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Arrêter la cigarette avec l’aide d’un « guérisseur spirituel mondial »
Pas une crisse de tope depuis deux semaines. Il fallait bien un jour l’écraser pour de bon avant que ma pauvre moustache ne soit trop jaunie. Ce serait mentir de dire que c’est facile, mais jusqu’à présent, ma méthode cold turkey fonctionne. Pas de patch, de laser ou d’hypnose. « Tu juules pas ? », me demande un ami. Mieux vaut s’arracher la santé au gros tabac sale que de vaper en public.
À chacun ses défauts.
Mais hier, dans un moment abyssal où je me suis exagérément engueulé avec une imprimante, j’ai compris que je devrais peut-être considérer des avenues alternatives pour soutenir mon combat. J’ai immédiatement pensé à ces annonces énigmatiques d’astrologues que l’on voit affichées sur les artères commerciales de Parc-Extension. Ces flyers divinatoires promettant fortune et santé érectile. Voilà enfin un excellent prétexte pour réclamer leurs services. Je déniche un chaman sur Kijiji qui se présente comme un « guérisseur spirituel mondial célèbre indien » dont la pratique assure régler autant les problèmes d’ennemi que les erreurs d’enfant. Voyons voir s’il peut me guider vers la lumière d’une vie sans tabagisme sportif.
Métro Plamondon, Côte-des-Neiges dans son hétéroclisme le plus savoureux. Je me rapproche de l’adresse indiquée, un strip mall informel où un concentré de la planète se rencontre. Entre commerces cachères et épiceries philippines se trouve un petit salon de coiffure indien. Devant, un homme muni d’une glacière vend des balut à la sauvette, cette spécialité asiatique composée d’un œuf incubé dont le fœtus est déjà formé. Je bifurque derrière comme convenu, dans un stationnement décrépit, j’ouvre une porte industrielle sans indication et descends les marches. L’aventure quoi.
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Loin du tumulte extérieur, le sous-sol plane au son des mantras méditatifs, les murs sont tapissés de draps rouge écarlate, des lumières de Noël éclairent des divinités hindouistes accompagnant du mobilier dépareillé. Je retire mes souliers. On y est.
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Au fond de la pièce, une voix douce m’invite à entrer dans une drôle de petite cabine bricolée. J’obéis. Le « guérisseur spirituel mondial célèbre indien » à la barbe blanche au look sadhou psychédélique que son annonce mettait de l’avant est assez loin de mon interlocuteur. En face de moi, un jeune homme dont j’estime l’âge proche du mien, barbu et bien nourri, tilak et bijoux aux poignets. Des objets occultes sont dispersés autour de nous. L’aura de mysticisme artisanal est somme toute réussie. Dans un anglais approximatif, il m’invite à m’asseoir et à retirer mon masque, avant de m’interdire toute photographie.
Au moment où il analyse les lignes de ma main, il zieute sans cesse l’écran de son cell qui vibre constamment. Notre proximité tient à si peu.
Le premier contact est suspicieux. Il bégaie en demandant où j’ai entendu parler de lui et quelles sont mes réelles motivations. Je lui avoue mon récent divorce avec la nicotine. La séance débute avec une lecture de mon nom, de mes origines, de ma date de naissance, des traits de mon visage. Il griffonne avec abondance, les sourcils froncés, l’air accablé. Au moment où il analyse les lignes de ma main, il zieute sans cesse l’écran de son cell qui vibre constamment. Notre proximité tient à si peu.
Je lance neuf petits coquillages, il ajoute mes résultats et me questionne à savoir si je fume de l’herbe, si je me protège au lit, et tente d’interpréter le bleu de mes cheveux. Puis, sans attendre, le verdict tombe : « Une mauvaise énergie te suit depuis 2016. Malgré la délicatesse de tes traits, tu erres perdu en plein océan. Tu dépenses plus que tu ne gagnes, d’où la nécessité d’un meilleur emploi, et tu devras surtout faire attention aux femmes de ton entourage propre ». Des conseils étonnants, mais qui, à mon humble avis, nous éloignent du problème initial.
« Tu n’es pas venu pour arrêter de fumer, mais pour quelque chose de plus grand, apprendre à vivre avec de meilleures énergies », dit-il d’un ton persuasif. Son regard se fait plus insistant et dévoile son plan, enfin, notre plan. « Il faut extirper ta mauvaise énergie et la remplacer par de la bonne, puis lui offrir une protection. » Évidemment, rien n’est gratuit dans ce bas monde et pour trois prières qui « règleraient l’ensemble de mes problèmes », c’est 191 $ cash. Chaque. Montant total de la facture : 573 piastres. « Do you understand me, brother? » Je doute que la carte soleil passe ici. « Yes, I do ». Il me semble un chic type, l’atmosphère est douillette, mais une petite voix me dit qu’on essaie de m’entourlouper.
Évidemment, rien n’est gratuit dans ce bas monde et pour trois prières qui «Règleraient l’ensemble de mes problèmes», c’est 191 $ cash. Chaque.
Mon ami commence alors de savants calculs divisant la cotisation en paiements des plus complexes. Grosso modo, 21 $ sont dirigés en frais de prière et 170 $ en achat de vivres pour retirer le mauvais esprit qui me hante : noix de coco, citrons, mangues, poudre de curcuma, safran, « des aliments que je peux t’aider à avoir à un bon prix. ». On s’écarte encore de l’art de la guérison et je me surprends à calculer que le délire équivaut au tarif de 40 paquets de Mcdo 25 King Size.
Au lieu de me sentir piégé, j’ai pitié pour tous ceux et celles qui se font prendre au jeu. Mais grand bien fasse à ceux qui croient. Pour plusieurs, la spiritualité peut faire une réelle différence face à l’adversité, mais d’une perspective personnelle, surfer sur les malheurs du peuple à coups de noix de coco semble questionnable. Après de multiples négociations et des prix à la baisse, on se laisse néanmoins en bon terme, au statu quo niveau mauvaise énergie, des frais de 25 $ d’annulation, un fist pump et une petite amertume pour emporter.
Tandis que l’odeur d’encens s’éloigne, je dois avouer avoir été bien trop candide en pensant que ça serait plus incarné. Sans m’attendre à atteindre le nirvana, j’espérais une guidance plus ésotérique que mercantile. Sur sa carte qu’il me laisse, je lis : « Votre avenir se transformer [sic] en un avenir brillant et doré. » Ce ne sera pas pour moi. De retour sous le soleil, je tâte mes poches vides, j’ai vraiment envie d’en allumer une. Je salue au passage le vendeur de balut.
À chacun son hustle.