.jpg)
J’enseigne au collégial depuis bientôt deux ans. C’est nice. Être prof dans un domaine créatif (dans mon cas, en conception de jeux vidéo) me donne un des meilleurs bénéfices que je puisse imaginer d’une vie professionnelle qui est de côtoyer au quotidien des gens talentueux.
Chaque année, je rencontre une nouvelle cohorte de ces jeunes artistes en quête de leur voix contenant à coup sûr un certain pourcentage qui n’est là que pour une raison pure et dure : créer. Mais cette intention, c’est la façade; à regarder de plus près, on tombe inévitablement sur le revers de la médaille. Que ce soit à travers leur cursus ou post-diplôme, c’est le même constat : je côtoie en fait des gens complètement bouffés par l’anxiété.
Des gens avec un savoir-faire et un potentiel magiques, mais qui étouffent et se noient dans l’angoisse de la création. On en connait tous un, ou on se connait soi-même et on réalise qu’on est une bonne gang à nager dans la même rivière.
Les sources de ces démons sont souvent dues aux bagages personnels de chacun (allô syndrome du prodige; allô syndrome de l’imposteur), mais nous, jeunes créateurs, avons un dénominateur commun; une affliction tenace et sournoise qui ne s’arrête pas à vouloir créer.
C’est de vouloir créer quelque chose d’unique.
Quelque chose d’innovateur.
Quelque chose de significatif.
Ou toutes ces réponses. Isolées ou combinées, elles sont parmi les pires pièges imaginables qui nous guettent.
***
L’acte de créer a quelque chose de mythique en soi. Juste à prononcer ce mot dans ma tête (avec de l’écho et un peu de reverb), je pars sur cette image du poète dans son grenier au clair de lune à ruminer sur ses strophes. C’est facile de s’imaginer que la créativité n’a de source que dans l’inspiration intérieure de l’artiste.
L’école a traditionnellement sa part de responsabilité dans cette mentalité. On grandit dans l’idée que la culture est fragmentée en propriétés intellectuelles de tous genres et que l’imitation d’autrui est symptôme de paresse. On se fait ensuite bombarder d’exemples de succès; de tous ces génies envers qui nous sommes redevables de tout. Je sais pas pour toi, mais, quand on met créativité et système éducatif dans la même phrase, j’ai la paume qui vient instinctivement couvrir mon visage.
Fuck ça.
Dans le cadre de mes cours, j’ai commencé à enseigner sur comment copier les autres. Imiter quelqu’un; manipuler du contenu existant; modifier le vieux en neuf. L’acte de trouver sa voix via quelque chose qui résonne en soi pour recréer une itération à peu près similaire. Ainsi, non seulement on apprend à mieux se connaître à travers le travail des autres, mais on s’habitue à finir un projet, pour ensuite passer au prochain, et puis à celui après, et cetera.
L’imitation se retrouve sous différentes formes. Tu peux aller fouiller quelque chose de vieux, de dépassé ou d’oublié pour ensuite le transformer à travers un filtre neuf, tel n’importe quel producer contemporain qui gagne son pain à rapiécer des morceaux démodés. Ça peut d’autre part être aussi niaiseux que de prendre deux éléments qui, isolés, peuvent être banals et clichés, mais, jumelés dans un contexte inédit, donnent forme à un nouveau sens. L’ADN du mouvement surréaliste repose sur la combinaison d’objets qui ne sont pas supposés aller ensemble.
Si on part du principe que tout a déjà été raconté, ça devient un peu moins difficile d’accepter que le collage est la méthode artistique dominante du dernier siècle.
Le simple acte de copier peut porter fruit. Ne serait-ce que prendre le travail de quelqu’un d’autre et de le reproduire à travers son propre filtre peut être incroyablement révélateur, un peu à la manière de Hunter S. Tompson qui a entièrement recopié The Great Gatsby, juste pour savoir comment ça feelait d’écrire un grand roman.
***
Je t’écris tout ça non pas pour que tu deviennes un Grand, encore moins pour que tu perces dans ton milieu. On te dira de surcroît qu’on n’a certainement pas besoin de plus d’art générique sur un marché déjà saturé de contenu. Mais rappelle-toi cette page toujours trop blanche. Rappelle-toi tes rêves mégalomanes sans début ni fin apparente. Rappelle-toi de ta paralysie qui fait que depuis quelques années tu parles de faire ceci, de faire cela, et… c’est ça. T’en parles.
N’oublie juste pas qu’imiter, c’est se dégêner. Ce texte n’est pas une recette de succès; c’est une recette pour grandir.
Imiter, c’est la case départ de la créativité. À force de copier, tu sauras maîtriser. À force de maîtriser, tu sauras expliquer. À force d’expliquer, tranquillement-pas-vite, tu commenceras à voir un peu plus loin que les autres. Et rendu dans ces eaux-là, on pourra parler d’innovation sans s’y noyer à nouveau. Un sage de notre époque a un jour dit : “You need to crawl before you baaaaaall”.
Il n’y a aucune honte à entamer notre vie créative en émulant nos inspirations. J’te souhaite de pouvoir un jour briser les règles, mais comprends-les en premier lieu.
Arrête de chercher à être original.
***
Pour lire un autre texte de Simon-Albert Boudreault : “Deux frères, une manette“