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Ariane Zita : «Allô maman? Je sors de prison, mais c’est pas ce que tu penses!»

La fois où Ariane Zita a donné un concert dans une prison pour femmes en Allemagne.

Par
Ariane Zita
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À l’occasion de la sortie et du lancement de son troisième album, Beige, l’autrice-compositrice et interprète Ariane Zita nous raconte une anecdote de tournée plutôt surprenante.

27 janvier 2016, Munich. Barack Obama est encore président des États-Unis, René Angelil vient d’être enterré. Mon amie Carmel et moi venons d’atterrir en Allemagne pour une tournée de 18 spectacles en première partie d’une vedette locale de la scène folk-punk dont les textes des chansons parlent principalement du Tennessee, endroit où il n’a d’ailleurs jamais mis le pied.

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Carmel et moi à Versailles, entre deux pestacles. Source : moi-même.

Simon, notre tour manager français, vient nous chercher à l’aéroport. Le lendemain, c’est déjà notre premier show. Notre partner de tournée nous attend au bar. Une fois les présentations d’usage terminées, il nous demande comment on se sent par rapport au fait d’aller donner un show en prison. « Ahahah est bonne ! », que je lui réponds en faisant semblant de trouver ça drôle pour être polie. Il me répond que ce n’est pas une joke, et il semble surpris que je ne sois pas au courant. Je fouille dans mes courriels et je retrouve ma liste des dates de tournée, et je ne comprends toujours pas où je suis censée voir la prison. « Tu as pas JVA sur ta liste ? ». OK, moi qui pensais que JVA c’était un nom de taverne, comme le MVP sur Sainte-Catherine en face de L’UQAM, genre…

« JVA pour Justizvollzugsanstalt.. », me répond le gars qui va me taper sur les nerfs dans deux jours. J’avoue que j’ai beau avoir une majeure en Études allemandes, faut croire que le mot pénitencier n’a visiblement pas fait partie de mon cursus.

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3 février, Zweibrücken, jour du concert carcéral. La technicienne en loisirs de la prison nous a donné rendez-vous chez elle.

Elle nous invite à entrer dans l’appartement qu’elle partage visiblement avec 18 chats. Je vois s’installer la panique dans les yeux de Carmel qui y est presque mortellement allergique. Elle sort sa petite pompe bleue de son manteau.

« Alors, Carmel et Simon, vous allez nous attendre ici. Faites comme chez vous, j’ai des restants de poulet au frigo et le wifi a pas de mot de passe. »

— Heu, attendez, ils viennent pas avec nous ? lui dis-je, paniquée.

— Vous saviez pas ? C’est beaucoup trop compliqué d’enquêter internationalement sur trois personnes, donc ils ont juste enquêté sur toi Ariane.

Elle me montre un dossier qui contient, entre autres, une photocopie de mon passeport.

Moi qui, il y a une semaine, pensais m’être embarquée dans une tournée bien relax, suis maintenant dans un appartement-litière en train d’apprendre que je m’en vais toute seule en prison et que la police allemande a fait une enquête sur moi. No biggie.

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De l’autre côté des barreaux

Quelques minutes plus tard, nous sommes en direction de la Justizvollzugsanstalt. Un monsieur nous attend à l’entrée, posté derrière une minuscule fenêtre. Il me demande de déposer tout ce que j’ai dans mes poches, dont mon cellulaire et mes pièces d’identité, dans un petit tiroir en métal. « Chante-moi une chanson de Céline Dion. C’est pour prouver que tu es une vraie Québécoise. »

Intimidée, j’obéis sans me poser de question. « AH AH AH j’en reviens pas que tu m’aies cru ! » Le monsieur est bien crampé, mais pas moi. « Mes parents m’ont appris à ne jamais désobéir à un gardien de prison allemand, vous voyez… »

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La petite fenêtre en question, et son petit tiroir de métal. Source.

Le gardien nous conduit à la chapelle, où doit se dérouler le spectacle. Les murs sont garnis de crucifix au pouce carré, le tout mis en valeur par un vif éclairage aux néons. Puis, une trentaine de femmes en uniforme, dont certaines menottées aux jambes et aux mains, entrent dans la chapelle en silence.

The show must go on

Ayoye. Je réalise ce que je suis en train de vivre. Je suis plantée là sur une chaise en bois avec ma guitare, dans une chapelle de prison, en Allemagne, devant une trentaine de femmes, dont une visiblement enceinte, qui ont commis des crimes majeurs. Certaines ont l’air d’avoir mon âge, certaines celui de ma grand-mère, et d’autres ont l’air à peine majeures.

Je commence à chanter. Plus ça va, plus je réalise que c’est un bon public. Silencieux, respectueux, attentif. L’anxiété se dissipe. On se met à jaser entre chaque pièce. Certaines s’ouvrent à moi et me disent ce que mes chansons leur évoquent. Je réalise qu’elles parlent presque toutes français, on est dans une ville frontalière après tout. Certaines versent même quelques larmes. Une me confie qu’elle sort la semaine prochaine, après deux décennies. Je peux pas m’empêcher de me demander ce qu’il l’a emmenée ici. Après une heure passée avec elles, je suis déjà attachée. Je leur pousse quelques blagues avec mon allemand cassé, pas peu fière de réaliser que je peux faire rire du monde en parlant ma troisième langue.

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Le temps a passé vite. Je suis triste que Carmel n’ait pas été avec moi, pour partager toute l’absurdité et la beauté de la situation que je viens de vivre.

Il est encore tôt à Montréal. J’appelle ma mère.

« Allô Maman, tu devineras pas quoi, je sors tout juste de prison, mais c’est pas ce que tu penses… »

Justizvollzugsanstalt Zweibrücken, Source : Marcus Bauer, Google Maps

Beige est disponible sur toutes les plateformes.