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Apprendre à mettre mes limites

« Les deux dernières années d'isolement (...) m’ont forcée à découvrir certaines de mes limites malgré moi, et m’en ont imposé de nouvelles. »

Par
Marie-Hélène Racine-Lacroix
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Avertissement de contenu : violences sexuelles.

Je suis l’aînée d’une fratrie de trois. Mon frère, ma sœur et moi sommes très proches en âge et, même si nous avons une super belle relation aujourd’hui, j’ai passé beaucoup de temps à essayer de régler leurs chicanes quand nous étions enfants. Je détestais tellement les voir en conflit que j’appréciais leurs moments de paix… même quand ceux-ci consistaient à se mettre à deux contre moi. On en rit aujourd’hui, et ce n’était jamais très grave. L’événement le plus marquant est la fois où, en hiver, ils m’ont enfermée dehors quelques minutes, alors que je les gardais. Je me rappelle très clairement me dire que leur bien-être était plus important que mon confort.

J’étais déjà une enfant qui avait terriblement besoin de l’approbation des adultes et de mes pairs, alors être fine et accepter toutes les situations peu importe comment elles me mettaient mal à l’aise me semblait être la meilleure chose à faire. Je craignais tellement la confrontation que j’ai longtemps abandonné mes idées dès que quelqu’un exprimait un désaccord et, pire, j’ai accepté que des ami.e.s soient carrément méchant.e.s avec moi.

Dans la vingtaine, je suis devenue meilleure pour nommer mes limites, mais je me sentais coupable quand quelqu’un les dépassait.

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Ce n’était pas très sain, bien sûr. Je ne regrette pas grand-chose dans la vie, sauf les conclusions de certaines amitiés. Les scénarios se ressemblent : un.e ami.e commençait à me rendre inconfortable, voire me blesser, je ne lui en parlais pas parce que j’ignorais mes limites, et je finissais par mettre fin à l’amitié soudainement quand je n’étais juste plus capable de faire semblant d’être bien. Après, je me sentais coupable d’avoir fait du mal à cette personne, même si j’étais clairement mieux sans elle.

Dans la vingtaine, je suis devenue meilleure pour nommer mes limites, mais je me sentais coupable quand quelqu’un les dépassait. Je me disais que je n’avais probablement pas été assez claire, ou que je l’avais laissé faire, ayant figé sur le moment, et que c’était donc de ma faute.

L’affaire, c’est qu’on ne peut pas contrôler les agissements des autres, même si on a nommé nos limites. On ne peut pas non plus prévoir ou contrôler notre réaction quand une de nos limites est dépassée. Certaines choses devraient aussi ne pas arriver sans que l’on demande à l’autre son consentement.

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Quand j’ai commencé à écrire ce texte, je pensais sincèrement que ça allait être léger. J’allais rire de moi-même un peu et conclure qu’il faut s’écouter même si ça n’a jamais été dans notre personnalité. Mais je réalise que c’est dur de parler de mes limites et de mon sentiment de culpabilité sans mentionner les violences sexuelles que j’ai vécues.

J’ai longtemps jonglé avec la honte de ce qui m’est arrivé. Bien sûr, je sais qu’une agression n’est jamais la faute de la victime, mais, même si je me suis sauvée de ce doute, ces événements ont encore un impact sur ma relation avec mes limites. Je fais moins confiance aux gens, je doute parfois de ma perception de certains événements et, surtout, je me suis dissociée de mon corps.

J’apprends tranquillement à dire non à des projets ou à des sorties qui me tentent vraiment quand je sens que je ne suis pas assez en forme.

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La dissociation est un phénomène étrange. Dans mon cas, il y a des périodes de ma vie dont je ne me souviens presque pas, puisque je les ai vécues sur le pilote automatique. Ne me posez pas trop de questions sur la fin de mon bac, mettons. Encore aujourd’hui, il m’est vraiment difficile de connecter avec mon corps, malgré toute la méditation pleine conscience qu’on me conseille et beaucoup trop de dollars investis en physio et en thérapie.

C’est dur d’écouter son corps quand on a l’impression de juste être une tête qui flotte, déconnectée du reste. À cause de ça, et de probablement d’autres délicieux ingrédients du cocktail de mes traumatismes, j’ai tendance à ne pas me rendre compte que je m’épuise, ou encore que j’ai faim, la majorité du temps.

Les deux dernières années d’isolement, et tous les problèmes de santé que j’y ai eus, m’ont forcée à découvrir certaines de mes limites malgré moi, et m’en ont imposé de nouvelles. Des fois, j’ai l’impression d’être prise dans un cercle vicieux : j’ai des douleurs chroniques et dois essayer de les comprendre pour les traiter, mais trop penser à mon corps est difficile et me ramène parfois dans des flashbacks traumatisants.

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Malgré tout, je suis contente d’avoir été forcée à prendre une pause. J’apprends tranquillement à dire non à des projets ou à des sorties qui me tentent vraiment quand je sens que je ne suis pas assez en forme, et je suis devenue meilleure pour juger comment je me sens dans une situation. J’ai une plus grande gueule qu’avant, et je pense que c’est une bonne chose. Je n’arrêterai jamais de m’en faire pour le bien-être des autres, mais je travaille fort pour ne pas oublier le mien.