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Au coeur de la détresse psychologique des pères montréalais
« J’avais atteint le fond du baril. Je me laissais mourir tranquillement ». Dans une petite salle de conférence de l’organisme RePère, qui vient en aide aux pères en difficulté, Sébastien Monette ne mâche pas ses mots pour décrire son parcours en dents de scie. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce papa en a arraché dans les dernières années, à l’instar de plusieurs pères de la métropole d’ailleurs.
Selon une récente étude réalisée par la firme SOM, les pères de Montréal sont 30% plus susceptibles de ressentir de la détresse psychologique que ceux des autres régions. Un papa sur dix aurait même eu des idées suicidaires dans la dernière année.
Si les raisons sont multiples pour expliquer ce phénomène, ce qui ressort de cette étude est somme toute assez simple à comprendre : les papas de l’île ont mal et font peu appel aux ressources d’aide qui leur sont offertes.
À l’heure où trop de féminicides font les manchettes, qu’en est-il de l’aide apportée aux hommes en crise? Même si ces cas médiatisés sont marginaux, l’organisme RePère fait partie de la solution. Un intervenant et un ancien bénéficiaire témoignent de la réalité sur le terrain.
Se retrouver à la rue avec son enfant
Les bureaux de l’OBNL, à un jet de pierre du Parc-nature-de-l’Île-de-la-Visitation, sont pratiquement déserts en ce mercredi midi. Sébastien Monette nous accueille à l’entrée. « J’espère que vous avez du temps parce que mon histoire est longue à raconter », avertit le père en riant. Aujourd’hui, le grand gaillard aux cheveux argentés est sur place dans le cadre d’un stage d’observation. Mais il y a quelques mois, il a fait appel à l’organisme en tant que bénéficiaire de leurs services.
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L’histoire rocambolesque de Sébastien débute en 2013 lorsqu’il se sépare de son ex-conjointe, avec laquelle il dit avoir une relation toxique. Après une implication de la DPJ dans le dossier pour un motif de conflit parental, le père obtient finalement la garde complète de sa fille qui continue tout de même à aller chez sa mère une fin de semaine sur deux. En coulisse, les choses s’enveniment pour Sébastien au fil des années. « En 2016, je suis tombé en dépression majeure et en arrêt de travail. Deux ans plus tard, j’ai perdu mon emploi et j’ai demandé de l’aide pour des services de santé mentale auprès du système de santé à Saint-Jérôme. Quand ça aurait été à mon tour de passer, j’ai déménagé à Montréal et on m’a mis sur une nouvelle liste d’attente. Finalement, la pandémie est arrivée et tout a été chamboulé ».
«Littéralement tous les services d’aide étaient sur pause, déjà pleins ou fermés pour éviter des propagations du virus donc on s’est retrouvé à la rue.»
Printemps 2020. Sébastien est avec une nouvelle blonde, qui met fin à la relation. Pandémie mondiale oblige, l’ex de Sébastien tolère qu’il reste avec sa fille quelques mois dans le condo qu’ils partagent alors ensemble pour se remettre sur pied. La situation se détériore toutefois rapidement avec l’ex-conjointe et le duo père-fille doit quitter les lieux. Avec son maigre revenu fourni par l’aide sociale, le père n’arrive pas à trouver un logement décent pour sa fille et lui. « Littéralement tous les services d’aide étaient sur pause, déjà pleins ou fermés pour éviter des propagations du virus donc on s’est retrouvé à la rue. Je n’en revenais pas que j’en sois rendu à faire vivre ça à ma fille de 10 ans à l’époque », se remémore Sébastien, ébranlé.
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Un ami de la famille qui réside sur la Rive-Sud leur offre finalement le logis pour quelques mois. Au mois d’août, une place se libère dans un établissement de la Maison Oxygène Montréal, une ressource d’hébergement et de soutien pour les pères vivant des difficultés, qui a des antennes partout au Québec. « J’ai vu ça comme une opportunité de me reprendre en main et de respirer un peu ».
«On m’a arraché le cœur. Ma raison de vivre. Je ne voulais plus rien.»
Mais un malheur n’attend pas l’autre pour Sébastien, qui perd sa place dans l’établissement d’Hochelaga-Maisonneuve en décembre. Avec autant d’instabilité pour la jeune fille, la DPJ décide de la placer chez sa tante maternelle. « On m’a arraché le cœur. Ma raison de vivre. Je ne voulais plus rien », raconte avec émotion le père, qui s’est finalement dégoté un appartement quelques mois plus tard après un court passage chez sa mère. Du côté de sa fille, le mal était cependant fait. « Elle ne voulait plus me parler. Ç’a duré huit mois ».
Cette ultime épreuve a été une sorte de wake up call pour Sébastien qui a décidé de « remplir le vide avec ce qu’il a de meilleur », en suivant des thérapies et en contactant RePère pour du soutien. « Ça m’a fait du bien de pouvoir parler de ce que je vivais sans me faire juger par des gens qui comprenaient ce que je vivais. Je sentais qu’ils avaient une réelle motivation de me soutenir dans mon cheminement en faisant des suivis pour prendre de mes nouvelles ».
Aujourd’hui, Sébastien se dit être la « meilleure version de lui-même », avec un appartement à lui et en transition pour retourner sur le marché du travail. Il a même recommencé à parler à sa fille qui vient le visiter à l’occasion et il a fait la paix avec son ex. Son parcours houleux lui aura aussi permis de réaliser qu’il aimerait s’impliquer davantage dans la cause de la santé mentale des papas et leurs relations avec leurs enfants. « Je veux transformer ma souffrance en quelque chose de mieux ».
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En première ligne de la détresse psychologique
Pierre Blanchard est un peu stressé au moment où on débarque dans son bureau. L’intervenant, en poste depuis juillet, n’a jamais fait ce genre d’entrevue. « Mon rôle est essentiellement d’écouter les pères qui nous appellent. C’est leur plus grand besoin parce qu’ils ne savent plus vers qui se tourner. Leurs familles les ont parfois quittés et ils n’osent pas parler de ces sujets sensibles avec leurs amis ou leurs collègues », résume le travailleur social à la voix caverneuse.
«Beaucoup d’hommes sont totalement perdus dans le système et ne savent pas vers quelles ressources se tourner quand leur vie familiale prend un virage inattendu.»
Avec seulement dix heures par semaine consacrées à RePère et quelques mois d’expérience, il est difficile pour Pierre de dresser un bilan sur la détresse psychologique perçue au bout du fil. « Une chose est sûre, on a eu un gros été. On a constaté que beaucoup d’hommes sont totalement perdus dans le système et ne savent pas vers quelles ressources se tourner quand leur vie familiale prend un virage inattendu ».
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En plus d’un accompagnement psychosocial, RePère offre des services judiciaires et un programme de soutien pour les difficultés relationnelles. « Ça prend habituellement beaucoup de temps avant qu’un père fasse appel à nous. Il y a encore des idées préconçues par rapport à ce qu’un père devrait être (fort, capable de contrôler ses émotions, inébranlable) et plusieurs croient être en mesure de s’en sortir seuls jusqu’à ce que ça en soit trop pour eux.
L’intervenant ne s’en cache pas : le vécu souvent « tordu » de ces hommes est parfois lourd à porter. « Au début, je prenais tout ça sur mes épaules. Maintenant, je me dis que je fais le plus que je peux faire », conclut Pierre qui doit justement sauter sur un appel.
S’il y a un message que Sébastien Monette aimerait transmettre aux papas en détresse, c’est celui-ci. « N’ayez pas honte de ce que vous vivez. Tout le monde a des difficultés et c’est normal de demander de l’aide. Tout seul, on s’en sort pas ».