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« Après le déluge » et le mythe de la violence rédemptrice
Après mon déménagement à Montréal en 2002, j’ai passé le plus clair de mes treize premières années au Tristar, un gym d’arts martiaux mixtes réputé.
Je m’y suis entraîné, j’ai combattu (avec un succès très mitigé) et j’ai même entraîné les débutants pendant plusieurs années. J’y ai surtout assisté à la ruée vers l’or existentiel de plusieurs jeunes maganés venus chercher cette rédemption agressivement vendue par la téléréalité The Ultimate Fighter pendant plus d’une vingtaine de saisons.
Bref, le sujet des arts martiaux mixtes me rend toujours à la fois curieux et chatouilleux. C’est ce qui a attiré mon attention sur la série Après le déluge, diffusée en ce moment sur Noovo et Crave. J’y ai découvert une série vigoureuse et remplie d’idées bienveillantes, qui travaille très fort sur beaucoup de fronts en même temps… mais qui ne les gère peut-être pas tous avec la même rigueur.
Parler de violence, c’est complexe
Après le déluge raconte l’histoire de Maxime Salomon (interprétée par Penande Estime), une policière qui dirige un programme d’arts martiaux mixtes pour jeunes en difficulté. Elle prendra sous son aile quatre ados et jeunes adultes aux profils on ne peut plus différents : la bagarreuse révoltée Dylane (Blanche Massé), le tourmenté Jay (un Steve Diouf très inspiré), la curieuse et expérimentatrice Eva (Erika Suarez) et le p’tit bum privilégié Vincent (Samuel Gauthier). À travers la série, Maxime se donnera pour mission d’altérer positivement leur destin.
Bon, il faut qu’on se parle de Dylane.
L’interprétation qu’en fait Blanche Massé est absolument irréprochable.
La jeune femme incarne à merveille toute la puissance impulsive que renferme la colère et c’est bonne chose que ce soit aussi bien représenté à l’écran. Là où j’ai un problème, c’est avec la manière romancée dont la série aborde le fait de contrôler la violence qui nous habite, surtout lorsqu’on est victime de violence comme l’est Dylane aux mains de sa mère (Marilyse Bourke) dès le début du premier épisode. C’est valorisant de penser qu’on peut dompter sa colère et sa violence comme un dragon, mais ce destin n’est pas accessible à tout le monde et surtout, apprendre à se battre n’est pas souvent suffisant pour faire la paix avec ses démons.
Le théologien Walter Wink avait un nom pour ça : le mythe de la violence rédemptrice, soit l’idée qu’infliger de la violence (dans un contexte compétitif ou non) puisse soigner et nous réconcilier avec celle dont on a été victime.
Comme tout le monde, je n’ai pas encore vu tous les épisodes de la série, mais la source de la colère et de la violence qui habite Dylane (sa mère) est encore dans le portrait et toujours plus volatile que jamais. Apprendre à se battre lui apprendra à se contrôler, mais tant qu’elle sera dans ce milieu toxique à son épanouissement.
Oui, il y a des gens qui s’en sortent avec les arts martiaux. Dans la vie comme en fiction, ça peut donner une carrière et un environnement sain autour duquel se bâtir un futur. Mais je trouve ça un peu fallacieux de présenter ça comme une bouée de sauvetage contre un milieu dysfonctionnel. Ça aide, mais ça ne sauve pas – ou du moins, pas tout le monde.
Vous l’aurez compris : je n’ai juste pas aimé le romantisme avec lequel Après le déluge traite les arts martiaux mixtes.
Jay, Vincent et les destins tourmentés d’une jeunesse en crise
Cela dit, le traitement de l’histoire de Dylane est vraiment le seul problème majeur que j’ai avec la série et ce problème est plus d’ordre philosophique que technique ou narratif.
Les personnages de Jay et Vincent m’ont tous deux touchés pour des raisons complètement contraires. L’un est un portrait complexe et nuancé d’une personne fraîchement sortie de prison qui essaie discrètement d’affirmer son identité de genre dans un milieu dysfonctionnel et conservateur, tandis que l’autre est un stéréotype au bord de la parodie d’un jeune homme blanc privilégié : beau garçon, quart-arrière de football, revendeur de drogues et, pendant les deux premiers épisodes, participant à un party entre jeunes blancs privilégiés qui n’aurait peut-être jamais pris fin si la police n’était pas intervenue.
C’est quand même une réussite assez spectaculaire que deux personnages aux tonalités si différentes puissent aussi bien coexister à l’intérieur d’une même série.
En fait, la vision presque onirique du privilège blanc mise de l’avant par la réalisatrice et scénariste Mara Joly met de l’avant le clivage brutal entre la réalité de Vincent et celles de jeunes personnes racisées comme Jay, Eva et Dylane. La bulle dans laquelle vit Vincent semble quasiment fictive tant elle est isolée du quotidien des autres personnages. Il n’a pas l’air d’être une vraie personne.
Et sans rien vous divulgâcher, il y a une raison à ça. Vincent va être amené à vivre un clash entre son monde et celui des autres jeunes qui participent au programme de Maxime et il va s’y intégrer aussi bien que ne le ferait un extra-terrestre. C’est un peu télégraphié, mais mis de l’avant avec tellement d’hyperbole que ça fonctionne. Ça va être le fun de voir Vincent se prendre une bonne dose de réalité.
Après le déluge est une série différente de ce que la télévision québécoise a l’habitude de nous offrir. Une série qui montre aussi des visages différents. J’suis pas encore prêt à y aller all-in,comme on dit au poker, mais je serai là jeudi prochain à 21h pour le prochain épisode.