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Au cachot la nudité, la chambre de hockey se rhabille

Changement de garde dans le vestiaire

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Le regard concentré, Max tape sa palette, la langue sortie. Il enrubanne chaque bandelette avec minutie, au rythme lent d’un bâton délicatement pivoté. L’opération d’une grande précision est pourtant pratiquée sans pantalon, le lunch à l’air. Il en a fait son rituel d’avant-match et toute la chambre aime ça pour la simple raison que « ça fait hockey ». Nul part ailleurs ce serait approprié, mais ici, la scène est magnifiquement cohérente.

Hockey Canada, l’instance nationale de régulation du hockey sur glace, a introduit le mois dernier de nouvelles règles au sein de sa politique concernant les vestiaires. Ces modifications, qui s’appliquent à tous les joueurs du pays âgés de moins de 18 ans, touchent différents aspects, notamment la tenue vestimentaire et l’utilisation des douches.

Ces nouvelles réglementations semblent bien éloignées de ma ligue de garage au calibre en déclin, mais à en juger par l’indignation qu’elles suscitent chez mes coéquipiers après le match, il est évident que ces changements touchent une corde sensible. Comme si ces mesures rompaient le lien avec notre propre histoire collective, forgée à travers l’expérience rugueuse de la chambre de hockey.

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« Si t’es pas capable de prendre ta douche tout nu, tu vas jamais être capable de toucher au puck en overtime ou de scorer en fusillade », lance Gagnon. « Crisse, la douche ça t’apprend à dealer jeune avec un peu de pression. Ça va être soft en tabarnak comme génération », poursuit-il, complètement à poil en train de s’étirer l’aine, lui qui a jeté les gants sur deux continents.

« La douche, c’t’une continuation de la glace! Voyons, touchez pas à ça, c’est sacré. Ça fait partie de la game et solidifie l’esprit d’équipe », ajoute Phil, notre capitaine, toujours en patins et déjà trois canettes vides à côté de lui.

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Pour tenter de mieux comprendre leurs réactions, épluchons d’abord le document officiel. En premier lieu, Hockey Canada exige le port de certains « vêtements de base » pour tout le monde et en tout temps dans les vestiaires.

De ce fait, les jeunes doivent dorénavant arriver à l’aréna vêtus de leur tenue de sport ou se changer individuellement dans les cabines privées des toilettes. Fini le temps où le beau JF pouvait pavaner ses petits abdos une demi-heure avant d’enfiler ses épaulettes. Après la rencontre, les kids doivent garder leurs combines ou se rendre à nouveau dans une toilette pour enfiler un maillot de bain s’ils souhaitent se doucher. Conclusion : couvrez cette peau que je ne saurais voir.

« Un maillot de bain! On riait tellement de ceux qui en portaient, dans l’temps! Mais c’est pas vrai que mes p’tits puants vont rentrer dans mon char sans prendre leur douche », souligne Munch, père de deux garçons, en lançant sa boulette de tape quatre pieds à côté de la poubelle.

Par la bande, Hockey Canada sonne le glas de la nudité en gang, des serviettes twistées avec lesquelles on pince les fesses du goaler, des fines analyses d’après-game en pissant à l’unisson dans le drain et des confidences favorisées par l’intimité de ces moments. Cependant, j’ose écrire ici que, selon moi, c’est bien plus qu’un folklore qui s’éteint.

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Il existe plusieurs raisons pour lesquelles les athlètes peuvent avoir besoin d’intimité (p. ex. croyances religieuses, problèmes chroniques, préoccupations relatives à l’image corporelle, identité ou expression de genre). Les lignes directrices qui suivent concernant l’utilisation des douches constituent une étape de plus visant à créer des milieux où les athlètes peuvent se sentir en sécurité.

Guidé par le souhait d’encourager l’inclusivité, l’initiative de l’organisme canadien tente de mieux encadrer un espace qui a longtemps été le terrain de jeu de taquineries machistes et de cruauté juvénile. Sa grande élasticité morale en faisait l’un des derniers bastions de l’ancien temps dans un monde en constante évolution. Les trucs que j’ai vus ou entendus. Je ne saurais pas par où commencer. Mais est-ce qu’interdire la douche commune en costume d’Adam empêchera les garçons de développer leur bêtise?

Il faut savoir que la nudité est un tabou à degré variable dans l’univers clos de la chambre de hockey. Une initiation pour certains facile, pour d’autres impossible. Sans oublier que la puberté est une période de transition ingrate qui vient avec ses caprices. La musculature et la pilosité de Karl, avec sa mailloche d’homme à 12 ans, peut facilement faire de l’ombre à un coéquipier au corps moins pressé.

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Il va de soi que tout individu désireux d’exercer un sport ne devrait pas être contraint de se déshabiller devant dix autres garçons s’il ne le souhaite pas, mais à mon époque, baisser sa culotte était un passage obligé pour réellement faire partie du club. Ça peut paraître inconcevable selon les normes de pudeur actuelles, mais c’était ainsi : l’inclusion passait par l’absence d’intimité.

Trop fréquemment, la douche entre boys est perçue comme un lieu de danger plutôt que de proximité. S’abandonner à la nudité est pourtant une manière étonnamment tangible de se lier au groupe, en plus d’offrir une rare fenêtre pour socialiser les corps et les accepter dans leurs vulnérabilités et imperfections. Bâtir un lien par le dénuement. En l’exposant aux regards, son physique devient quelque chose de commun et sa banalisation, rassurante.

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J’ai souvent pensé que j’étais à l’aise avec ma nudité simplement parce que je l’avais pratiquée.

Un souvenir me ramène non pas à mon hockey mineur, mais à un atelier organisé lors d’un festival bien connu au cœur du désert américain. Une centaine de personnes étaient rassemblées, nues, en plein après-midi, sous une immense tente. Chaque participant avait un seau d’eau savonneuse devant lui et devait laver le corps de son voisin de gauche, tandis que son voisin de droite le lavait. Une approche non sexuée pour accepter son propre corps tout comme celui de l’autre et enfin prendre une grande respiration face à mille et une insécurités internalisées.

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Je me rappelle en être sorti aussi libéré que perturbé, convaincu que ce type de pratique étrange issue de la culture new-age, devrait en fait être démocratisé, agissant comme un baume sur nos éternelles angoisses corporelles.

Fin de la parenthèse hippie.

« Mon coach midget espoir nous obligeait à prendre notre douche. Bro à c’t’heure, il est en prison pour avoir touché des joueurs », balance Shayne avant de rire jaune en prenant une gorgée de Coors froide.

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Les histoires d’horreur venues de la planète hockey sont malheureusement incalculables. De nombreux abus ont été commis, tant par des joueurs que par des personnes en position d’autorité, laissant des vies brisées dans leur sillage. La porte du vestiaire, longtemps maintenue fermée comme pour préserver une sorte de chambre des secrets, s’ouvre maintenant lentement pour laisser place à une génération mieux outillée et plus consciente de la gravité de ses actions. On va se le dire, la culture du hockey avait grand besoin de se regarder dans la glace après des décennies d’impunité.

L’objectif sous-jacent des nouvelles politiques est-il de policer une composante jugée glissante pour prévenir à la souche de futures dérives?

Est-ce que cette série de restrictions réussira à réduire l’émergence de comportements toxiques, si souvent associés aux players et à la culture du hockey?

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« Hockey Canada, c’est pas eux qui avaient un fonds caché pour indemniser des victimes d’inconduites sexuelles? », questionne Poirier, nu-queue, avant de quêter mon savon pour une 200e game d’affilée. L’organisme a en effet été éclaboussé par son lot de scandales au cours des dernières années, entachant sa réputation ainsi que celle du hockey dans son ensemble. En plein tumulte, il fallait agir pour montrer patte blanche.

Fini le naturisme sportif, les cellulaires dans la chambre, les duels « casque-gants » et l’embauche d’adultes dont les antécédents n’ont pas été vérifiés par les autorités. On serre la vis.

Ce changement de garde semble également attribuable aux parents d’aujourd’hui, moins à l’aise d’envoyer leurs enfants dans l’arène imprévisible du hockey. Il est indéniable que la chambre est un lieu de formation parfois brutal et anxiogène, où les dynamiques de la vie adulte empiètent sur celles de l’enfance et contribuent à façonner les personnalités en développement, pour le meilleur et pour le pire. Du classement des talents au bullying de la performance, le sport se révèle être une école parallèle où la bienveillance brille souvent par son absence.

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Certains affirmeront même que l’une des caractéristiques inhérentes au hockey, c’est de développer une résistance face aux mises en échec.

Je lance mes boxers dans le fond de ma poche en pensant que les époques évoluent, tout comme ses rites de passage. Espérons que les nouvelles mesures favoriseront un environnement plus sûr pour tous, sans pour autant devenir excessivement aseptisé et sacrifier la camaraderie.

« Enweye Johnné, vient m’montrer ton faiseux d’bébés », me lance Max en ouvrant la porte des douches.

Car à travers l’épreuve de la nudité, naît l’amitié.

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