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Attendre un bébé: espérer le meilleur, se préparer au pire

Trouver réconfort dans le récit «Un Espace entre les mains».

Par
Brigitte Hébert-Carle
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J’ai peur de l’inconnu. Un après-midi d’été des années 1990, je rentre bredouille de la crèmerie. Du haut de mes 10 ans, mes parents me disent: « Si tu ne commandes pas toi-même ton cornet, on rentre à la maison. » J’ai dû passer une heure à faire les cent pas dans le stationnement du Dairy Queen. Finalement, la peur l’a emporté et j’ai pleuré tout le chemin du retour, les mains vides. Encore aujourd’hui, il m’arrive de passer mon cellulaire à mon chum à la dernière seconde pour faire une banale réservation au restaurant. Et quand je commence un nouvel emploi, je préfère attraper une gastro et rester à la maison plutôt que d’affronter mes nouveaux collègues. J’ai peur de l’inconnu. Et dans cinq mois. Je vais accoucher de mon premier enfant. Vous dire à quel point je suis effrayée.

Même si tout était planifié, le premier mois après la grande nouvelle a été un mois de panique. Qu’est-ce que j’ai fait? Ma vie est finie.

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Neuf mois de grossesse ne me paraissent pas du tout exagérés. Même si tout était planifié, le premier mois après la grande nouvelle a été un mois de panique. Qu’est-ce que j’ai fait? Ma vie est finie. Je n’ai pas la fibre maternelle, je ne serai jamais capable de parler à mon enfant avec un accent français ou comme si je m’adressais à un bébé chat. Les voyages c’est fini. Dormir, c’est fini. Faire l’amour, c’est fini. M’imaginer allaiter, m’imaginer marcher dans la rue avec une poussette, m’imaginer parler constamment d’affaires de bébé, j’ai peur de me perdre dans un cliché de moi-même.

Inspire, expire, accouche

Étonnamment, plus les mois avancent, plus la panique fait place à l’apaisement. Plus je suis capable m’imaginer être cette autre version de moi-même, et plus j’ai hâte d’affronter la tempête. J’ai l’impression de me préparer mentalement à aller à la guerre. Je préfère m’imaginer le pire, pour être agréablement surprise à la fin.

La lecture d’Un espace entre les mains, écrit par Émilie Choquet, est tombée à point. J’ai eu envie de me mettre en danger et de lire sur une histoire qui finit bien, même si elle commence comme mon pire cauchemar.

J’ai l’impression de me préparer mentalement à aller à la guerre. Je préfère m’imaginer le pire, pour être agréablement surprise à la fin.

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On a diagnostiqué à la narratrice un syndrome post-partum avec intensité psychotique trois semaines après son accouchement, ce qui l’a ramenée au point de départ — l’unité mère-enfant de l’hôpital — pour une durée indéterminée, psychiatre en prime. Elle qui avait planifié un accouchement parfait avec un bébé parfait et une vie parfaite, elle a reçu une claque de réalité au visage après une césarienne d’urgence, quand son quotidien est devenu une routine répétitive où chaque mouvement semble pris dans un engrenage qui tourne sur lui-même. Comme en loop.

« (…) nourrir, changer, bercer. »

« C’est le début d’une journée sans fin. Dormir est un privilège d’autrefois. »

Ce récit personnel et vibrant écrit en fragments nous fait voyager entre l’idéalisation de la maternité et la réalité crue de l’apprentissage d’un nouveau monde qu’on ne maîtrise pas. On a beau tout prévoir, tout imaginer, avoir le contrôle devient un luxe du passé. On s’isole. Le temps en perd sa notion. Il passe, mais on oublie qu’il passe. Et on se fragmente. La mère n’est plus tout à fait elle-même, elle se dédouble.

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« Mon émotion est prise quelque part entre l’envie d’être entourée de tous ces gens que j’aime et la nostalgie d’un temps quasi révolu, à quelques mois d’accoucher. Je suis un peu moins cette fille qu’on fête et un peu plus ce combo deux pour un. Je viens avec elle. »

Dans son récit, l’autrice nous donne accès à ses failles, à sa vulnérabilité. Même si ça fait frissonner, ça fait surtout du bien de toucher à la vérité, peu importe sa couleur. Je suis tombée sous le charme de son écriture, d’une grande intelligence et sensibilité.

Quand le rêve est loin de la réalité

La plume d’Émilie Choquet est chorégraphiée telle une valse imagée. Tout coule de soi. Le propos n’est pas léger, mais l’écriture est loin d’être lourde. J’ai ri. J’ai pleuré (OK, j’ai les hormones dans le tapis avec la grossesse, mais je n’ai pas encore perdu mon jugement). Je me suis reconnue dans cette femme enceinte aux multiples résolutions :

« Choses à faire pendant mon congé de maternité :

Aller au Jardin botanique.

Courir avec bébé (trouver poussette de course BabyJogger

Faire des muffins

Lire (…) Faire du cardio-poussette (…). »

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Pas plus tard que cette semaine, je cherchais sur Kijiji une poussette de course à trois roues BabyJogger en me disant que, tsé, j’accouche l’été, aussi bien faire une pierre deux coups et promener mon bébé en profitant du soleil tout en travaillant à resculpter ma shape de plage à la dérive depuis quelques mois. La moi du futur rit sûrement dans sa barbe (oui, j’ai peur de la poussée de poils) ou dans sa compresse d’allaitement.

Accoucher donne un orgasme?

Je le sais. Je ne suis pas à l’abri d’un post-partum. J’ai beau lire tous les livres de maternité qu’on me prête, je sais que la théorie n’arrivera pas à la cheville de la pratique. Ma collègue mère de deux enfants se trouve bien drôle en répétant « qu’avoir des enfants, c’est comme un orgasme, on ne sait pas ce que c’est tant qu’on n’en a pas eu. » Je sais que, même si ce genre de phrase me titille pour l’avoir tellement entendue souvent étant dans la team « pas d’enfant », y’a un fond de vérité. Et dans quelques mois, je gagnerai moi aussi le privilège de dire à qui veut l’entendre « tu sais pas vraiment ce que c’est que d’être fatiguée tant que t’as pas d’enfant. »

Ma collègue mère de deux enfants se trouve bien drôle en répétant «qu’avoir des enfants, c’est comme un orgasme, on ne sait pas ce que c’est tant qu’on n’en a pas eu.»

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Mais sur ma liste de résolutions rose bonbon, j’espère ne jamais dire à des filles qui n’ont pas d’enfants, peu importe leur raison, qu’elles ne peuvent pas comprendre ce que c’est. Même si je finis par le penser, je jure de me taire. Je suggérerai aussi Un espace entre les mains à toutes les filles de mon groupe Facebook Futures mamans pour mai et juin 2020 (no joke), et j’ajoute à la liste : aller me commander une crème glacée avec ma poussette BabyJogger et futur.e mini-moi cet été.

Un espace entre les mains d’Émilie Choquet, aux Éditions Boréal, en librairie dès le 14 janvier. Lancement le 16 janvier à la libraire Port de Tête.