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L’insoutenable légèreté d’avoir 12 ans

Bienvenue dans le « terrible twelve ».

Par
Judith Lussier
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À 12 ans, l’adolescence pointe, mais ce n’est pas encore la crise. Ce qui ne veut pas dire que les jeunes de cet âge ne vivent pas des transformations intenses, accompagnées d’une bonne dose de confrontation.

C’est l’été où j’ai décidé d’investir toutes mes économies dans l’achat d’un poster de chaque membre du groupe Guns N’ Roses, de raser à zéro ma jolie toison dorée et d’encrasser mes jeunes poumons tout roses d’Export “A” vertes. Si l’été est la saison des festivals, celui de nos 12 ans est plus souvent qu’autrement le festival des mauvaises décisions.

On sait depuis longtemps que l’adolescence est marquée par une pauvreté de jugement, gracieuseté d’un lobe frontal sous-développé. En effet, cette partie du cerveau qui sert (entre autres choses utiles) à comprendre les conséquences de ses actions sur son confort futur est alors en construction, ce qui occasionne une panoplie de désagréments et quelques visites à l’urgence.

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Mais il y a une autre façon de voir cette période trouble. Plutôt que d’envisager le cerveau des ados comme une machine dysfonctionnelle à régler, Abigail A. Baird y voit un appareil excessivement performant, particulièrement doué pour l’apprentissage et encore ultramalléable.

Cette chercheuse en psychologie du collège Vassar, dans l’État de New York, va jusqu’à comparer l’adolescence à la petite enfance et à son fameux « terrible two », dans ses bons comme ses moins bons aspects. « Il y a plus de similarités qu’on peut le croire entre un enfant de 2 ans et un de 12 ans, explique-t-elle. Ce sont les deux moments dans la vie où le cerveau se développe le plus rapidement. » Et, dans les deux cas, « développement » rime avec « expérimentation extrême » et « conséquences à l’avenant ».

ÇA B-B-B-B-BOUGE DANS TA TÊTE

Pas besoin d’être parent pour connaître le « terrible two », cette charmante période marquée par un développement phénoménal du langage qui crée un nouveau désir d’indépendance… et beaucoup de prises de bec.

Dix ans plus tard, c’est la communication sociale et émotionnelle qui se développe. Les jeunes de 12 ans deviennent des pros des subtilités non verbales et commencent à se forger leurs propres croyances et convictions. Et, comme à deux ans, bonjour la confrontation.

« Ce sont des périodes d’essais et d’erreurs. Ces expériences leur permettent d’acquérir des compétences dans la prise de décision et, éventuellement, de devenir des adultes. » — Abigail A. Baird, chercheuse en psychologie

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C’est ce qui explique pourquoi l’ado de mon amie Valérie a jugé qu’il était tout à fait à propos de grimper sur le toit du cabanon un jour après s’être fracturé le bras parce que, dixit, les probabilités qu’il se brise l’autre bras n’étaient plus vraiment considérables. Année d’introduction aux probabilités : secondaire 1.

Évidemment, la grande différence entre le « terrible two » et le « terrible twelve », ce sont les hormones. À 12 ans, la puberté s’amorce, avec tout ce que ça comporte comme conséquences sur le désir, les pulsions et l’attirance sexuelle.

Si ces changements hormonaux sont souvent bien visibles — voire odorants —, ceux qui se passent dans la tête sont moins évidents. Mais on peut tout de même les contempler concrètement. « On peut mesurer les variations électriques et voir comment la matière grise s’amincit pour faire place à une plus grande densité de matière blanche, signe que le cerveau gagne en efficacité, explique la Dre Baird. Le cerveau ne grossit pas vraiment, mais il s’organise différemment. »

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LE MOMENT D’APPRENDRE — OU PAS

Étant donné que la partie du cerveau responsable des connaissances verbales est en plein développement, le début de l’adolescence est, à l’instar de la petite enfance, le moment idéal pour apprendre des langues. Abigail A. Baird rêve de voir les jeunes en profiter.

Malheureusement, les ados exploitent bien souvent ces super-pouvoirs pour acquérir des connaissances très pointues sur des sujets qui ne leur seront d’aucune utilité à l’âge adulte. Parce qu’à 12 ans, il est bien plus intéressant de savoir tout, tout, tout sur les youtubeurs Seb la Frite, Lysandre Nadeau et Jemcee que d’apprendre le portugais brésilien, comme le constate Jérémie Larouche, papa de deux filles de 11 et 15 ans.

Parfois, leur intérêt s’arrête sur des enjeux beaucoup plus sérieux, et les connaissances qu’ils acquièrent peuvent alors s’avérer déroutantes. « Ma fille me dépasse avec ses connaissances, s’exclame Stéphanie, mère d’une ado de 13 ans. Je ne peux plus rien dire : tout est du sexisme, du racisme ou de l’appropriation culturelle ! Je ne sais pas où elle a pris ça, et attelle-toi, parce qu’elle a des arguments ! » « C’est pas que j’en sais plus qu’elle, répond sa grande fille. C’est juste que ma génération, on est nés avec ça », dit celle qui s’informe sur les réseaux sociaux et dans La Presse+, et qui estime d’ailleurs avoir tout à fait l’âge de ne pas consentir à ce que son nom y apparaisse.

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BRILLANTS… ET STRESSÉS

Toute cette insouciance pourrait donner l’impression que l’anxiété coule sur le dos des ados comme la honte sur celui de Richard Martineau, mais il n’en est rien. Même s’ils ne sont pas toujours conscients des dangers qui les guettent — se péter la gueule en BMX ou tomber dans les griffes du Damien de Fugueuse, genre—, les ados n’en sont pas moins stressés.

«On observe que les ados sont plus réactifs au stress, puisqu’ils produisent plus de cortisol — l’hormone qui le fait naître — devant une situation stressante. »

Au contraire, les transformations qui se passent dans leur tête affectent aussi leur niveau d’anxiété. « On observe que les ados sont plus réactifs au stress, puisqu’ils produisent plus de cortisol — l’hormone qui le fait naître — devant une situation stressante », explique la chercheuse en neurosciences Sonia Lupien. « Mais on n’a aucune idée pourquoi » se désole-t-elle, soulignant le manque d’études produites au sujet de cette fascinante clientèle. Les nombreux changements qui se produisent à cet âge y sont peut-être pour quelque chose. Imaginez si, adulte, on vous forçait à changer de job, de cercle d’amis, de façon de penser… C’est tout ce qui se passe dans la vie des jeunes de 12 ans, notamment avec l’entrée au secondaire.

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Mais ce n’est pas une raison pour les couver davantage. « Surprotéger son ado est le meilleur moyen de le maintenir dans l’immaturité », insiste Abigail A. Baird.

« Les échecs jouent un grand rôle dans l’apprentissage. Un adulte qui n’a jamais fait d’erreurs ou qui n’a jamais vécu de peines d’amour, c’est catastrophique. C’est comme quelqu’un qui n’a jamais eu la varicelle. » — Abigail A. Baird

« Ce dont les jeunes ont besoin, c’est d’encadrement, poursuit-elle. Mon fils n’est pas très bon pour remettre ses travaux à temps. Mon rôle n’est pas de les faire à sa place, mais de lui rappeler comment il se sent quand il subit les conséquences de ses retards. » Il y a donc un équilibre à trouver entre laisser son ado apprendre à la dure les effets de la vodka-jus d’orange et se coucher à 4 h du matin pour finir à sa place sa maquette d’Expo-sciences. Tenez bon, les parents : il vous reste seulement six ans !