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Arrogants, les jeunes Québécois?
Dans le cadre de la sortie du film Wolfe, URBANIA et TVA films s’unissent pour comprendre d’où vient la prétendue arrogance des jeunes.
Ma vingtaine a tellement été insécure, que pour ne pas trop en avoir honte, je l’ai pratiquement oubliée. Je me rappelle quand même que croiser des figures d’autorité m’intimidait sur un moyen temps. Mon réflexe de survie, quand j’avais à interagir avec ces gens-là, était d’être bien froid, puis de croiser les doigts pour que le moment passe vite.
Klô, Lydia, Hubert et les autres
Je me souviens qu’en voyant les remerciements de Klô Pelgag à l’ADISQ en 2014, j’ai tout de suite reconnu une gêne similaire. Comme si la foule était devenue pour un instant cette figure d’autorité et la période de remerciement, un moment à traverser presto.
« Oui, nous nous devons d’être respectueux. Mais qu’est-ce que c’est que le respect au juste si ce n’est pas d’abord se respecter soi-même? » -Klô Pelgag
« J’ai toujours trouvé déprimant le regard de l’adulte sur le “jeune”. Le jeune ne doit pas décevoir : il doit se conformer à ce que l’on s’attend qu’il soit, il doit s’habiller comme un jeune et parler comme un jeune. »
L’auteur de Miley Cyrus et les malheureux du siècle aime bien Klô Pelgag et ne la trouve prétentieuse d’aucune façon. « Ce qu’on appelle l’arrogance, c’est notre réaction au changement. On utilise des mots différents pour parler des mêmes choses. » Thomas O. St-Pierre craque également pour les Lydia Képinski et les Hubert Lenoir de ce monde, et d’autres encore que l’on accuse d’une certaine prétention.
Contrairement à de la froideur, c’est plutôt de chaleur extrême dont Hubert a fait preuve lors de son passage à La Voix, où sa fesse dénudée n’est pas vraiment arrivée à faire baisser le mercure. Commence alors le chapitre Hubert Lenoir choque les mononcles et les matantes, dont les rebondissements et coups de théâtre culminent à de flamboyants « Vous m’aurez pas », placardés un peu partout par l’artiste.
« Hubert Lenoir ne fait rien de nouveau. Plein de gens dans les années 70 faisaient la même chose. » -Thomas O. St-Pierre
Si je m’étonne que ces comportements diamétralement opposés soient considérés tous deux comme hautains, St-Pierre n’est pas surpris. Selon lui, des facteurs aggravants conduisent les personnalités publiques à être accusées d’insolence, peu importe leurs agissements : « La jeunesse, le succès, le genre, le degré d’attirance d’une personne ». Il semblerait que l’arrogance soit dans l’œil de la personne qui regarde, et que ce regard soit voilé par la différence générationnelle. « Hubert Lenoir ne fait rien de nouveau. Plein de gens dans les années 70 faisaient la même chose. » Il se tourne vers la génération qui réprimande. « Que faisiez-vous dans les 40 dernières années? »
Lydia Képinski est autant médusée que lui par l’amnésie sélective des générations qui la précèdent. « Les baby-boomers, c’est quand même fucked up, ils ont fait la Révolution tranquille. Je comprends pas. » Si Klô est coupable de sa froideur et Hubert de sa chaleur, l’illustre Gémeau (née un Premier juin) est accusée de prendre parole. Sa différence se trouve selon elle dans son bagage culturel.
« Mon père est français. Il s’exprimait à voix haute pendant des cabarets, jusqu’à déranger les gens autour. Parler fort fait partie de la culture française. » Elle sent qu’au Québec, le débat créé malaise. C’est dommage, parce que le débat pour elle est une façon de faire bouger les conventions. « Dès la petite enfance, j’ai été encouragée à remettre les choses en question. Même à l’école j’ai commencé tôt. J’étais le genre d’enfant qui demandait “pourquoi, pourquoi, pourquoi?” »
Entre l’ombre et la lumière
Nos observations et constats au quotidien nous amènent à des conclusions similaires : inconfort face aux différences, aveuglement volontaire. Thomas, Lydia et moi soupçonnons à tâtons. On est cependant loin de la méthode scientifique. J’ai envie de savoir si notre pressentiment s’appuie sur quelque chose de solide, je reluque du côté des statistiques et de la sociologie.
« Trop confiantes », « pas vraiment chaleureuses », « hautaines ».
C’est-ce qu’ont pensé des employeurs en feuilletant les CV de jeunes femmes compétentes et éduquées qui postulaient pour un poste au sein de leur compagnie. Le problème, c’est que des CV similaires, envoyés par des hommes, n’ont jamais inspiré les mêmes qualificatifs désapprobateurs. Le phénomène est observé par l’œil méticuleux de la sociologue Natasha Quadlin.
« Beaucoup de gens ont envie d’être arrogants et ne se donnent pas la permission.» -Lydia Képinski
Être femme et se montrer confiante. Être jeune et se trouver beau. Être étrangère et avoir de la gueule. Ou, en empruntant les mots de Lydia à l’égard de Klô Pelgag, être artiste et implacablement « surréaliste », aux dépens de pouvoir se faire comprendre. Les démarcations sont arbitraires, tracées à la grosse craie blanche et déplacées sans cesse pour justifier une inquiétude face à la différence.
Ça prend de l’arrogance pour se tenir debout.
Le portrait que je dresse de l’arrogance m’apparaît plutôt sombre. Pourtant, Lydia jette une lumière nouvelle sur ma réflexion. « Arrogante » est une étiquette qui ne lui fait pas peur. « Ça prend de l’arrogance pour se tenir debout. » Une intuition l’anime : « Beaucoup de gens ont envie d’être arrogants et ne se donnent pas la permission. J’ai l’impression que beaucoup se projettent dans nous, Hubert, moi, etc. » Dans les coulisses, le long des fils de commentaires et en message privé, les effusions d’admiration forment un pôle opposé au mépris.
L’arrogance s’échappe des mains accusatrices. Les condamnés se la réapproprient. Elle devient alors pulsion de vie. Lydia est catégorique. « Plus je suis dans un cadre qui ne me représente pas, plus j’ai envie de me défendre et d ’affirmer mon identité. » Klô Pelgag témoigne du même amour : « Oui, nous nous devons d’être respectueux. Mais qu’est-ce que c’est que le respect au juste si ce n’est pas d’abord se respecter soi-même? »
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Crédit : Ma discussion Facebook avec Lydia
J’apprends à accepter qui j’étais quand j’avais 20 ans. Mes mécanismes de défense, mon défilement et mes caprices, des réactions qui, au fond, étaient simplement des manières détournées de m’aimer.
«Ce qu’on appelle l’arrogance, c’est notre réaction au changement.» -Thomas O. St-Pierre
M’acclimater de la prétendue prétention des jeunes, refuser de succomber à la tentation de punir et désapprouver la différence devient un moyen de renouer avec une partie de moi. Au final, l’arrogance de la jeunesse m’intéresse. Je veux découvrir ce qu’ont à dire ces créateurs encore inépuisés par la vie. Écouter leurs chansons, lire leurs livres, regarder leurs films. Respecter l’offrande inaltérée qu’ils adressent au monde.
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La perte et la prise de contrôle des jeunes sur leur univers, c’est un thème universel, intemporel, et c’est le cœur du film Wolfe.
Sur vos écrans le 26 octobre, il met notamment en vedette Catherine Brunet, Ludivine Reding, Antoine Pilon et Léa Roy.
Écrit et réalisé par Francis Bordeleau. Une production de Melancholia Films.