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« Après le déluge » : quand le sport de combat sauve toute une communauté

Mara Joly scénarise, réalise et produit une première fiction fracassante.

Par
Ann Julie Larouche
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URBANIA et Noovo s’unissent pour discuter du processus créatif derrière la nouvelle série Après le déluge, diffusée dès le 16 septembre.

Conscientisée aux réalités et aux enjeux des jeunes des quartiers défavorisés – les ayant elle-même vécus –, la réalisatrice, scénariste et productrice Mara Joly porte ce projet près de son cœur. Qu’est-ce que cette série audacieuse incarne et quel impact espère-t-elle qu’elle aura dans l’univers médiatique québécois?

Qu’est-ce qui se passe quand les arts martiaux sauvent une communauté marginalisée qui a absolument besoin d’un second souffle pour survivre? Comment le sport arrive-t-il à dénouer les traumatismes profonds d’une jeunesse écorchée?

C’est là toute la quête de Mara Joly, qu’on retrouve dans sa première série Après le déluge, son cadeau qu’elle met enfin sur les écrans, mais qui l’habite depuis des années. S’il y a quelqu’un qui, à l’adolescence, a tout misé sur le sport pour s’extraire d’un environnement qui la couvrait d’ombre, c’est bien elle.

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« Ce que je dis par l’intermédiaire de cette série-là, en majuscules, c’est: “On est là”. Ce dont j’avais besoin, c’est que cette note dans la symphonie existe et qu’elle soit vue, entendue. »

Jointe par FaceTime alors qu’elle était en France, Mara Joly a l’œil brillant, reposé, et s’emballe en racontant son expérience.

Pour la scénarisation, elle explique qu’elle s’est inspirée de l’histoire d’Evens Guercy, un policier afro-descendant qui a mis sur pied un club de boxe à Montréal il y a plus de 15 ans, permettant ainsi à toute une communauté d’apprendre les codes du sport de combat, pas seulement pour s’entraîner, mais aussi pour se battre contre un.e adversaire.

Mara me ramène loin en arrière, quand son lieu de prédilection pour s’accomplir comme adolescente n’était pas une chaise derrière un pupitre en classe: « À l’école, j’étais tout le temps à la limite d’être rejetée parce que je revenais d’Afrique, j’étais bizarre, je ne connaissais pas les codes. Et à l’époque, je ne voulais pas que les gens s’en rendent compte. »

Situé à 20 minutes de marche de sa famille d’accueil, un centre proposait du karaté et de la boxe thaïe. Ce fut son univers, jusqu’à 12 heures par semaine, pour éviter « de péter une coche et de tomber en dépression », souffle-t-elle.

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Elle ajoute, avec toute sa candeur: « Quand tu vis de grandes épreuves, tu es dans la douleur, tu vis sincèrement de réelles injustices. Après un moment, qu’est-ce que tu fais avec ce trop-plein-là? Moi, en secondaire 3, ce n’était pas en faisant des arts plastiques que j’évacuais mon anxiété, ma colère, ma rage. »

UNE DISTRIBUTION ISSUE À 80 % DE COMMUNAUTÉS RACISÉES ET UN PREMIER RÔLE TENU PAR UNE FEMME NOIRE ATHLÉTIQUE AU QUÉBEC

Si c’était tout naturel pour Mara de s’intéresser à ce que les arts martiaux lui avaient permis d’explorer ado, elle tient à souligner son autre grande victoire, beaucoup plus d’actualité pour elle : avoir la chance de mettre en vedette, à une heure de grande écoute, un casting issu à 80 % de communautés racisées.

« Quand j’y pense, j’ai un peu le goût de pleurer », raconte-t-elle. « Si ça avait été facile, tout le monde l’aurait fait. »

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Née au Québec d’une mère d’origine afro-américaine et d’un père blanc, actrice diplômée en option théâtre du Collège Lionel-Groulx en 2010, Mara ne se retrouvait jamais dans les rôles qu’on lui proposait. Elle les trouvait « inintéressants ».

Elle me prend au dépourvu avec sa réponse quand je lui demande de me parler du premier rôle, tenu par l’excellente Penande Estime, qui incarne une policière présentant les arts martiaux comme un exutoire aux adolescents marginalisés de son quartier – l’essence de la série.

« Pour moi, il fallait que la femme soit une dark skin et qu’elle soit athlétique. (Elle fait une pause.) C’est qui, les actrices vedettes de 28-34 ans que tu connais au Québec qui ont la peau noire foncée? (Silence. J’essaie d’y penser et je n’en vois pas.) Exact: y’en a pas. Personne ne s’en ai jamais rendu compte, mais moi, toujours. Dès qu’il faut illustrer une différence ou un métissage culturel, on blanchit les protagonistes. Pour moi, c’était hors de question. »

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UN AN ET DEMI DE RECHERCHE POUR BIEN DOCUMENTER LE PROJET

J’allume un autre feu quand je lui demande de me parler de la construction de ses personnages – l’occasion pour elle d’imaginer des rôles aux nuances riches et denses, incarnés par des acteurs aux accents plus africains, plus européens. « Proposer presque seulement des nouveaux visages à l’auditoire québécois, pour moi, c’est comme un miracle », poursuit-elle.

Si son projet l’habite depuis 2018, un an et demi de recherche et d’entrevues avec des adeptes de diverses disciplines lui a été nécessaire afin de brosser un portrait réaliste de ce qu’elle souhaitait décrire. Son plus jeune frère lui a certainement servi de bible, lui aussi accro aux arts martiaux et participant à des tournois de boxe amateur.

« Le diable est dans les détails », comme on dit, et la production s’est assurée de respecter à la lettre certaines consignes plus techniques pour célébrer la beauté des peaux foncées. « La première fois que j’ai vu dans mon moniteur trois Afros mis en valeur pour leur beauté par un éclairage, j’ai pleuré, confie-t-elle. Je me revoyais petite, regardant ma mère pleurer devant son écran en écoutant Oprah. »

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Si, comme elle me le rappelle, Mara n’a aucun contrôle sur la façon dont sa série sera reçue, elle souhaite provoquer une ouverture du cœur, et que la quête de ses personnages rencontre son public. Elle souhaite surtout que la série soit « vue et entendue et qu’elle ne nous appartienne plus: j’ai hâte que ça appartienne aux autres ».

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Pour découvrir la série Après le déluge, rendez-vous sur Noovo dès le 16 septembre, à 21 h.