“Mais je connais ça cette histoire-là!”
C’est ce que je me suis dit en entendant les premières notes de cette chanson qui émergea en plein âge d’or des guitares-claviers, flat-tops et jeans Jordache. Je ne la connaissais pas pour l’avoir entendue dans quelconque soirée thématique 80’s. Je la connaissais pour l’avoir lue et vue au cinéma!
En effet, plus j’écoutais Voyage, Voyage et plus j’avais l’impression de revoir Eat, pray, love.
Je ne dis pas que l’auteur de Eat, pray, love a copié Desireless. Mais, les ressemblances narratives sont assez impressionnantes pour les disséquer. Et pour tous ceux qui n’auraient pas lu Eat, pray, love, sachez que je m’apprête à tout raconter. Sa lecture sera donc inutile… Vous me remercierez plus tard.
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Au-dessus des vieux volcans
On devine déjà que les “vieux volcans” sont évidemment le Vésuve italien, le Narcondam indien et, vous l’avez deviné, l’Agung balinais.
Malgré les soupçons accablants, on ne sait pas encore s’il s’agit de l’œuvre jumelle de Eat, Pray, Love, une pub de Club Med ou une métaphore peu subtile indiquant où appliquer une crème anti-acné.
Glissent des ailes sous le tapis du vent
Ici c’est la première trace officielle de parenté avec Eat, pray, love. Rappelez-vous au début du récit. L’héroïne, Elizabeth, vit un mal-être et se réfugie sous son lit, le fameux “tapis du vent” puisque le matelas (le tapis) est le lieu où se couche son couple vide (le vent). Mais c’est peut-être juste que son matelas est un matelas Serta à ressorts ensachés reconnus par tous pour leur aération…
Glissées sous son matelas : les ailes du désir. Elles sont représentées par son coffre en osier rempli de bouteilles de sable, de plumes d’oiseaux, d’étoiles de mer et de toutes sortes de souvenirs qui auraient été parfaits pour décorer une salle de bain en 1996. (ou un décor de 4 et demi…)
Vous voyez! Sans avoir lu le livre ou vu le film, on connait déjà les destinations et la psychologie profonde du personnage.
Voyage Voyage
L’Annonciation primaire du départ vers l’exotisme.
Le doublon est là pour illustrer la fuite nécessaire de ses deux relations ratées.
Parce que, pour les hérétiques qui n’écouteraient pas le film quotidiennement ou qui n’auraient pas fait du livre leur bible, Elizabeth est mariée à un pâtissier/avocat/musicien/éternel cégépien et vit son rebound avec un acteur cheap/cliché qui a meublé son appartement chez Pier1 Imports. Deux situations qu’elle doit nécessairement fuir! D’où l’importance de la répétition.
Éternellement
Ici c’est un petit éditorial mettant en garde le lecteur ou le spectateur quant à l’impression de la durée que donneront la lecture du livre et le visionnement du film.
De nuages en marécages
Le décor initial est installé. On est en plein dans la vie new-yorkaise du début des années 2000. On se souvient tous quand New York se déchirait de passion pour le nuage de truffe blanche et pitahaya du restaurant Le Marécage. Subtilement, l’appel de la nourriture fait déjà son apparition.
Cela dit, c’est quand même impressionnant de voir qu’une chanson française de 1987 a prédit la tendance culinaire new-yorkaise de 2001 (et montréalaise de 2028).
De vent d´Espagne en pluie d´Équateur
Ici c’est plus subtil, mais on devine quand même la parenté.
Les pluies d’Équateur c’est simple. L’équateur c’est le milieu, le moyen. Métaphore subtile pour illustrer sa vie moyenne avant son voyage qui était dénuée de soleil de joie. De plus, c’est par un soir de pluie qu’elle décide de quitter son mari qui veut se partir une école de musique pas fiable.
Quant aux vents d’Espagne, je n’y vois que le souffle de Javier Bardem, son amoureux de Bali, lui-même Espagnol.
Parfois, ça ne sert à rien de chercher trop loin…
Voyage voyage
Cette fois, le dédoublement est plus mystérieux. Il faut se référer à l’étymologie latine du mot, viaticum, qui signifie voie. Donc, quelle voie prendra Elizabeth? Celle du statu quo ou de l’aventure qui fera d’elle un coup de cœur Renaud Bray?
L’enjeu est grand. Jusque-là, Elizabeth mène la vie d’une auteure obscure sans possession, ni obligation, ni engagement, ni stabilité. Mais, serait-elle prête à délaisser tout ça pour aller se gaver en Italie, méditer en Inde et faire l’amour en Indonésie?
Heureusement que la chanson est là pour nous rappeler c’est quoi le vrai courage face aux grands dilemmes!
Vol dans les hauteurs
Voilà! Elle a choisi le voyage et on est déjà à Rome. Les hauteurs sont bien sûr les hauteurs romaines avec ses sept collines.
Quant au vol dans ces dernières, c’est bien sûr le phénomène étrange qui s’y produit lorsqu’on marche paisiblement dans les lieux antiques, qu’on se fait subitement imposer suggérer une photo avec un légionnaire vêtu d’une armure de papier d’aluminium déchiré qui ne te laissera pas partir à moins de payer 35$ pour ce souvenir de marde incroyable!
Au d´ssus des capitales
Ça y est! On est déjà en Inde! Le plus intéressant de ce vers, c’est l’apostrophe. C’est ce qui nous fait comprendre que nous quittons Rome pour son centre de ressourcement. L’apostrophe occidentale est un lien clair avec les tippi ( ੰ), bindi ( ਂ ) et addak ( ੱ ) de la gumurki de la langue punjabi comme dans la phrase : ਸਾਨੂੰ ਪਾਰ
Comment douter du lien entre Eat, pray, love et Voyage, Voyage maintenant? Tout est dans “d’ssus”/”ਸਾਨੂੰ ਪਾਰ”. Ça ne peut pas être plus clair!
Des idées fatales
Il faut remonter dans nos souvenirs pour faire le lien avec les idées fatales d’Elizabeth. Comment peut-elle avoir de telles idées? Elle mange des pâtes en Italie et n’a pas chaud en Inde. Rappelons-nous son mariage. Resplendissante dans sa robe de la Plaza St-Hubert, elle s’apprête à danser. C’est alors que retentit Celebration et qu’elle voit son mari danser seul devant elle.
Quand ton mari sabote ta danse de mariage en se déhanchant sur du Kool & the Gang, tu as nécessairement des idées fatales. D’autant qu’elle s’est mariée à l’ère pré-YouTube. Il n’y avait donc aucune chance qu’on puisse excuser l’initiative par la viralité d’une vidéo et les commentaires comme : “Cuuuuuuuuuute!!! ? ? ? ? ? ? ? ? ?” À l’époque, c’était gênant pour vrai et fatal pour un couple.
“Les idées fatales” sont peut-être celles qu’on a quand on est obligé de lire le livre…
Regarde l´océan
L’océan, c’est évidemment l’infini. Le calme, mais le danger. Je reconnais complètement Bali qui se résume au calme des temples bouddhistes, l’infini de l’océan bleu azur et le danger de marcher dans un spot de pisse laissé sur la plage par des jeunes Américains ne maîtrisant pas l’alcool.
Mais, Elizabeth ne vit pas ça. Elle rencontre plutôt un gars qui la convaincra d’affronter ses peurs avec lui. Tout ça sera symbolisé par une randonnée sur l’océan dans une petite chaloupe vraiment pas fiable. Parce que finalement c’est ça le bonheur! Partir en bateau vers l’inconnu sur des eaux remplies de pirates indonésiens.
C’est si simple. Si beau.
Si tu n’as pas compris ça, c’est que tu n’as compris ni la chanson, ni Eat, pray, love. Ce qui veut dire que tu es probablement comme moi : une cause perdue.
Mais, il y a de l’espoir. Voyage! Voyage!
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Pour lire un autre texte de Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques : “La blague de ma vie (suite et fin)”