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Anthony Bourdain: hommage à un amoureux de Montréal
C’est à Vienne, dans une chambre d’hôtel générique, que j’écris ces mots et dans laquelle j’essaie doucement de reprendre mes esprits. J’ai ouvert mon téléphone machinalement tantôt, comme on le fait tous 195 fois par jour, seulement pour voir une photo de la face émaciée d’Anthony Bourdain, accompagnée de la fatalité de la légende « R.I.P Chef. ». J’ai ouvert la page des nouvelles, j’imaginais un infarctus, une embolie peut-être. Suicide. Le sol est devenu un peu mou, j’ai avalé ma gorgée de travers. Le mot a tapé sur les murs plein de graffitis et m’est revenu en pleine face. Le soleil s’est levé sur Vienne ce matin, sur Paris aussi, pis lui a décidé que le soleil se lèverait plus.
Je n’ai jamais connu le monsieur, n’ai jamais eu la chance de le rencontrer. Mais j’étais une jeune chef fraîchement sortie de l’école quand Kitchen Confidential est sorti et j’ai acheté ma première copie lorsque j’habitais à Vancouver, où je l’ai lu à maintes reprises pendant un été pluvieux. Je l’ai encore, elle dort sagement dans la bibliothèque, bordée par A Cook’s Tour et The Nasty Bits, respectivement les deux achats suivants que j’ai faits. J’avais pas une crisse de cenne, mais investir dans les livres de Bourdain ça comptait pas. L’humour acide et le regard percutant qu’Anthony Bourdain portait sur notre métier, couplé aux récits sordides du New York gastronomique des années 80, ont donné des histoires qui ont marqué toute une génération de chefs, jeunes et moins jeunes. Gageons que mes kids aussi vont les lire ces livres, et se diront peut-être que leur mère faisait un métier cool à l’époque.
Merci Chef, pour toute l’inspiration.
J’ai calqué plusieurs de mes voyages sur des endroits qu’il a visités pendant ses nombreuses émissions. Il a défroissé le tourisme gourmand plus que quiconque, tout le monde voulait être lui, en train de manger de la chèvre crue quelque part au Burundi. Y’a deux jours encore, au fin fond de l’Autriche viticole, on a mangé dans un restaurant incroyable qui cuisinait beaucoup d’abats. À notre arrivée, quelqu’un a dit « Bourdain has been here in one of his shows ». On a tous respiré mieux, sachant que la bouffe allait être bonne. Son nom était associé aux établissements de qualité à travers le monde, une forme d’approbation pour les restaurateurs. Devenir aussi célèbre et respecté en étant intègre et impeccable dans ses goûts, c’est un tour de force. If it’s good enough for Bourdain, then I’m eating here.
Le milieu de la bouffe a mal aujourd’hui. Mon feed Instagram n’est que photo après photo avec des écrits tout aussi crève-coeurs les uns que les autres. C’est un monument qui s’éteint, et qui laisse derrière lui un héritage considérable. Anthony Bourdain avait une relation unique avec Montréal, et comptait parmi les chefs d’ici plusieurs amis proches. Sincères condoléances à ceux qui l’ont connu. Et merci Chef, pour toute l’inspiration. On est tous un peu tes descendants et ta postérité vivra avec nous, qui sommes un peu hardcores, un peu rangés, toujours curieux, avec la passion dans le ventre. On aurait tous voulu te tenir la main pour te garder plus longtemps. On aurait voulu que le soleil ne se couche pas.
Commenter sur un suicide est impudique et je ne le ferai pas. Mais j’utiliserai cette tribune pour rappeler l’importance de promouvoir le soutien à la santé mentale. Pour rappeler à qui que ce soit lisant le présent texte de garder l’oeil ouvert pour voir les mains tendues, les appels à l’aide.
Et pour témoigner que la noirceur, même si elle semble empreinte de solitude, est toujours un endroit où on est beaucoup moins seul qu’on ne le pense. Une action, quelques mots peuvent sembler comme une montage à gravir lorsque toute est de la marde, mais parler est crucial. Pis si t’as pas envie de parler à qui que ce soit de ton entourage, des numéros anonymes existent dont celui-ci: 1-866-APPELLE. C’est vraiment moins difficile de combattre des dragons intérieurs à deux.