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Après le «gamergate», le «comicsgate» fait des siennes

Pourquoi cette nouvelle vague d’intolérance en culture populaire est un échec monumental.

Par
Jean-Michel Berthiaume
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Je devine quelques raisons pour lesquelles vous avez cliqué sur cet article: vous êtes curieux/curieuse de lire le point de vue abordé, de comprendre.

Inversement, vous en avez peut-être déjà trop donné et juste à penser que vous vous apprêtez à lire une autre opinion surannée sur #gamergate, vous êtes exaspérés.

Par le commencement

Ce qu’on appelle la controverse gamergate est une situation qui s’est déroulée essentiellement entre 2013 à 2016 et qui a remis en question plusieurs aspects de la culture du jeu vidéo. Les reproches étaient multiples, allant de l’intégrité chez les autorités du milieu jusqu’au comportement sexiste et raciste provenant d’une frange vocale des joueurs.

Gamergate a certes fait de nombreux ravages, mais s’est néanmoins fait anéantir par les studios comme cela été rapporté par plusieurs médias suite au dernier E3.

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Un clivage important s’est dressé entre deux factions, le camp pro-gamergate qui en plus de revendiquer une plus grande neutralité dans le journalisme portant sur les jeux vidéos à servi d’étendard pour la frange intolérante, exclusive et parfois même dangereuse de débat. Ce camp est aussi contre la présence d’idéologies politiques dans les jeux ce qui s’étend jusqu’à la répression des femmes et l’absence de diversité culturelle dans le récit.

De l’autre bord de débat, les anti-gamergate, eux, se situent davantage dans une perspective progressiste, diversifiée, mais aussi activiste et revendicatrice. Les anti-gamergate se retrouvaient à avoir le plus gros de la tâche devant eux, car au-delà de l’effort entrepris pour tenir à distance les membres du mouvement gamergate, les anti-gamergate désiraient voir un véritable changement dans la culture. Gamergate a certes fait de nombreux ravages, mais s’est néanmoins fait anéantir par les studios comme cela été rapporté par plusieurs médias suite au dernier E3.

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La suite

Étrangement, l’arrivée de #comicsgate était presque écrite dans les astres. Au début de l’année, on annonçait la réorientation de cette vague d’intolérance du domaine du jeu vidéo vers de nombreuses séries de comics ouvertement progressistes. Des titres tels Mockingbird, Mrs. Marvel, Black Panther et Captain America comportent un grand contenu politique qui déplaît grandement au lectorat qui s’alliait jadis à gamergate. Ce groupuscule vise maintenant l’univers coloré et historiquement politisé du comicbook américain. Le débat, s’il en est un, se situe chez une communauté qui dénonce l’ajout d’éléments du discours social dans des œuvres de comicbook superhéroïque. On désire moins de femmes, moins de minorités visibles, moins de diversité religieuse et finalement, moins de contenu à caractère ouvertement politique.

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La première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce

Un débat comme celui-ci ne se construit pas simplement sur un seul événement, c’est un souque à la corde idéologique qui s’alimente progressivement à coup de billets journalistiques et de tweets. Des sites tels Inverse, Bleeding Cool et Comic Book Ressources font une veille constante sur les dernières secousses provoquées par le mouvement, publiant fréquemment des rubriques qui permettent au gens de reprendre le fil de la confrontation. Celui-ci de Polygon est particulièrement intéressant pour comprendre l’ampleur de la polémique.

Le débat, s’il en est un, se situe chez une communauté qui dénonce l’ajout d’éléments du discours social dans des œuvres de comicbook superhéroïque. On désire moins de femmes, moins de minorités visibles, moins de diversité religieuse et finalement, moins de contenu à caractère ouvertement politique.

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La semaine passée, le mouvement s’est revu temporairement d’actualité quand une vidéo d’entrevue non contextualisée du défunt Darwyn Cooke (artiste de talent incroyable et adulé par le fandom de comicbook) a fait surface. La vidéo démagogique portait à croire que l’artiste s’alliait à la cause du comicsgate, ce qui était évidemment faux. C’était d’ailleurs une très mauvaise idée de mal reprendre les propos du regretté pour faire avancer la cause régressive, car la veuve de l’artiste s’est empressée de remettre les pendules à l’heure concernant les idéologies de son feu mari.

Ce qui a, bien entendu, rendu le camp floué encore plus réactionnaire.

Mais ce qui aurait pu être une remontée catastrophique d’opinions rétrogrades dans une culture traditionnellement progressiste s’est en fait transformé en vague de solidarité. Il n’eut besoin que de quelques heures avant que la communauté d’artistes s’affiche ouvertement contre cette idéologie.

Tout le monde sait que la suite est toujours plus plate que l’original.

Pour la nuance, je crois qu’il est possible qu’un lecteur soit déçu d’une histoire devenue trop politisée pour ses goûts, c’est compréhensible. Mais de vouloir restreindre ce qui est permis et non d’aborder au sein d’une expression artistique est absurde. Il va sans dire que l’un des arguments qui ne tiennent pas la route avec cette idéologie est celui du contrôle artistique.

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Les revendications, notamment celle entourant le contenu politique, ignorent simultanément le fait que la majorité des classiques de la culture populaire (que ce soit Star Wars, Star Trek, Superman ou Harry Potter) sont des œuvres immensément politiques, mais aussi que le consommateur culturel ne peut pas dicter ce que l’artiste va lui proposer. Il peut, effectivement, consommer en cohérence avec sa ligne idéologique, mais il est absurde d’imaginer qu’un artiste va éviter d’aborder telle ou telle thématique, car ceci pourrait limiter son auditoire.

Garder l’oeil ouvert

Une autre réflexe que je voudrais éviter est celui de balayer cette problématique du revers de la main avec la confiance que c’est un phénomène isolé et marginal vu les communautés visées. Il est important de savoir que la culture populaire n’est pas une communauté marginalisée ni isolée. Elle est le grand terrain de contact pour de la culture de cette génération et probablement les autres qui s’en viennent. De vouloir restreindre la représentation dans le comics n’est pas un acte qui aura des retombées immédiates.

La vision des groupuscules qui composent gamergate réside dans leur compréhension (peut-être fortuite) des pensées d’Andrew Breitbart en quoi : «Politics is downstream from culture.»

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Si le camp répressif l’emporte, les effets d’un tel mouvement se feront ressentir chez les générations qui suivront. Celle-ci aura auront évolué dans un imaginaire normalisé (pour ne pas dire exclusif) et seront habitués à l’absence de commentaires politiques dans leur comicbook. La vision des groupuscules qui composent gamergate réside dans leur compréhension (peut-être fortuite) des pensées d’Andrew Breitbart en quoi : «Politics is downstream from culture.» c’est-à-dire qu’une culture de droite engendre un climat politique conservateur et donc que c’est par la culture que se construira la paysage politique de demain. Le combat qui se mène aujourd’hui aura donc des conséquences sur la façon de réfléchir des générations futures.

Il vaut la peine de s’interroger sur nos véritables intentions: voulons-nous vraiment une culture lisse et normalisée qui limite les champs des représentations? Voulons-nous aussi permettre à ses tyrans de générer un climat culturel oppressif pour ne pas dire totalitaire dans lequel les artistes seront dans la crainte de s’exprimer?

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Laisser l’art tranquille

Il ne faut pas avoir peur de définir le #gamergate et ses dérivés comme des campagnes de haine et d’exclusion, rien de moins. Si le comic superhéroïque m’a appris quoi que ce soit, c’est sans qu’il faut s’élever au-dessus de cette haine ignare pour faire mieux, peu importe la détresse du climat politique.

Que peut bien générer de plus un mouvement basé sur l’exclusion et la violence, que davantage d’exclusion et de violence?

Je ne crois pas que ma culture doit être exclusive à une caste de gens et je déplore l’état mental qui donne l’impression que d’exclure qui que ce soit est sain pour l’épanouissement intellectuel. Il va sans dire que tout art est politique, même l’art qui n’est pas à proprement parler politique est une expression de confort avec le statut quo.

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C’est en quoi l’aspiration du comicsgate devient paradoxal. Que peut bien générer de plus un mouvement basé sur l’exclusion et la violence, que davantage d’exclusion et de violence? Sous cette vision, l’art serait contraint à rétrécir jusqu’à ce qu’il ne parle à plus personne. Ceci est, bien évidemment, antithétique à l’art. Comicsgate, laissez l’art tranquille, vous avez beaucoup plus besoin de lui que vous le pensez.