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Au tribunal des clowns

Wajdi l’aurait absout, lui, Guy Turcotte.

Par
Judith Lussier
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Hier, deux choses sont arrivées : Guy Turcotte a été déclaré non criminellement responsable du meurtre de ses deux enfants, et moi, je me suis enflammée contre Wajdi Mouawad à cause de cette entrevue rapportée par Patrick Lagacé dans La Presse.

Ça dit notamment que selon Wajdi, «les Québécois sont des émotifs qui non seulement parlent mal, mais qui méprisent les idées au profit des émotions». Comme toute bonne Québécoise émotive, j’ai parlé à voix haute à la lecture de cet article. «Ça s’peut-tu», «maudit condescendant», «j’ai jamais dit ça à mon gars du dépanneur, moi», etc. J’ai jugé tout haut. Pourtant, je n’ai pas entendu l’entrevue dont il est question. Et bien que j’aie Pat Lagacé en haute estime, impossible pour moi de poser un jugement éclairé sur Wajdi Mouawad sur la base de cette simple relation des faits.

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Ça prend du culot, pour juger un homme. Du culot, ou énormément d’information.

Moi, Wajdi, je le connais très peu. Je ne sais pas s’il est sympa en privé. C’est sûr que sa fille l’aime et que quelques uns de ses anciens camarades de l’École nationale de théâtre le détestent même s’ils ne le disent pas en public de peur de ne pas jouer dans ses pièces parce que quand même, faut-il le reconnaître, il a de la graine de génie, ce Wajdi.

Même chose pour Guy Turcotte. On croit tout savoir sur sa vie, mais en fait, on en sait bien peu. On sait ce que nous relatent les journalistes judiciaires, et bien que j’aie confiance en ces derniers, impossible pour moi de poser un jugement éclairé sur Guy Turcotte. Vous trouvez peut-être que ce procès a été médiatisé à outrance, mais si vous saviez les détails qu’ils nous épargnent, et je vous épargne ce que je sais à mon tour, vous comprendriez peut-être la portée de notre ignorance dans ce procès.

En fait, la décision du jury au procès de Guy Turcotte m’a rassurée quant à la justice au Québec. Elle m’a même réconciliée avec la notion de jury.

Je trouve rarement qu’il est une bonne idée de remettre d’importantes décisions entre les mains d’humains lambda. Tout en suivant le procès Turcotte du coin de l’œil, je me demandais comment pouvait-on demander à douze personnes avec zéro bagage judiciaire de décider du sort d’un homme qui a tué ses deux enfants. L’enjeu est si complexe, et l’humain si peu fiable devant ses émotions.

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Devant un pareil drame, deux réactions sont possibles : soit on tilte, on réagit au premier degré, ce qui ne donne jamais grand chose de bon, soit on prend le temps d’analyser les choses, comme le ferait Wajdi, évidemment : c’est un intellectuel. Nous devons donner ça à Wajdi, la première réaction est plus fréquente que la deuxième. Je ne sais pas si c’est plus vrai au Québec qu’ailleurs. Difficile de juger.

Reste que l’incongruité apparente du jugement témoigne du décalage entre notre perception de citoyens informés par les médias et celle de gens qui ont suivi le procès d’heure en heure depuis des semaines. La décision facile, celle du premier degré de l’émotion, basée sur la réaction primaire, celle que beaucoup ont eu hier, eût été de condamner l’homme. Tout simplement. Pour moi, le jugement qui a été rendu hier est la preuve qu’on peut confier d’importantes décisions judiciaires à de simples citoyens, et que ceux-ci prendront leur rôle assez au sérieux pour soupeser les faits, en dépit de leur émotion personnelle, telle que la consigne au jury le demande.

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Hier, la palme de la sagesse est allée à ceux qui savent un peu mieux que nous de quoi il en retourne: la directrice des services de l’Institut Douglas, mon amie Delf Berg, les avocats criminalistes, Isabelle Richer. Même Claude Poirier était d’accord pour dire que les membres du jury étaient les mieux placés pour juger l’affaire Turcotte. Plus tôt durant les délibérations, le chroniqueur judiciaire a précisé: «Ils ont fumé, ils ont commandé du poulet, ils prennent leur rôle à cœur».

Soupeser les faits, j’ai bien l’impression que c’est ce que notre ami Wajdi aurait fait. Il en serait probablement venu à la même conclusion que les membres du jury. Mais je n’en suis pas certaine. Je n’étais pas là et je ne le connais pas.

Pat Lagacé m’a promis qu’il diffuserait aujourd’hui l’entrevue qu’il a fait venir de France sur son blogue.

Et pour ceux qui tiltent encore, lisez ceci et ceci, ça vous calmera peut-être.

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