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Début des hostilités.
Ce besoin viscéral de faire du tapage, le dream team composé de Timo, Jacobus, Tekstyle et LX en a fait un métier. Même si certains puristes jugent que leur parlure chiac est impure et trop datée pour la scène musicale actuelle, les nouveaux représentants de la musique acadienne sont peut-être ce qui est arrivé de mieux à la culture des provinces de l’Est depuis Antonine Maillet. «Y’a une grosse liberté dans le fait d’être aliens comme nous aut’», dit LX. «Les musiciens d’icitte nous trouvent ben inoffensifs pis relax, pis je pense que ça nous aide à nous faire des nouveaux chums quand on débarque dans une nouvelle ligue!»
Période d’échauffement
Créé en Angleterre au milieu des années ’50, le hockey subaquatique est l’un des secrets les mieux gardés dans la catégorie «sports étranges à essayer à vos risques et périls». D’ailleurs, les gars ne peuvent le cacher bien longtemps en effectuant quelques maladroites manœuvres d’étirement 101 autour de la piscine : ils ont la chienne! À commencer par Timo. «Jesus Fucking Christ! Watche le gars là-bas avec son jacket du Underwater Hockey World Championship! C’est contre lui qu’on joue!»
Après avoir enfilé palmes trop grandes, casques trop petits et masques de plongée trop embués, la joyeuse bande se jette à l’eau. Avant le début du match, les rappers de l’Acadie y vont de quelques tirs au but et de manœuvres de base. Les rudiments ardus de cet étrange sport n’ont rien en commun avec ceux du hockey traditionnel : la majorité du jeu se déroule au fond de la piscine et le but est de pousser une lourde rondelle à l’aide de petits bâtons qui ressemblent à des racles à BBQ. Un art à part entière, mais pratiqué par trop peu de gens, comme la course de tondeuses, le VTT subaquatique et le méconnu lancer du thon.
En professionnels, le groupe planifie déjà son offensive. Première étape : un discours de motivation à la Jacques Mercier de Lance et Compte. «Pep Talk, Game Plan, Play List!» crie Timo. «On fait ça avant chaque show qu’on donne. Tsé, faire de la musique, c’est peut-être le meilleur des sports!» Plus loin dans la piscine, Tekstyle en rajoute. «Quand tu fais un bon show, tu finis soaked wet, comme après une game de hockey, dit-il. Pour ça, y faut que t’en donnes à ton crowd en l’assommant avec ta grosse toune, ton national anthem. Nous aut’, not’ We Will Rock you, c’est Cliché Hot.»
Cliché
Cliché hot
Arrache ta chemise bitch
T’es cliché hot
J’veux point t’mettre sur la spot
But t’es cliché hot
Première période
Dès le coup de sifflet donné par l’arbitre, la bande — divisée en deux équipes et jumelée à d’autres joueurs plus expérimentés — s’élance vers la rondelle placée au centre de la piscine. À l’attaque du côté des Blancs, Timo et LX prennent rapidement les devants. LX déjoue la défensive des Noirs, respire dans son tuba, puis atteint finalement la zone adverse située dans le pas creux. Et c’est le but!
Déjà blessé après deux minutes de jeu, Timo grimace de douleur à côté de la chaise d’une jolie sauveteuse. «J’ai des crampes dans les mollets à cause de mes fins (ndlr : palmes). Jesus Fuck!» Recrachant un demi-gallon d’eau, Jacobus grogne à son tour en retirant son masque. «C’est pas un sport pour les fumeurs ça! J’aurais pas dû prend’une smoke avant d’entrer icitte!»
Visiblement, sport et rock&roll ne feront jamais bon ménage.
Deuxième période
Les minutes passent et les joueurs marquent d’autres buts. LX fait toujours mordre de la poussière à ses adversaires dans les coins et Tekstyle s’avère un gardien pee-wee plutôt respectable. Seules les femmes de joueurs manquent à l’appel dans les estrades. Du jamais vu pour un band hip-hop réputé pour faire tymer (danser) les jolies filles en concert. Des commentaires messieurs?
– Depuis que Radio Radio est ici, on trouve que les filles du Québec sont plus ouvertes à l’esprit sexuel que che’ nous. J’ai jamais daté une fille de par che’ nous parce que c’est plus dur de les met’s dans ton pantalon! dit Jacobus.
– Mais che’ nous, les filles ont des grosse tétines pis y sont horny! répliqueTimo.
– Surtout ta cousine! lance LX.
Même sans l’appui des groupies et des partisanes prêtes à toutes les bassesses pour une nuit avec leur rappeur préféré, l’équipe des Blancs l’emporte haut la main après 20 minutes de jeu. En bon commentateur, Timo décerne l’étoile du match à LX, dont l’air détaché trahit des capacités athlétiques largement au-dessus de celles de ses coéquipiers. «La première période a été un p’tit brin tight pour nous autres à cause du guy pis son jacket de professionnel. Pas mal intimidating! Mais LX a r’monté toutte ça pis c’est nous autres les winners!» Déçu de sa performance, Jacobus jette le blâme sur le problème d’équipement en se rendant aux douches. «J’avais d’la misère avec mon snorkle! dit-il. Je spittais out pis je chockais sans arrêt!»
Jacques Demers n’aurait pas dit mieux.
Pour l’après-match acadien, le magazine a prévu des accessoires acadiens : de la bière Moosehead (plus vieille brasserie canadienne et fierté du Nouveau-Brunswick), des cages à homard sorties d’un décor de Gilligan’s Island et du pâté à la viande, coup de cœur de Tekstyle. «C’est fait exact comme chez nous, remarque-t-il. On se crèrait à’ maison! »
Les gars de Radio Radio ont l’habitude des jacuzzi afterparty. Surtout depuis que la scène musicale québécoise a créé un buzz gigantesque autour de leurs chansons qui parlent de soirées arrosées dans des bains tourbillons et de rencontres improbables avec le Capitaine Kirk. «Depuis c’temps-là, on se r’trouve dans pleins de places qu’on connaissait pas, comme le Gala de l’ADISQ!» rigole LX en calant sa Moosehead entre deux bouillons. «L’aut’ jour, ma tante est rentré chez nous en me disant : Ouin la big star! T’es nominé à l’ADISQ!» ajoute Timo. «Je savais même pas c’était quoi l’ADISQ! Capotes pas avec ça! Just have fun man, parce que toutte ça, toutte ce qui nous arrive, c’est fucking là! Fake profite pis grossis-toi pas la tête avec le faitte qu’on est invité en France pis un peu partout! »
Curieusement, si Radio Radio anime les pistes de danse montréalaises avec des tubes comme Rum Runner ou Baisse les lights, le buzz semble toujours tardé du côté de leur terre natale. Explications de Tekstyle. «Les initiés nous connaissent, mais les jeunes parlent trop anglais pour écouter not’ musique. À la radio, y passent jamais de hip-hop. Juste du zing-zing de country! Mais chus proud de dire que Cliché hot a joué au prom de mon high school l’an passé!» En massant ses blessures de jeu, bien allongé au fond du jacuzzi, Jacobus poursuit sur la mentalité acadienne. «Si je vais en France, que je vends un million d’albums pis qu’je r’viens avec une grosse Ferrarri, boum! Je vends de la drogue, c’est sûr, parce que je fais pas du traditionnel! dit-il. On dirait que gagner sa vie en chantant du hip-hop, ça se peut pas pour les Acadiens! »
La Capitale de l’Acadie
Veut pas qu’j’avance
Des rythmes rythmiques risqués
Tu prends des chances
Il faut qu’t’écrives comme cecitte
Il faut qu’t’écrives comme ça
(extrait Radio au Carré)
En attendant de connaître la consécration dans leur terre natale, certains des gars de Radio Radio ont posé leurs valises à Montréal, comme LX, qui philosophe entre deux bouchées de pâté à la viande dans une marre de ketchup. «À Montréal, si je devais pogner une punition comme au hockey, je pognerais celle pour illegal curves, parce que je tourne tout l’temps à droite sur une red light, dit-il. C’est trop tentant parce qu’on peut le faire par chez nous pis ça dérange parsonne! Y faut juste que j’m’habitue!»
Bienvenue dans la grand’ville.
Après avoir trinqué à leur première et dernière partie de hockey subaquatique à vie, les gars se changent en vitesse dans une chambre de joueurs improvisée. Derrière les planches de plywood et les caisses de bières vides, le groupe songe déjà à sa prochaine saison d’échanges. «Si on voulait prendre un Wayne Gretsky pour le band, on prendrait Freddie Mercury ou Frank Sinatra. Pis notre Crosby, ce serait Kenny G pour sa finesse!» dit Jacobus. En caleçons, entre un tricycle d’enfant et une vieille brouette, Timo ajoute : «Sais-tu avec qui on aimerait trader dans les autres bands? Nickleback! Moé j’aimerais ça prendre la place de Nickeback! »
Pour le bien de nos oreilles et le salut de l’humanité, espérons que l’échange en question ne se fasse jamais. «J’garde toujours espoir!».
Photos: Maxyme Grenier-Delisle
Assistants: Julie Artacho, Jean Bruneau et Minh Tran
Après-match
«La jacuzzi y’est parfait! Y faudrait juste que les trous su’l bord soient plus gros d’un pouce pour tenir ma bière!» lance Timo en entrant dans le bain tourbillon installé par l’équipe d’Urbania dans un vieux garage situé d’une ruelle sombre de Villeray.