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Article d’une fille tannée que tu fasses cette face-là

Par
Catherine Ethier
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Depuis un peu plus de cinq ans, j’ai le bonheur, que dis-je, LA FÉLICITÉ d’habiter le Plateau Mont-Royal et d’en embrasser les clichés. Les embrasser parce que les fuir serait chose vaine et surtout, parce qu’on se charge de me les rappeler chaque sapristi de jour que le bon Dieu fait.

C’est comme important, pour les gensses. Ça leur fait du bien. Leur libère l’excès de gaz du patrimoine. Et à défaut d’en avoir plein le dos comme dans la toune de Dany Bédar-pas-de-d (mets surtout pas de «d»), j’ai appris à me contenir le sourcil lorsqu’on me demande, parce qu’on finit toujours par me le demander, quel quartier j’habite.

Chaque fois, ça relève du domaine de l’exercice théâtral. Faut que je me concentre. Que je me la joue « Léonne dans Scoop ». Comédienne accessible, je syntonise alors le canal de l’indéfférence et j’adopte un ton neutre comme si je nommais ma sorte de litière, puis je largue la bombe: « J’habite en face du parc Laurier ». Paklow.

Avec le temps, je suis passée maître dans l’art de me relâcher la bajoue et m’éteindre l’étincelle (et m’exprimer comme dans une power-balade de Bédar-pas-de-d) pour ne pas avoir l’air trop fière. Parce que quand t’habites le Plateau, faut pas que t’aies trop de feelings en le mentionnant.

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Habiter le Plateau, c’est un peu comme habiter « l’espace cellier »: « Ouuh! Le Plateau… ». C’est juste que t’as pas de ballon de vin à sentir pour gérer le malaise twit qui vient de se créer, alors que les convives n’attendent qu’une chose et une seule, que tu t’humidifies le fond de culottes en te sentant assez ti-pain merci de pas avoir loué ce spacieux dix-huit-et-demi *avec entrées* dans Villeray-parce-que-Villeray-ÇA-SE-DÉVELOPPE. Tu vis au-dessus de tes moyens. Pis ça doit être petit, chez vous.

– Tu vis dans un combien?

– Dans un trois et dem…

– EH QUE ÇA DOIT PAS ÊTRE GRAND QUE ÇA DOIT TE COÛTER CHER QUE C’EST DONC DÉSAGRÉABLE QUE JE SUIS DONC WISE DE PAS ÊTRE TOI.

– J’achète de la litière Arm & hammer. Est’ meilleur marché (dignité de Léonne).

M’a vous dire une affaire (j’étudiais en biochimie, avenir rempli de promesses, belle carrière dans la mire, aspirations de médecine pis toute. Mais j’ai changé de branche y’a 10 ans yeinke pour me claquer un bacc par cumul pas clair en com’, écrire des slogans de marde en pub en attendant mes chèques pendant six mois pour venir à boutte, une couple d’années plus tard, D’ÉCRIRE CET ARTICLE sans cligner des yeux *retournez-vous, je suis présentement dans votre porte patio, yeux injectés de sang*, cet article qui mettrait, une fois pour toutes, les choses au clair) : le quartier où j’habite, je m’en tamponne fébrilement le coquillard. J’habite juste là.

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Et les lunettes que je porte, c’est parce que je suis coquel’œil. C’est pas pour me donner « un petit style ». Ni parce que je veux me mettre swell pour aller attendre quatre heures devant l’Avenue, un mercredi après-midi où ça me le dit de manger des patates à l’ail sur Mambo #5.

Va-ti falloir que je m’équipe d’un Claude Legault pour me sensibiliser l’entourage au niveau du « faut que ça cesse »?

FAUT QUE ÇA CESSE.

Auqué. Je te le concède. T’as peut-être plus de chances d’y croiser Yves Desgagnés et moins de possibilités de passer inaperçu avec ta tache d’orangeade sur le tisheurte en t’imposant dans un pique-nique improvisé « bring your own cailles »; mais le Plateau, c’est toujours ben juste un nom de quartier.

Oui, j’ai beaucoup de souliers. Et je possède un caniche de grain qui ressemble à Victoria Beckham.

Mais je sais roter. Je suis ordinaire. Tellement ordinaire que la prochaine fois que tu t’apprêtes à me taquiner la situation géographique après avoir mis une heure à te parker pour venir manger chic dans mon trois et demi grand comme ton armoire à Tuppeware, tiens-toi le pour dit : j’ai grandi à Longueuil. Ça fait que je sais recevoir au baloney sur un temps rare.

Les têtes de violon, je les mangerai pour déjeuner.

La bise.

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