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Attendre, c’comme un long crisse de silence. T’sais, quand l’autre est là, devant toi, qu’y devrait te répondre de quoi parce que toi, t’as clairement mis un point à ta phrase, mais qu’y fait juste te regarder.
Les lèvres y frémissent, parfois. Tu soubresautes, tu palpites, tu te dis « esti, c’est là, ça vient », mais non. Ça ne vient pas. T’entends juste ton cœur qui se défonce. Les mots, eux, tu les cherches dans le vide. T’aurais envie de lui ouvrir la yeule de force pour plonger dedans. Des lettres dans le fond de la gorge, ça doit ben s’attraper entre le pouce et l’index. Tu souhaites. Tu fais juste ça. Assis sur le bout de ta chaise qui a eu le temps de s’user. Tu te tripotes les mains. Tu restes pile là. T’espères.
Des fois, on fait pareil avec « la vie », l’attendre. On l’habite, on y fait des affaires, on l’agite. On se dit même que ça fait du sens, quand on est chanceux de penser que ça peut en avoir. Tout ce qu’on fait. En attendant la prochaine affaire. Ou en en attendant juste une. C’est là, ça pétille un peu plus loin dans le temps. L’horizon de ce qu’on voudrait, de ce qui devrait, de ce qui va. La collection de ces bouts d’existence où on aura fait le saut. Vers une nouvelle job, un voyage, un ailleurs, un autrui. Vers plus de soi, aussi on se dit. Vers ce soi qu’on voit, enfin, heureux [le mien y danse sous la pluie, trépigne dans les flaques avec même pas de bottes].
Souvent, quand on fait ça, on regarde juste assez haut, c’est normal, on fixe un point. On omet la route, le chemin, le en-bas. L’espace où roulent des balles de foin. Y’a la poussière qui aimerait ça ervoler dans les airs sous les pas qui ne se peuvent plus. Tic tac tic tac fait ta montre. Mais c’est pas le temps, c’est jamais le temps. De se mettre en mouvement. Rien ne sert de courir, anéwé, il faut partir à point. Tout vient à qui sait attendre. La charrue, les boeufs, le pont, la rivière. Tu regardes ce là-bas, tu es content. Il s’en vient. Peut-être. Sans doute. Probablement. Un moment donné. Hé. Y’a ben le kairos qui va arriver. Tu vas la saisir à deux mains, cette occasion opportune. Des astres alignés juste pour toé, ça se rate pas. Mais tu verras rien. Tu vois rien.
Parce que quand on attend la vie, souvent, on se met à tourner ben vite sur soi. Full spin vite. Toujours de quoi à faire, dans le là-tusuite. Une to-do qui déborde, n’a jamais de fin. À défaut d’être, je fais, qu’on se dit. Je bouge mes membres, ça fait du vent. Si ça fait assez de bruit, ça couvre celui du temps qui tombe. L’horizon reste à portée de yeux. Dans la tête, le film finit par suffire. Vivre dans ses idées, ses fantasmes. Croire que ça nourrit. Que ça aide à construire. Autre chose que le trou qu’on se creuse. Dans lequel on s’assoit pour regarder les étoiles. On tend la main pour les toucher. L’autre continue de gratter la terre. On s’écartèle. Mais on espère ben fort. On attend. On se résigne*. Y’en a ben une qui va finir par se décrocher de là. Dans le silence du trou, on aura sans doute un sourire béat. Les yeux grands ouverts. Ça s’en vient, ça s’en vient. Comptine pour un repos qui ne viendra pas. Mais on aura eu des rêves.
C’est su-per.
* « L’espoir, au contraire de ce que l’on croit, équivaut à la résignation. Et vivre, c’est ne pas se résigner » – Albert Camus, Noces