Connaissez-vous le triangle des Bermudes? Non, non, je ne parle pas de cette mystérieuse zone où les avions, les bateaux et leurs cargaisons disparaissent comme par magie.
Je vous parle du VRAI triangle des Bermudes : là où l’ambition se transforme en art concret. C ’est là que des dizaines, que dis-je, des centaines de projets musicaux d’ici sont nés : le Quai des Brumes, la Rockette et l’Escogriffe. La Sainte Trinité des bars montréalais où ton artiste préféré ou l’artiste préféré de ton artiste préféré a très probablement joué à un moment ou un autre de sa carrière.
Et pour sa soirée d’ouverture, c’est dans ces endroits mythiques que le festival Coup de cœur francophone – qui souligne cette année ses 39 ans –, a présenté trois des plus beaux projets québécois qui roulent en ce moment. Voici mon incursion dans cette soirée inoubliable.
.jpg)
Bibi Club en ébullition
J’arrive au Quai des brumes 10 minutes avant le début du show. Malgré mon manteau, je gèle, mais à peine ai-je le temps de me lamenter que Bibi Club débarque sur scène : Nicolas Basque empoigne sa guitare, Adèle Trottier-Rivard, son micro, et nous voilà partis à l’aventure.
Comment décrire Bibi Club? Disons que c’est pas très grand public, mais pour les mélomanes avertis, c’est une véritable oasis sonore.
Les textures se superposent, l’électro se marie à l’électrique dans une new wave qui embrasse l’indie et la pop.
Trottier-Rivard et Basque sont partout et nulle part à la fois et sonnent, à eux deux, comme une armée sur scène. Ça joue du carillon, de la cymbale. En bon québécois, ce sont deux patenteux. Le Quai est attentif : aucun son n’émane de nulle part entre les chansons, outre les applaudissements.
Bibi Club présente du matériel de son premier album Feu de garde (d’ailleurs en lice pour un prix Polaris), des chansons qui paraîtront sur son prochain long jeu, Amaro, en plus de présenter des reprises : J’arrive à la ville de Lhasa de Sela, et Orgiastic de Stereolab.
Sur cette dernière, Nicolas Basque descend sur le parterre pour livrer son meilleur solo à la guitare, avec une pointe de virtuosité baroque. C’est le genre de solo qui donne envie aux non-musiciens de commencer la guitare, et aux musiciens de raccrocher la leur, découragés.
Bibi Club entretient son lot d’amateurs en France, en Allemagne, et même en Amérique du Sud! À la manière de Godspeed You! Black Emperor, sans être mégaconnus nulle part, ils sont un peu connus partout. Et ça, ça vaut de l’or.
.jpg)
La gen Z en chœur
Je quitte le Quai vers 21h en direction de la Rockette, juste à temps pour le passage de Rau_Ze. Adressons tout de suite l’éléphant dans la pièce : la Rockette est une horrible salle où donner un show. Au parterre, on ne voit rien : je ne saurais même pas dire combien de musiciens jouent ce soir. Il y a Rose Perron, Félix Paul… après ça, aucune idée.
Si la Rockette est un bel endroit où savourer une pinte, pour un spectacle, c’est de loin le maillon faible du triangle des Bermudes.
« Mon petit doigt me dit qu’il y a un band qui joue ce soir », suppose une voix derrière moi. Vraiment? Restons malgré tout positif : je ne vois rien, mais je suis juste à côté du bar. J’arrive facilement à me commander une IPA. OK, pas juste une, je l’avoue. Deux IPA. Mais c’est tout! Pour ce show-là, en tout cas.
Rau_Ze n’a pour l’instant qu’un seul album à son actif, et le duo le présente presque en intégrité au public, en plus d’une jolie reprise de Femme de rêve de Claude Dubois.
Autour de moi, tout le monde chante les paroles à la quasi-perfection. Je suis entouré par une jeune génération montréalaise qui donne énormément d’amour à ces musiciens un brin inexpérimentés, mais diablement talentueux. Même pour un non-Québécois comme moi, ça me touche de voir cet appui immense pour des artistes locaux. Rau_Ze a tout pour devenir le prochain phénomène pop au Québec et selon moi, c’est le meilleur projet musical présenté ce soir.
.jpg)
L’art de bien jouer
Il est 22h, le moment est venu d’affronter l’Escogriffe où Bon Enfant prend la scène d’assaut.
Le quintette commence avec Demande spéciale, aussi le titre de son dernier album, qui a gagné, la veille, le prix du meilleur album rock de l’année à l’ADISQ.
Franchement, je n’ai pas grand-chose à redire : c’est tight, bien rodé.
Un grand esprit m’éclaire : « C’est comme un mélange entre Choses Sauvages pis Les Trois Accords. Drette dans le milieu! » Drôle de comparaison, mais pourquoi pas.
Bon Enfant roule sa bosse depuis plus de six ans, et ça s’entend. Je commande une troisième pinte et me laisse bercer par les chansons. Le groupe n’interagit pas beaucoup avec le public, préférant laisser la musique parler d’elle-même. Et c’est bien assez.
Daphné Brissette, chanteuse de Bon Enfant, annonce que son groupe a donné son premier show à l’Esco, en première partie de Jonathan Personne, et qu’à l’époque, ils n’étaient pas très bons. Mais ce soir, ils visent la perfection. Ils piochent dans Demande spéciale, Diorama et même leur premier album. C’est psych, un peu prog, c’est funk et folk à la fois, c’est… rock, tout simplement. Et Dieu sait qu’on a tous besoin d’un peu de rock dans nos vies.
Je quitte le triangle des Bermudes vers 23h30, les oreilles ravies.
Irréductibles de Daniel Bélanger et des Cowboys, dormez tranquille sur les vôtres : la musique québécoise se porte encore merveilleusement bien. J’ai un vinyle à la main, juste assez d’alcool dans le sang et Ciel bleu qui me roule encore dans la tête.

.jpg)
Identifiez-vous! (c’est gratuit)
Soyez le premier à commenter!