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Audrey Leduc : nouvelle reine de la vitesse pure

Au-delà des records, la fondue au chocolat.

Par
Jean Bourbeau
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« La semaine dernière, alors que je magasinais à la pépinière, j’ai entendu un client demander le prix d’une plante, puis plaisanter avec l’employée en disant : “Si je pars en courant, qu’est-ce tu vas faire?” La commis a répondu : “On court vite, icitte!” J’ai retenu l’envie de dire que j’avais le record canadien et qu’il n’irait pas ben ben loin. Mais c’est pas trop mon genre de me mettre de l’avant. »

Sous une chaleur caniculaire, je foule le tarmac du Centre national d’athlétisme à Montréal. D’un côté, un groupe de retraités s’échauffe, tandis que de l’autre, les sprinteurs de l’élite enchaînent les intervalles à pleine puissance. Deux univers à deux vitesses. Parmi eux, Audrey Leduc, 25 ans, la nouvelle coqueluche du sprint au pays.

30 mars 2024. 11,08 s : nouveau record québécois du 100 mètres.

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Lors de sa première course de la saison en Floride, Audrey pulvérise le record québécois en soustrayant 5 centièmes au chrono établi par Julie Rocheleau en 1988.

20 avril 2024. 10,96 s : nouveau record canadien du 100 mètres.

Moins d’un mois plus tard, le record de 10,98 secondes réalisé par Angela Bailey en 1987 est également éclipsé.

La dictature des années 80 tombe enfin.

Un succès qui ne tombe pas du ciel. La sprinteuse originaire de Gatineau a laissé sa marque partout où elle a attaché ses crampons. De championne junior canadienne à athlète féminine de l’année en athlétisme sur le circuit universitaire, l’ancienne du Rouge et Or de l’Université Laval s’impose d’un océan à l’autre depuis déjà une décennie, multipliant les distinctions. Son ascension sur la scène internationale semble toutefois parfaitement synchronisée avec l’approche des Jeux olympiques de Paris.

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« On a atteint le niveau mondial, et ce, sans complexe, explique son entraîneur depuis cinq ans, Fabrice Akué. C’est super excitant de voir sa progression! On récolte en quelque sorte le travail qui a été fait sur un diamant à l’état brut. Son succès, c’est une vision devenue réalité. »

Après une séance de plus de deux heures, où elle et sa petite équipe s’entraînent dans la bonne humeur, Audrey prend le temps de s’asseoir avec moi pour manger son lunch avant son massage de l’après-midi.

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« Je me couche le soir et c’est la même personne qu’avant le 10,96, admet-elle d’emblée. Le déclic ne s’est pas encore fait. Ce qui n’est pas une vilaine chose parce que prendre quoi que ce soit pour acquis est la pire affaire en sport. »

Audrey reconnaît que l’attention médiatique qu’elle reçoit depuis ses marques est une belle reconnaissance et une opportunité privilégiée pour faire rayonner sa discipline. « C’est bon pour l’athlétisme, on a un beau bassin de talents au Québec. Mais faire les nouvelles, passer à LCN ou être interviewée par Radio-Canada, ça, je ne m’y attendais pas! »

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Bien qu’Audrey participe également au 200 mètres, le 100 mètres, l’épreuve reine de l’athlétisme, reste sa spécialité.

« C’est le moment le plus prestigieux des Jeux, car c’est la distance la plus courte et donc la plus accessible. La vitesse pure offre un bon spectacle. Il s’agit toujours de déterminer qui est le plus rapide au monde », dit-elle en croquant une bébé carotte.

Ça, c’est sans oublier qu’en avril dernier, Audrey a grandement contribué à qualifier le Canada pour le relais féminin 4x100m aux Jeux olympiques, un exploit réalisé aux côtés de Sade McCreath, Marie-Éloïse Leclair et Crystal Emmanuel-Ahye.

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« Nous avons bâti une belle chimie depuis 2020. Un bon mélange de jeunesse et d’expérience. Ça aussi, c’est une belle occasion de braquer l’attention sur l’athlétisme féminin. »

À ce sujet, elle ne cache pas sa fierté, car c’est habituellement l’équipe masculine du relais qui attire l’attention. « On s’entend que les sprinteurs gars, ils sont cocky. Mais moi, j’ai juste envie de leur dire : tassez-vous d’là! Habituez-vous, le sprint féminin, on est là pour rester. »

Curieux, je lui demande quelle est la réputation des sprinteurs dans l’écosystème de l’athlétisme.

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« Les sprinteurs ont souvent des personnalités fortes, et il persiste de vieux clichés qui nous décrivent comme paresseux ou têtus. Mais Fabrice nous demande d’être rigoureux, sauf que parfois, ben nous restons… des sprinteurs », dit-elle avec un sourire en coin.

Fabrice Akué n’a pourtant que des éloges envers son athlète la plus prometteuse.

« Les sprinteurs ont tous leur tempérament, mais Audrey se démarque par sa belle personnalité et sa grande capacité à appliquer l’information. Les ajustements qu’elle fait d’une année à l’autre restent constants, et c’est ce qui explique sa progression. »

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À l’approche du plus grand défi de sa carrière, elle confie ne pas ressentir une pression trop forte, ni de la part des autres ni d’elle-même. « Si tu te prépares bien, ça te met en confiance et ça te donne envie de compétitionner. Avant, courir me stressait, je n’avais pas vraiment hâte. Mais maintenant, je suis impatiente de me retrouver sur la piste pour découvrir ce dont je suis capable. Chaque course devient une opportunité de voir où j’en suis dans mon développement. »

Elle me confie qu’avant le départ, peu importe le jeu auquel ses adversaires veulent jouer, elle demeure concentrée. « Je ne vais pas te serrer la main. Une fois mes pieds sur les blocs, je me parle à moi-même. Pendant la course, parfois je n’entends rien, parfois j’entends clairement mes coachs ou les commentateurs. »

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Du fait de sa silhouette élancée, sa force réside davantage dans la seconde moitié de la course que dans le départ. « Je n’ai pas l’explosivité des grosses cuisses, mais mon élasticité m’aide à avoir un meilleur top speed. Tu peux gagner le premier 10, 20, 40 mètres, même, je m’en fous. Moi, c’est le 100m que je veux gagner. »

Un couloir préféré, des superstitions?

« Quand j’étais plus jeune, oui, mais maintenant je me dis : l’élastique à cheveux, la camisole, est-ce que ça va vraiment changer quelque chose? Je suis de nature, disons, plus rationnelle », remarque l’étudiante à la maîtrise en administration des affaires.

Elle souligne essayer d’avoir son plat de pâtes la veille, mais ne s’inquiète pas si ça ne peut arriver. « Cet hiver, j’ai mangé une fondue au chocolat et j’ai bien couru le lendemain. À quel point est-ce vraiment une bonne chose d’essayer de tout contrôler? »

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J’aborde délicatement le sujet du dopage, cet inévitable nuage noir qui plane au-dessus de l’athlétisme.

« Si quelqu’un choisit de se doper, c’est sa santé, sa carrière et sa conscience qu’il met en jeu. Il se peut qu’il y en ait, mais il existe un système en place. D’ailleurs, ils sont venus chez nous, lundi dernier. Un jour férié, à 20h30. Mon chum a ouvert la porte et leur a demandé s’ils avaient besoin d’une signature, croyant que c’était pour une livraison. Ils ont répondu que non, qu’ils étaient le CCES : le Centre canadien pour l’éthique dans le sport. Bref, ils peuvent venir autant de fois qu’ils veulent. »

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Avec cinq entraînements par semaine et un calendrier chargé en compétitions, je lui demande si elle arrive parfois à décrocher.

Sans hésiter, Audrey sort son téléphone et fait défiler sa collection de sous-verres qu’elle fabrique elle-même. « Eille! Ris pas, ils sont beaux mes coasters », lance-t-elle en me montrant tout sourire les tuiles de céramique colorées qu’elle offre à ses proches.

D’ici le grand rendez-vous parisien, plusieurs courses attendent l’artisane de vitesse : Atlanta, New York, Edmonton et Montréal.

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À moins d’un imprévu majeur, son aventure olympique s’annonce des plus excitantes. Et qui sait, peut-être reviendra-t-elle avec une médaille autour du cou en plus d’un tatouage des célèbres anneaux?

Alors que nous nous dirigeons vers la sortie du centre sportif, elle me demande par curiosité quand l’article sera publié. Je lui réponds que ce sera avant les Jeux, au moment opportun. Elle me dit à la blague qu’elle fera de son mieux pour gagner une course d’ici là afin de donner un élan à ma parution.

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Il n’en fallait pas plus pour que, quelques jours plus tard, Audrey brise le record canadien au 200 mètres.