J’ai le refrain d’une nouvelle toune d’Avec pas d’casque dans la tête pendant que je barre mon bicycle sur la rue Sainte-Catherine.
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Vous découvrirez à votre tour l’existence de ce ver d’oreille lorsque Cardinal, le cinquième album de votre groupe de folk planant favori sortira, la semaine prochaine.
Heureux prétexte qui m’a permis de flâner avec le band qui clôturait le 29 août dernier les désormais incontournables Shows de ruelle de Montréal organisés dans la ruelle Gaboury, dans Hochelaga-Maisonneuve. Une septième édition relevée, avec des prestations de Jérôme 50, Calamine, Les Shirley et Gab Bouchard.
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Sans être un connoîsseur, je m’intéresse à la carrière du groupe de Stéphane Lafleur depuis Trois chaudières de sang en 2006, où j’avais accroché sur la pièce Dans les bras de la femme bionique. D’abord du coin de l’œil, j’avais sauté à pieds joints dans l’aventure comme tout le monde à la sortie du 3e album Astronomie en 2012, lorsque les tounes La journée qui s’en vient est flambant neuve et Intuition #1 sont venues asseoir le groupe dans notre paysage musical.
Pour ce qui est du nouvel album, je ne suis pas un critique musical très crédible (j’ai continué à écouter Pearl Jam après les trois premiers albums), mais je dirais, vite de même, qu’il devrait ravir les fans et ceux qu’il reste encore à convertir.
Je l’ai d’ailleurs écouté en boucle avant notre rencontre, parce que je suis un journaliste consciencieux et aussi parce qu’il s’écoute très bien.
Soundcheck sous le soleil
Je débarque dans la ruelle Gaboury au milieu de l’après-midi, en même temps que le band, en train de charrier son équipement sur la scène fraîchement érigée.
Quelques roadies sont déjà à pied d’œuvre, en plus d’Antoine, le sonorisateur et Simon Trottier (Timber Timbre, Philippe Brach), guitariste de renom qui accompagne le quatuor en tournée.
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Sur scène, Stéphane Lafleur ajuste son instrument en fredonnant Mâcher tes bottes, premier single du nouvel album.
Et je mâcherai tes bottes pour les détendre
Les détendre
Les détendre
L’ambiance est relaxe, le soleil brille, des enfants gazouillent dans les modules du parc Morgan.
Au bout de la ruelle, la vue des tentes sur le terrain bordant Notre-Dame ne surprend plus.
Je complimente Lafleur, le compositeur des musiques du groupe sur cette dernière livraison. « Merci, mais je ne pense pas trop en jouer ce soir », prévient-il.
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Lafleur ne bullshit pas. Sur les 18 chansons qui défileront en soirée, seulement deux sont (flambant) neuves.
Assis sur son tabouret, Joël Vaudreuil s’ajuste derrière sa batterie. Même chose pour Nicolas Moussette (basse, slide, conga) et Mathieu Charbonneau (piano, orgue, trompette).
L’ambiance est décontractée, la bonne humeur règne dans une loge improvisée dans la cour d’un duplex, où le groupe m’accueille chaleureusement après leur soundcheck.
Le chanteur sirote une Beck’s sans alcool, flanqué de Mathieu et Joël. En retrait, Nicolas – seul membre à habiter à l’extérieur de Montréal – m’explique pourquoi le groupe a mis huit ans avant d’accoucher d’un nouvel opus. « On avait tous d’autres projets. Stéphane et Joël avaient des films, des enfants se sont ajoutés, et ça, c’est sans oublier la pandémie », justifie le musicien, qui en a profité pour retaper sa maison à la campagne.
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Il faut dire que la formation n’a pas non plus la réputation de créer sous pression et les sorties espacées sont la norme depuis leurs premiers accords ensemble.
Pour Nicolas, le mot-clé, c’est « fun ». « On est là parce que c’est l’fun et facile », résume-t-il.
Y a quelque chose dans le ciel à soir
J’amorce mon entretien avec Lafleur avec une boutade, en lien avec le titre d’une de leur nouvelle pièce.
– Pis, Stéphane, est-ce qu’il faut accepter le mystère?
Parfois on croise
Des regards qui nous percent
Des gens que l’on aime
Avant même de les connaître
Il faut accepter le mystère
Il faut accepter le mystère
Au lieu de juste me trouver niochon, le compositeur me confie – un peu sur ses gardes – l’origine paranormale de cette chanson jolie et dépouillée, dont la morale est au fond peut-être juste d’accepter de se laisser surprendre.
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« Je sais pas si je devrais dire ça, mais on était à Montréal et on a vu quelque chose passer dans le ciel, à jeun en plus, en plein après-midi. C’était pas un drône. Ça brillait, ça ressemblait à une gélule dorée », raconte-t-il, devant un Mathieu qui écarquille un brin les yeux en entendant visiblement cette anecdote pour la première fois.
Stéphane Lafleur m’explique ensuite ne pas avoir la volonté d’alterner entre ses chapeaux de cinéaste (Continental, un film sans fusil, Tu dors Nicole, Viking) et de musicien.
Le cinéma est un processus long et lent, tandis que la musique est une affaire de cycle : tu composes, tu sors l’album et tu pars en tournée. « Ça dure environ un an et demi durant lequel tu fais 50-60 fois tes tounes en show. Ça devient automatique au bout d’un moment et il faut retrouver le goût de se rembarquer dans ce cycle-là », avoue avec franchise Stéphane Lafleur, pour qui le plaisir d’être réuni avec le groupe rime avec défendre de nouvelles chansons.
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Trip de gang
Mathieu Charbonneau ne chôme pas non plus entre les albums, comme compositeur pour le cinéma et la télévision (dont certains projets de Lafleur). « J’ai toujours un peu le trac, peu importe la grosseur du show, surtout en début de tournée où on n’a pas encore d’automatismes », admet le pianiste, qui se plaît déjà à jouer Mâcher tes bottes, « une chanson qui respire bien. »
L’amitié est palpable dans la cour, alors que les premiers spectateurs s’installent sur la butte gazonnée du parc Morgan. Désolé si ça suinte le cliché, mais il ne fait aucune doute qu’Avec pas d’casque, c’est d’abord un trip de gang. Lafleur confirme. « Notre premier critère d’embauche, c’est d’être smatte. Maîtriser son instrument arrive deuxième. »
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C’est lui qui compose les paroles et les mélodies des chansons, que le groupe « habille ensuite ensemble ».
Le nouvel album a été composé au fil des dernières années, sauf pour Le soleil se cherche du stationnement dans l’horizon, qui traînait dans les cartons de Lafleur depuis une décennie. « Je l’ai toujours aimée, mais elle ne fittait pas sur les autres albums. »
Je gagnerai sûrement pas de médaille
Pour ma face de gars surpris
Mais si on s’enfarge pas d’in détails
J’ai vécu la moitié de ma vie.
Le plus drôle, c’est que Stéphane Lafleur n’était pas encore à la moitié de sa vie lorsqu’il a écrit ses paroles. Celles-ci revêtent aujourd’hui un sens plus profond. « Je suis rendu là. C’est challengeant et j’aime ça. C’est important de se mouiller un peu quand quelqu’un écoute à l’autre bout », croit Lafleur, qui profite justement de cet album pour se mouiller.
Dans Flamboyons ou Sortir de la fête, le thème d’une pause, d’une trêve revient, exprimant l’envie de prendre une grande puff collective dans le bruit ambiant.
Besoin d’une pause
Trop de bruits à défaire
Trop de poignards dans le dos
Qui cherchent une cause
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Avec Rivages, on sent une sérénité dans la mélancolie, dans la fin des choses qui meurent en vieillissant.
Et je m’en veux de croire
Que tout ça durera toujours
Oui je m’en veux de croire
Que tout ça durera toujours
Lafleur s’amuse un peu de me voir chercher un sens à ses mots. Comme si ça ne me regardait pas vraiment. « C’est sûr qu’on arrive à des âges où on a perdu du monde. On apprécie ce qui est encore là, mais on ne le prend pas pour acquis », souligne-t-il néanmoins, bon joueur.
modestie sincère
Au tour de Joël de prendre une couple minutes après son soundcheck. L’après-midi achève, les spectateurs sont de plus en plus nombreux sur la pelouse du parc Morgan. La ruelle est encore déserte. La modestie du groupe, surpris de voir autant de monde, est sincère, lui qui n’a jamais joué ici.
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J’ai beau leur dire que ça va être plein jusqu’à la rue Sainte-Catherine, ceux-ci en doutent. « Ouin, pas surprise », laisse toutefois tomber Justine de leur maison de disque, qui habite tout près.
En plus de la musique, le batteur ajoute une corde à son arc avec son premier long métrage d’animation, Adam change lentement, qui reçoit en ce moment un accueil fort chaleureux tant de la critique que du public.
Le film, qui explore l’inconfort de l’adolescence, fait la tournée des festivals et suscite beaucoup d’enthousiasme. En plus de Nicolas et Mathieu qui ont collaboré à ce succès, plusieurs comédiens ont aussi prêté leur voix, notamment Fabien Cloutier, Sophie Cadieux et Gaston Lepage. « C’est pas un film sur le bullying, mais plutôt sur comment apprendre à vivre avec le fait que les trucs ne fonctionnent pas toujours comme on pense », décrit Joël, emballé par ce projet.
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En plus de l’album qu’il considère comme une suite logique à leur parcours, Joël considère traverser une belle période, « comme si cette bibitte continuait à fleurir ».
Il dit apprécier particulièrement le côté pulsatif du drum et certains plaisirs subtils propres à cet album. « Je vois de la tension dans la retenue, au lieu de piocher pour exprimer l’émotion », illustre-t-il, pendant que j’opine en faisant semblant de comprendre.
Le public et la relève
De la ruelle, j’entends Simon jouer les premières notes de Jeremy de Pearl Jam, ce que je considère être le moment fort de la journée.
C’est bientôt l’heure du concert. Un photographe du Devoir vient immortaliser le groupe devant un vieux cabanon dans la cour.
Le temps d’une séance et voilà que la ruelle déborde de monde.
Comme il fallait s’y attendre, c’est plein partout et une mer de monde recouvre le gazon du parc Morgan, dont beaucoup de familles. C’est beau à voir.
« On arrive à un moment où on voit les enfants des gens qui nous suivent », confirme Stéphane.
On sent l’excitation grimper d’un cran dans la loge improvisée.
Selon l’estimation d’un promoteur croisé sur place, c’est la plus grosse foule de cette édition.
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Stéphane ne tarit pas d’éloges envers ce public, que le groupe a construit lentement, loin des grosses salles, des plateaux de télévision et des publics « feu de paille ». Une intégrité qui plaît certainement aux fans, convaincus que le groupe sert d’abord la musique. « J’ai toujours évité les shows où on nous demande d’aller convaincre le public, j’ai pas cette personnalité », laisse tomber Lafleur.
Je laisse le band tranquille pendant quelques minutes. Les gars jasent un peu avant de grimper sur scène sous les acclamations nourries de la foule.
« Quand on nous a proposé ce show, en février, ça prenait de l’imagination, mais vous êtes vraiment magnifiques et c’est vraiment une journée parfaite », lance d’emblée le chanteur qui n’est habituellement pas un jaseux sur scène.
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Rien pour empêcher Avec pas d’casque de conquérir la foule avec une synthèse formidable de son catalogue. Talent, Loup-Garou, Derviches tourneurs, Dommage que tu sois pris, Nos corps, J’embrasse mieux que je parle, etc.
Pendant La journée qui s’en vient, mon regard tombe sur deux enfants juchés sur la clôture au premier rang en train de chanter le refrain.
Je promets, je promets que
La journée qui s’en vient est flambant neuve.
Pour des artistes, le bonheur doit ressembler à quelque chose comme ça.