pas le mien quant à la gestion de mes fonctions reproductrices. C’est un fait : grâce aux formidables avancées du féminisme, nous avons des acquis qui protègent le libre choix face au planning familial. C’est aussi un fait que ces lois, ces droits, ont parfois de la difficulté à être correctement appliquées.
Les angles morts
Il y a comme des angles morts dans la marche du féminisme vers l’autonomie de choix. Pensons, vite de même, au gouvernement Harper. Je sais, c’est facile. C’est une réflexion de niveau débutant, mais c’est important de se rappeler de la motion 312, déposée par Stephen Woodworth, visant à mettre sur pied un comité pour réviser le statut légal du fœtus, ainsi que la tentative du conservateur pro-vie Mark Warawa de faire voter une motion pour condamner les avortements sélectifs.
L’Île du Prince-Édouard est aussi un pas pire d’angle mort. En théorie, l’avortement y est autorisé. Dans les faits, tout est mis en place pour l’empêcher : ça fait plus de 30 ans qu’il y a eu un avortement légal sur l’île. Admettons qu’une femme ait besoin de subir un avortement, elle devra obtenir une autorisation de DEUX médecins et voyager à ses frais jusqu’en Nouvelle-Écosse pour la procédure. Parce que la pression des lobbies pro-vie réussit encore à empêcher la mise en place d’une clinique d’avortement sur l’île. Parce que ces mêmes lobbies arrivent encore à intimider des médecins afin qu’ils refusent de fournir l’autorisation à leurs patientes.
C’est aussi un peu pour ça que le féminisme est encore important; selon le professeur en philosophie Christian Nadeau, dans son ouvrage Liberté Égalité Solidarité : refonder la démocratie et la justice sociale publié chez Boréal, « réparer les fautes du passé ne servirait à rien si nous ne pouvions pas bloquer dans l’avenir de nouveaux rapports de domination des hommes à l’égard des femmes ». Parce que c’en est bel et bien un, rapport de domination; il s’agit d’un exercice d’autorité afin de retirer aux femmes le plus de pouvoir de décision possible sur leur propre corps. Or, un nouveau débat concernant le planning familial fait rage : Santé Canada doit prochainement décider d’approuver ou non un médicament qui terminerait les grossesses.
Le « Mifépristone », aussi connu sous le nom de RU-486, est considéré par Santé Canada pour la mise en marché depuis décembre 2012. Or, cela prend habituellement environ neuf mois pour qu’un médicament soit approuvé ou non. L’importance de tels médicaments est vitale pour les groupes pro-choix, qui verraient là une meilleure alternative pour les femmes qui doivent parcourir de longues distances et de nombreux obstacles pour obtenir un avortement chirurgical, comme les Prince-Édouardiennes, ou encore les habitantes d’une communauté trop retirée pour être près des cliniques d’avortement. Bien sûr, les pro-vie remettent en question la sécurité du médicament, qui sera le thème de leur prochaine marche anti-avortement : « RU-4life? » scandent-ils, pour jouer sur le nom du médicament. Ça reste à suivre.
De la culture populaire et du quotidien
Les angles morts, ils ne sont pas que dans les combats législatifs et dans les masses. Les revendications féministes résonnent jusque dans les vies privées et dans l’opinion que chacun se fait de l’autonomie de droits d’une femme, largement influencée par l’opinion publique et ce qu’on appelle la culture du viol.
Voyez-vous, selon moi, le viol ne se limite pas qu’à l’agression sexuelle. Lorsqu’on traite du corps d’une femme, il s’agit de tout rapport de domination sur celui-ci, et nous faisons face à un courant de pensée, une culture, qui fait l’apologie de ce contrôle. J’ai l’air de sauter du coq à l’âne, vite de même, mais vous allez comprendre pourquoi que : avortement, culture du viol, même combat.
Deux histoires m’ont beaucoup frappée durant les derniers mois : d’abord, en Nouvelle-Écosse, à l’automne 2006, Craig Jaret Hutchinson a percé des condoms pour forcer sa conjointe à tomber enceinte; elle a rompu, obtenu un avortement, et l’homme fait dorénavant face à 18 mois de prison pour agression sexuelle. Ensuite, plus récemment, en Floride, Andrew Welden a fait prendre un médicament abortif à sa conjointe à son insu, pour l’obliger à avorter, et qui fera peut-être face à un emprisonnement à vie.
Dans un des cas, le résultat voulu est un enfant. Dans l’autre, le résultat voulu est un avortement. Dans les deux cas, il s’agit d’un homme qui a voulu forcer une femme à faire quelque chose qu’elle ne voulait pas de utérus, ce qui est considérable comme étant un viol. Et, dans les deux cas, il y en a qui se sont outrés… Contre ces femmes, ou, plutôt, contre les conséquences jugées trop sévères à l’égard des gestes commis.
Sur internet, dans les réseaux sociaux…
Dans le cas des condoms percés, on jugeait parfois que de laisser le gars était suffisant, et qu’il était exagéré de porter plainte. Comme si de forcer une femme à tomber enceinte, c’était pas si grave que ça. On blâmait même parfois la femme pour son manque de discernement dans ses relations. Ça, c’est la culture du viol à son meilleur : responsabiliser la femme pour une agression dont elle est victime et la blâmer lorsqu’elle fait des démarches judiciaires pour obtenir réparation.
Dans le cas de l’avortement forcé, la violence masculiniste a été un peu plus accentuée : non contents de blâmer la femme pour ses choix, « ils » blâmaient maintenant le féminisme pour tenter d’expliquer, voire d’excuser le geste commis. Comment?
La logique antiféministe est simple : donner à la femme le plein contrôle sur son utérus équivaut à un poids sur la liberté des hommes à accepter ou refuser la paternité d’un enfant. En gros, ce qu’ « ils » disent, c’est que si les hommes n’étaient pas obligés de pourvoir aux besoins de leurs enfants – s’ils pouvaient légalement se détacher de leurs obligations si leur partenaire refusait de se faire avorter – ou, encore, s’ils avaient un genre de « droit de vote » sur le sort du fœtus, Andrew Welden n’aurait pas eu « besoin » de faire prendre un médicament abortif à sa conjointe en lui faisant croire que c’était un antibiotique prescrit par son médecin de père.
Wô. Les ossetie de nerfs.
Lâche-nous avec ton boulet, sérieux. Ça fait des décennies qu’on se bat pour ne plus l’avoir, nous, les femmes, et laissez-moi vous dire que les chaînes s’accrochent encore pas mal fort. Partout dans le monde, des femmes se voient refuser l’accès à l’avortement, à la contraception, et aux soins de santé de base. Partout dans le monde – et encore pas loin d’ici, à l’Île du Prince-Édouard notamment, des femmes doivent utiliser les moyens du bord pour avorter, ce qui met potentiellement la vie en danger.
Et pour ce qui est de ton « droit de vote » sur la grossesse de ta partenaire, ça aurait été à toi d’y penser avant. Parce que si, en tant qu’adulte responsable, tu prends la décision d’éjaculer dans ta partenaire, tu perds pas mal le droit de décision sur ce qu’elle, en tant qu’adulte responsable, décidera de faire avec le résultat de cette éjaculation. Éjacule, mais assume.
Je milite pour la justice sociale, l’égalité et le féminisme – des synonymes à mes yeux. Ayant suivi une formation en arts visuels, je poursuis mes démarches en recherche sociologique et j’écris présentement un livre sur l’itinérance qui sera publié prochainement chez VLB.
Pour me suivre : c’est Sarah
Labarre sur Facebook et @leKiwiDelamour sur Twitter.
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