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Arrêter de parler de féminisme? Pas question!

Par
Sarah Labarre
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Il fallait s’y attendre. C’est arrivé à chacun et à chacune d’entre nous qui jouissons d’une certaine tribune et qui nous sommes aventuréEs à diffuser des messages féministes. Parce qu’à chaque mouvement social se rattache un anti-mouvement, visant à le faire taire et à le tuer, tout blogueur et toute blogueuse défendant le féminisme sur sa tribune se verra tôt ou tard attribuer l’étiquette de “féministe enragée” ou autre misandre du genre.

Féministe enragée

Vous savez, les commentaires de mes billets, je les lis. Attentivement. Or, les quelques olibrius qui s’évertuent à noyer mon discours féministe – que dis-je, à l’enterrer dans leurs soliloques phallocentriques pas loin de l’intimidation, m’attribuent depuis un bon bout de temps l’étiquette de “féministe enragée”. Or, je trouve que l’étiquette en question ne me rend pas tout à fait justice: je ne suis pas enragée, je suis en crisse.

Or donc, l’étiquette de féministe enragée, je ne la rejette pas; bien au contraire, je me l’approprie, la fais mienne. J’ai décidé de la porter, fièrement, comme un drapeau. Je suis en crisse. Je suis en crisse parce que les femmes gagnent en moyenne encore environ 73,6% du salaire des hommes – la pleine jouissance des droits humains est subordonnée à la liberté économique. Je suis en crisse parce que les femmes ont plus de difficultés à se qualifier pour de l’Assurance-Emploi. Je suis en crisse parce que les femmes retraitées vivent en moyenne avec 65% du revenu des hommes retraités. Je suis en crisse parce que les femmes ont moins d’accès à l’emploi et à la syndicalisation. Je suis en crisse parce que 60% des femmes handicapées vivront de la violence au cours de leur vie d’adulte. Je suis en crisse parce que depuis les 20 dernières années, plus de 600 femmes autochtones ont disparu ou ont été assassinées à travers le Canada. Je suis en crisse parce que l’organisme SOS violence conjugale reçoit encore plus de 25 000 demandes d’aide par année.

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Je suis en crisse parce qu’à chaque fois qu’on revendique, qu’on ressort ces faits – qui sont d’actualité – et qu’on gueule à ce système patriarcal ses quatre vérités, c’est immanquable, cette petite poignée de retardés du social s’époumone avec des grossièretés de porteurs d’eau à nous faire fermer la gueule.

Et ce n’est ni quelques trolls semi-noyés dans leur propre royauté ou blogueurs maladroitement mâlocentriques qui vont me dire comment être féministe. En veux-tu de l’enragée, tu en auras.

Le courage de l’anonymat

Se cacher derrière un avatar pour imposer sa loi à une féministe, c’est vraiment fucking courageux, said no one ever. Ces gars-là, ce sont des petits. Tellement accrochés à leurs privilèges, dans leur crise du « non », douillettement dissimulés derrière des faux noms, hein, parce que dévoiler son identité, on laisse ça à d’autres, ils ruent comme des mulets, menacent, ordonnent, et prêtent aux discours féministes les intentions les plus mauvaises.

Des fois, ça va être en nous donnant l’ordre de « cesser notre propagande haineuse ». D’autres fois, ça va être en parlant au nom de nos organes génitaux, pour dire que ceux-ci sont remplis de sable ou manquent de lubrification naturelle, ou encore, ânonnent leurs antiques théories freudiennes d’envie – ou de frustration – du pénis. On croirait qu’ils finiraient par se lasser. Mais non. Chaque nouvelle sortie, chaque nouvelle contribution féministe, voit déferler une vague de plus en plus violente, jusqu’aux menaces, et ce, de la part de si peu d’individus mais qui y mettent tellement de leur temps, et de leur énergie, qu’on croirait qu’ils sont dix mille. Or – je ne peux que parler de ceux qui polluent ma tribune et mes courriels en avanies et en menaces – je peux affirmer hors de tout doute qu’ils sont bien peu nombreux. Quatre, cinq tout au plus.

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Ils sont bien peu nombreux, bien peu productifs, mais oh combien divertissants, et dignes d’un article de la Pravda.

La fixation de ces quelques commentateurs et blogueurs mâlocentriques est tellement axée sur l’équation « féminisme = haine des hommes et du phallus », qu’ils oublient que les féministes, même les « en crisse » comme moi, ont des hommes qu’elles aiment dans leur vie, que ce soit des amoureux, de la famille, ou des amis chers. Tellement centrés sur le privilège masculin, en fait, qu’ils pensent que le féminisme est, par définition, contre les hommes – parce que pour eux, ça sera toujours quelque chose à propos de leur propre nombril et non une cause beaucoup plus large que les sentiments que génèrent leur vit.

Une petite précision

Je le dis : les masculinistes et les anti-féministes sont tellement centrés sur eux-mêmes qu’ils croient dur comme fer que le féminisme, ce n’est pas pour les femmes, mais bien contre les hommes.

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Rien ne pourrait être plus faux. Rassurez-vous, vous qui vous sentez menacés par le féminisme et mon gueulage d’enragée, on ne se bat pas pour vous faire ôter vos droits. Tout comme accorder le droit de vote aux femmes n’a pas enlevé celui des hommes, l’équité salariale ne se fera pas en vous arrachant 30 quelques pourcents de votre revenu. La lutte à la violence conjugale ne se fera pas en vous vargeant dessus à coups de poings égaux et même que le mouvement tendant à un partage plus équitable des tâches et des soins parentaux vise à une représentation plus égale des deux parents dans la vie des enfants, et donc, oui, c’est bête comme ça, c’est aussi pour que les pères soient plus présents dans la vie de leurs enfants. Le féminisme ne vise pas à empêcher les pères de voir leurs enfants, car il ne réclame pas pour les femmes le droit absurde d’être une mère monoparentale.

Sauf que votre mouvement, à vous, les anti-féministes, ce n’est pas un mouvement. C’est un anti-mouvement. Je m’explique : chaque mouvement social fait naître un anti-mouvement visant directement à le contrer. Le masculinisme – ah, que j’aime ce néologisme! – ne se bat pas réellement pour veiller aux droits des uns (les hommes), mais pour nuire aux droits des autres (les femmes). C’est l’exclusivité revancharde des p’tits qui ne veulent pas partager le carré de sable. C’est le p’tit grand-père qui liche d’avance toutes les amandes au chocolat pour pas que les autres aient le goût d’en manger. Ça beugle, ça braille, ça chie, ça menace, sans se rendre compte que ça fait partie du problème.

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Bon, ça va faire, les gars, de nous dire pourquoi on doit se battre, pour qui, comment, en quelles circonstances et à quelle dose. Merci.

Remettez-nous en question, ça, c’est correct. On ne peut pas être d’accord avec chacun des préceptes d’un mouvement. Sauf que là, vous passez tellement d’énergie à noyer notre discours dans votre bouillon de vaisselle, et pourquoi? Pour le statu quo. Pour nuire aux droits de tous.

Vous mettez tant d’ardeur à étouffer notre épanouissement qu’on dirait que vous négligez le vôtre. Rendez-vous service. Sortez dehors, un peu. Prenez des marches. Développez-vous dans vos passions. Aimez-vous et aimez votre prochain!

P.S. Pis non, je ne me fermerai pas la gueule.

Dans le cadre de la journée internationale des femmes du 8 mars, les collectifs cyberféministes de Je suis féministe et Et les femmes? organisent un après-midi de réflexion sur le thème de la multiplicité des féminismes ainsi que de la place du féminisme dans le quotidien. J’y serai en tant que conférencière, en compagnie de Martine Delvaux, Aurélie Lanctôt, Camille Tremblay-Fournier, Véronique Grenier, Anne Migner-Laurin, Jeanne Reynolds et Tanya St-Jean, au Bar Notre-Dames-des-Quilles, 32 rue Beaubien, Montréal, métro Beaubien de 16h à 18h.

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Je milite pour la justice sociale, l’égalité et le féminisme – des synonymes à mes yeux. Ayant suivi une formation en arts visuels, je poursuis mes démarches en recherche sociologique et j’écris présentement un livre sur l’itinérance qui sera publié prochainement chez VLB.

Pour me suivre : c’est Sarah Labarre sur Facebook et @leKiwiDelamour sur Twitter.