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Chez URBANIA, on est pas mal fiers quand nos collègues et collabos gagnent des prix, sortent des chansons ou mettent en scène des spectacles (coucou Ines). Mercredi, Rose-Aimée sort un livre dans lequel elle a consigné des récits qui parlent de mort, qui parlent aussi de construction de l’identité. Mais vous, chère communauté URBANIA, avez joué un rôle dans tout ça, sans même le savoir. On a donc proposé à Rose-Aimée de nous parler de son magnifique projet et de poursuivre, du même coup, la discussion avec vous. À toi de jouer, Rose!
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J’ai l’impression d’être une fraude. Les mots sortent de ma bouche sans que j’y pense. Bien entendu, ils correspondent à mes valeurs, mes convictions. Ce que je suis est vrai, sauf que je ne l’ai pas choisi. Ces réflexes qui me caractérisent, on me les a imposés. Alors, suis-je authentique? Est-ce que je m’appartiens?
Je ne crois pas. Et ça me pèse de plus en plus.
J’en ai déjà parlé ici : j’avais deux ans quand mon père s’est fait diagnostiquer un cancer incurable. Son temps était compté, il l’a employé à faire de moi la « femme rêvée ». Sauf que mon géniteur avait une vision très singulière de la fille idéale. Il m’a fait lire Sartre à un âge où je voulais regarder des films de Disney, a veillé à défaire mon égo en m’envoyant au dépanneur avec des culottes en guise de chapeau, m’a poussée toujours plus loin dans l’intensité en faisant de chaque jour le dernier. Il m’a rendu loud, égoïste, libre et cultivée.
Sur papier, c’est beau. Un conte de fée! En vrai, sa mort m’a laissée seule avec une identité qui était la sienne. Comment j’fais, maintenant, pour me trouver?
Pour répondre à cette question-là, il y a un an, j’ai entrepris de discuter avec des personnes qui ont comme moi grandi dans l’urgence, dans l’horrible attente d’un deuil imminent.
Guillaume sait depuis toujours qu’il deviendra aveugle. Une maladie lui fera inévitablement perdre un de ses sens. Pour l’instant, il attend.
Bref, ça fait maintenant quatre ans que j’écris ici. À travers les commentaires que vous m’avez laissés et les témoignages que vous m’avez offerts, j’ai appris à tendre l’oreille. À découvrir le monde qui m’entoure et celui qui m’habite par la bande. Et c’est avec cette même approche que je suis allée gratter des bobos d’enfance…
Thimalay a dû abandonner son pays. Elle a connu les camps de réfugiés, puis une jeunesse loin d’être dorée.
Marilyn a appris à faire le deuil de sa sœur. Depuis qu’elle a été brainwashée par la CIA dans le cadre des expériences montréalaises du MK Ultra, son aînée n’est plus la ce qu’elle était. En fait, elle est même convaincue de ne pas avoir de sœur.
Christelle a grandi avec le poids d’un immense secret de famille. En le découvrant, c’est son identité au grand-complet qu’elle a dû revoir.
Guillaume sait depuis toujours qu’il deviendra aveugle. Une maladie lui fera inévitablement perdre un de ses sens. Pour l’instant, il attend.
Annie a subi les violences de ses parents biologiques avant de connaître celles d’un foyer d’accueil. C’est de son enfance qu’elle doit apprendre à se départir.
Sarah et Samara, elles, ont survécu aux différentes vagues de suicides qui ont emporté leurs amis du secondaire. C’est à leur ville et leur adolescence paisible qu’elles ont dû tourner le dos.
Annie a subi les violences de ses parents biologiques avant de connaître celles d’un foyer d’accueil. C’est de son enfance qu’elle doit apprendre à se départir.
Et vous? Quels deuils vous ont formé? Parce que je suis loin de croire qu’il s’agit ici de cas isolés. À petite ou grande échelle, le cadre qui nous voit grandir influence notre identité. On peut embrasser ces caractéristiques et les faire nôtres, ou encore s’en débarasser. Mais avez-vous fait le tri?
Avez-vous pris certaines décisions conscientes, dans la conception de votre Être avec un grand E?
La réponse m’intéresse honnêtement, c’est pourquoi j’ai voulu rencontrer des personnes qui s’y sont vraiment penchées. Ce qui est pratique, c’est qu’il s’agit d’une question universelle. Ce n’est pas un enjeu nouveau : la littérature est remplie de récits initiatiques, de quêtes identitaires, et de daddy issues, mais j’ai l’intime conviction que l’urgence nous modèle d’une façon particulièrement marquée. Qu’il faut travailler encore plus dur pour se défaire d’un costume qu’on porte depuis longtemps comme une deuxième peau pour survivre, s’étourdir ou juste passer inaperçu.
La question, c’est : souhaite-t-on vraiment se défaire de notre armure? Et si oui, comment y arriver?
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Au fil de mes rencontres, une tendance s’est dessinée : pour s’approprier notre identité, il faut une cassure. Une vraie. Rien ne nous pousse à faire le ménage comme se rebeller.
Mes protagonistes, ils ont trouvé différents moyens de s’émanciper de leur passé et d’y laisser une partie d’eux-mêmes. Que ce soit en enfantant, en cherchant justice, en pleurant, en niant leur condition, en se transformant loin des yeux autoritaires ou en fuyant, ils ont trouvé une manière de cultiver une personnalité qui leur corresponde vraiment. Ou qui, du moins, leur ressemble davantage.
Ce qu’ils ont en commun, c’est un « avant » et un « après ». Un moment charnière qu’ils ont prévu ou non, puis qui leur a permis de s’affranchir. Dans chacun des cas, la chose ne s’est pas faite sans douleur, mais elle s’est réalisée. Et ça, ça donne espoir, non?
Ensemble, sans le savoir, ils m’ont invitée à défricher ce qui m’a été légué. À tasser les mauvaises herbes pour faire pousser ce qui me tente. On m’a laissé un pas pire jardin, je peux apprendre à en devenir la seule architecte.
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Faque c’est ici, la plogue : mercredi prochain, mon premier livre sera en librairie. C’est pas mal à vous que je le dois, j’espère donc qu’il saura en apaiser certains. Que le récit des personnes extraordinaires qui s’y retrouvent vous marquera autant que moi. Et j’invite ceux que l’enjeu interpelle à me laisser savoir comment faire pour devenir maître(sse) de soi. Sérieusement. Il me reste un bon bout de chemin à faire.
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Illustration par Mathilde Corbeil, tirée du livre Ton absence m’appartient publié aux Éditions Stanké.
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