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Arriver à être bien dans sa peau de Québ francophone anglophile

Naviguer entre les deux langues pour faire carrière et créer des ponts.

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Le débat sur la pérennité de la langue française au Québec en est un qui fait rage depuis plusieurs années. L’épisode de Zone franche de cette semaine aborde cette question épineuse qui crée bien souvent deux clans. Si certains ont peur que le Québec s’anglicise et perdre ainsi son identité, d’autres décident d’embrasser le bilinguisme, notamment dans la métropole.

C’est le cas de Thomas Leblanc, humoriste et chroniqueur, qui a choisi de faire carrière dans les deux langues. Est-ce là la clé du succès où une trahison de nos racines francophones? On en discute avec notre collaborateur.

Ton spectacle s’appelle «Bonjour, hi! ». Selon toi, est-ce qu’au Québec on gagnerait à développer davantage son bilinguisme?

« Bonjour, hi! » est un show d’humour qui réunit des humoristes francophones et anglophones qui me font beaucoup rire (prochaine date: 5 décembre, à La Vitrola!). Je trouve ça drôle, l’expression « développer davantage son bilinguisme »! On parle simplement de maîtriser plusieurs langues, ce qui est un avantage individuel indéniable (et collectif, quoiqu’en pense Mathieu Bock-Côté). Ayant grandi dans le nord de Montréal dans les années 90 et 2000, c’était déjà naturel pour moi d’entendre le français rencontrer d’autres langues, comme l’anglais, mais aussi le créole et l’italien.

J’ai toujours trouvé ça bizarre que les médias québécois ne reflètent pas la diversité linguistique que j’entendais autour de moi.

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J’ai toujours trouvé ça bizarre que les médias québécois ne reflètent pas la diversité linguistique que j’entendais autour de moi. Ce mélange est une force, si bien entendu tout le monde maîtrise le français, ce qui était le cas autour de moi. J’ai toujours été à l’aise dans des environnements bilingues, que ce soit à l’époque où j’étais rédacteur en chef d’un magazine culturel (Nightlife, pour ne pas le nommer) ou dans des boîtes comme Sid Lee ou l’ONF. C’est le même désir qui m’a poussé à essayer le stand-up en anglais en premier. Ma psy dit que c’est aussi parce que l’anglais n’est pas ma langue maternelle, que c’est moins risqué! La langue, c’est plus freudien qu’on pense.

Qu’est-ce qui t’a poussé à faire carrière autant en anglais qu’en français?

La vérité vraie? Le Québec, c’est petit. C’est confortable. C’est trop homogène pour moi. Mais je ne suis pas d’accord non plus avec les discours anti-québécois que j’entends souvent des anglos. Dans les médias québécois, tout le monde est à un degré de séparation de Guy A. Lepage. Il y a des orthodoxies qu’il faut répéter pour se faire accepter, même dans les cercles plus progressistes. J’aime des gens comme Chantal Hébert, Mitch Garber et Sugar Sammy qui s’expriment dans les deux langues dans l’espace public. Avec ma partner Tranna Wintour, j’ai d’ailleurs participé à un épisode du balado bilingue Les Tabarslackers animé par les Montréalais Judes Dickey et Brendan Kelly et la conversation, en français et en anglais, reflète ce désir de créer des ponts. Et il y a bien entendu Céline Dion, qui se fout de son accent et qui a foncé! D’ailleurs, un jour, il faudra étudier la politique linguistique de René Angélil! Je trouve ça quand même dommage quand j’entends René-Charles parler un français très faible. Ils l’ont échappé, le petit RC.

J’ai souvent dit qu’entre faire six heures de route pour faire un show à Val-d’Or ou Brooklyn, le choix est évident pour moi. J’ai peur des régions. Je travaille là-dessus.

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Mon approche a toujours été de vouloir parler, écrire, créer et communiquer le mieux possible dans les deux langues. Et au fil du temps, j’ai réalisé que l’anglais me permettait d’exprimer un autre aspect de ma personnalité, notamment en humour, en plus de pouvoir interviewer des gens qui ne parlent pas nécessairement français. Et l’anglais reste aussi LA langue la plus commune dans les cercles queer à l’extérieur du Québec. Et le monde est tel qu’en 2019, j’ai souvent plus d’atomes crochus avec des personnes de ma génération qui habitent d’autres grandes villes. J’ai souvent dit qu’entre faire six heures de route pour faire un show à Val-d’Or ou Brooklyn, le choix est évident pour moi. J’ai peur des régions. Je travaille là-dessus.

Outre «t’ouvrir des portes», qu’est-ce que ça t’a apporté pouvoir naviguer dans les deux langues dans ta carrière?

J’aime travailler dans les deux langues à la radio, autant à CBC (avec mon balado Chosen Family) qu’à ICI Première (aux émissions Pas tous en même temps et Plus on est de fous, plus on lit). Cela dit, c’est sûr que c’est confrontant. C’est clair que le Québec ne comprend pas le Canada et que le Canada ne comprend pas le Québec. Mais je peux vivre avec ça, cette tension-là. J’aime mon rôle du franco de service dans mes équipes anglophones, et vice versa, celui du Elvis Gratton des queers chez les francophones unilingues qui s’offusquent dès qu’il y a une présence de l’anglais dans l’espace public. Je ne sais pas si parler une autre langue « ouvre des portes », mais ça m’a ouvert l’esprit.

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Est-ce que tu envisages prioriser une des deux langues dans les prochaines années?

Ça a été long, mais je suis finalement bien dans ma peau de Québ francophone anglophile. Je ne serai jamais un Américain et c’est tant mieux. Mais je veux que ma vie professionnelle dépasse Lacolle et la rivière des Outaouais. Je ne pense pas non plus que les souverainistes et les nationalistes ont le monopole de l’identité québécoise. C’est sûr que c’est facile de se dire anglophile à une époque où la culture états-unienne rase tout, et je trouve que je pourrais en faire plus pour que le français rayonne. Mais en même temps, être Québécois, pour moi, ça ne se passe pas juste en français. Je reste Québ en anglais. Dans Chosen Family, je cherche parfois la prononciation de certains mots, mon accent est audible quand je parle vite et… je l’accepte. J’ai pu interviewer des personnes très inspirantes, faire la rencontre d’artistes qui m’inspirent beaucoup. Au final, comme artiste, je veux juste être bon.

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