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Je serai transparent : Geneviève Pettersen est mon amie.
Ce reportage ne vise pas à la réhabiliter ni à excuser ses propos qui ont mis le feu aux poudres. Vous savez de quoi je parle.
Ce reportage ne vise pas non plus à détourner l’attention du fait que la seule véritable victime de cette histoire, c’est l’entrepreneure et Instagrammeuse Élisabeth Rioux, à qui on souhaite évidemment une cargaison de courage pour traverser l’épreuve qu’elle vit.
En fait, ce reportage vise simplement à répondre à cette question toute simple: on fait quoi maintenant?
Doit-on couper le micro à une rare femme dans un écosystème médiatique largement dominé par les hommes à cause d’un faux pas, aussi gros soit-il?
Les gens, en colère, vargent depuis quelques jours sur Geneviève et sa consoeur Julie Marcoux. Le débat est hautement émotif. La violence conjugale est un sujet ultra-sensible vécu presque exclusivement par des femmes, alors c’est normal de toucher une corde sensible parmi elles.
Mais à l’heure de la cancel culture, est-ce que lyncher collectivement une femme à qui on reproche ses paroles inappropriées envers une autre femme constitue la bonne solution?
N’est-ce pas plutôt une façon de perpétuer – malgré nous peut-être – ce cycle de la violence envers les femmes? Est-ce que l ’idée de rayer Geneviève Pettersen de l’espace public ferait avancer une quelconque cause, au-delà du défoulement?
Doit-on couper le micro à une rare femme dans un écosystème médiatique largement dominé par les hommes à cause d’un faux pas, aussi gros soit-il?
Bref peut-on pardonner et trouver un dénouement constructif à cette affaire ?
En tant que quadragénaire blanc privilégié, je suis probablement la pire personne pour répondre à ces questions. Mon jupon dépasse de toute façon.
J’ai donc tendu mon bloc-notes à plusieurs militantes féministes influentes. Qu’en pensent-elles?
« On ne naît pas woke, on le devient »
C’est Vanessa Destiné qui, sans le savoir, m’a donné l’idée de ce reportage.
Elle commentait la veille une publication virulente dirigée contre Geneviève, soulignant que même si l’animatrice l’avait échappé, il fallait faire attention de ne pas disqualifier l’ensemble de son « œuvre » à cause d’un seul événement. « On aurait dit que c’était une conversation de cour d’école avec la mean girl en chef qui varge sur l’autre fille populaire dont elle est jalouse », illustre Vanessa, au sujet de l’événement en question.
Elle souligne toutefois notre hypocrisie collective envers les influenceurs. « On a tous ri du côté superficiel des influenceurs… de PO Beaudoin par exemple. Il y a des traitements différents, selon nos goûts et nos allégeances. C’est juste qu’avec Élisabeth, ce n’était pas le bon moment », explique la chroniqueuse, qui papillonne sur plusieurs plateaux à Radio-Canada et à Télé-Québec.
Les excuses de Geneviève aux allures de mise au point n’ont peut-être pas été super réussies, ce qui a possiblement attisé la haine dirigée contre elle, croit Vanessa. « La plateforme utilisée pour dénigrer devrait être la même pour présenter des excuses sincères », explique Vanessa, qui a d’ailleurs coanimé une émission à QUB Radio avec Geneviève dans le passé. En fait, après avoir présenté des premières excuses sur Instragram, l’animatrice a fait son mea-culpa en ouverture de son émission le lendemain.
Oui, c’est possible de l’échapper en 2020, même après ce que le mouvement #Metoo nous a appris sur le traitement réservé aux femmes qui dénoncent.
Elle soutient que l’erreur est humaine et qu’il faut cesser de s’attendre à des parcours sans faille. « On ne naît pas woke, on le devient », illustre Vanessa, ajoutant que personne n’est à l’abri d’une erreur en raison de ses biais personnels. « Oui, c’est possible de l’échapper en 2020, même après ce que le mouvement #Metoo nous a appris sur le traitement réservé aux femmes qui dénoncent. »
Elle ajoute qu’on ne devrait pas discréditer l’ensemble d’une carrière qui a été marquée à défendre les droits des plus vulnérables. « Quand Geneviève reçoit Manon Monastesse de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes comme elle l’a fait à plusieurs reprises dans son émission, ça ne fait pas nécessairement les manchettes », résume-t-elle.
Vanessa met en outre en garde contre le Dogpiling, un phénomène décrivant le fait de s’y prendre à plusieurs pour commenter avec agressivité un propos avec lequel on est pas d’accord et encourager d’autres personnes à le faire, une sorte de meute virtuelle quoi. « Ça devient de l’intimidation et c’est à dénoncer. On n’est pas plus avancé si les gens se mettent à envoyer des menaces de mort », tranche Vanessa, qui n’est pas non plus surprise de constater que l’animatrice reçoit plus de haine que son collègue masculin. « Pourquoi s’en prendre à une alliée? Entre autres parce qu’on exige d’elle une pureté morale », analyse-t-elle.
La chroniqueuse espère que cette histoire servira de prétexte à discuter de la violence entre les femmes et à aller de l’avant. « On n’apprend pas si on fait disparaître les gens. Effacer l’existence de quelqu’un n’aide personne à cheminer. »
Rien de productif
« Il n’y a rien de productif à annuler quelqu’un dans l’espace public sauf si c’est vraiment grave », lance d’emblée la journaliste Judith Lussier, citant des crimes sexuels ou des gestes portant atteinte à des communautés de manière intentionnelle.
Si elle reconnaît que Geneviève a fait des erreurs, elle admet qu’il existe un traitement différent envers les animateurs/chroniqueurs masculins influents tels que Benoît Dutrizac dans le cas présent, nettement moins ciblés par ces virulentes attaques.
Judith le constate: les femmes sont rough avec les femmes. « La société est plus raide envers les femmes en général et les femmes n’échappent pas non plus à la misogynie », nuance la journaliste, d’avis que le dialogue sera toujours la meilleure option. « Dans des cas comme le dérapage de Geneviève, c’est super important de pouvoir critiquer sans que ça l’annule », insiste-t-elle, qualifiant d’«exagérée» la haine reçue par l’animatrice.
Dépersonnaliser le débat
Pour l’autrice Léa Clermont-Dion, la clé est vraiment d’essayer de dépersonnaliser le débat. « Ce qu’elle (Geneviève) a dit c’est grave, c’est important de le souligner, mais ça ne sert à rien de tomber dans la haine. On commet tous des erreurs », affirme Léa, qui estime qu’on devrait de toute façon en revenir des débats entourant le corps de la femme en 2020.
Ce qu’elle (Geneviève) a dit c’est grave, c’est important de le souligner, mais ça ne sert à rien de tomber dans la haine.
Si le sujet est chaud, Léa ajoute qu’il s’agit néanmoins d’une occasion en or de parler de violence conjugale, surtout en pandémie. « Si une femme se tourne vers les réseaux sociaux pour partager une histoire de violence conjugale, ça dénote peut-être un manque au niveau de l’entourage ou un problème structurel en ce qui a trait aux ressources d’aide pour appuyer les victimes », croit-elle, sans nécessairement parler du cas précis d’Élisabeth Rioux.
D’ailleurs, elle s’est elle-même tournée vers les médias sociaux pour dénoncer une agression sexuelle il y a quelques années. « Peut-être que je n’avais pas les ressources ou que j’avais besoin de briser le silence, retrouver une forme d’empowerment. Je trouve juste dommage que le fait de ridiculiser Élisabeth Rioux incite des jeunes à se taire pour ne pas se faire humilier », souligne Léa Clermont-Dion, qui encourage les jeunes à parler.
Si Benoît Dutrizac se fait moins varloper que Geneviève Pettersen, c’est parce que le premier ne s’est jamais présenté comme un allié, ce qui attise moins la déception et les attentes, croit Léa. « Mais une femme qui commet des erreurs dans l’espace public paie le prix plus cher », assure-t-elle.
Léa explique avoir elle-même dû surmonter une polémique en marge de la sortie de son documentaire «Beauté fatale», où plusieurs lui reprochaient d’être grosso modo trop belle pour aborder le sujet complexe du culte des apparences. « J’ai vécu ça rough, mais ça fait partie de la vie publique. Je trouve qu’on est très raide avec tout le monde dans l’espace public » constate Léa, qui reconnaît que des sujets tels que la violence conjugale vont inévitablement mettre les gens à cran. « Ça vient chercher les victimes qui n’ont pas été écoutées, c’est pour ça que c’est aussi sensible », résume Léa Clermont-Dion.
La peur de s’exprimer
En marge de « L’affaire Rioux», l’animatrice et comédienne Rosalie Bonenfant a publié une vidéo visionnée plus de 744 000 fois sur Instagram au moment d’écrire ces lignes dénonçant la corrélation douteuse entre l’intelligence et l’apparence. Même si les propos de l’animatrice sont « venus la chercher », elle dénonce toutefois l’acharnement dirigé contre elle. « Pour moi c’est contre-productif de basher une femme, mais j’ai pas l’impression que c’est juste un simple faux pas », explique Rosalie, qui reproche aux médias traditionnels d’avoir souvent trainé les influenceurs dans la boue. « Faut en revenir des influenceurs, les ramasser n’est pas la solution », souligne l’autrice.
Elle constate que la colère collective envers les médias traditionnels découle peut-être aussi d’un ras-le-bol de la part des personnalités médiatiques du web, tannées d’être considérées comme des sous-humains par le milieu.
J’ai fait ça slut shammer moi aussi.
Elle se réjouit de cet article levant le voile sur la compétition insidieuse qui se développe entre les femmes. « J’ai fait ça slut shammer moi aussi. On vit toutes ça, c’est pour ça que ça nous fait autant réagir », explique la jeune femme, d’avis que des excuses plus senties auraient sans doute mis le couvercle sur la marmite.
Pour la suite des choses, Rosalie ne cache pas son pessimisme. Elle craint une forme d’autocensure pour éviter aux personnalités influentes de se retrouver dans l’eau chaude. « Ça va nous donner peur de s’exprimer, même si on devrait avoir le droit de se tromper. Pendant le Black Lives Matter, je ne voulais plus me prononcer parce que j’avais peur de me mettre le pied dans la bouche », confie-t-elle.
Rosalie estime qu’il est néanmoins urgent de parler de violence, mais note que les véritables changements doivent partir des institutions. En attendant, elle invite à relativiser les choses. « On gagne tous à arrêter d’être dans l’absolu. On ne peut pas réduire tout ce qu’est une personne à un commentaire. »
Envisager le pardon
D’entrée de jeu, l’essayiste, romancière et militante Martine Delvaux ne voulait pas trop commenter la saga en cours lorsque je l’ai contactée. Comme les autres, elle se dit entièrement en désaccord avec les propos tenus à l’antenne de LCN et QUB radio, un risque auquel s’exposent hélas souvent les radios d’opinion, croit Mme Delvaux, qui enseigne également la littérature à l’UQAM. « Je pense par contre qu’on est extrêmement durs avec les femmes », nuance-t-elle, en référence aux critiques plus acerbes dirigées contre les animatrices. S’il est impossible de ravaler des paroles blessantes libérées sur la place publique, souligne Martine Delvaux. Elle ajoute qu’on peut, voire même qu’on doit s’excuser le plus clairement et le plus directement possible.
Et après? Qu’est-ce qu’on fait?
« Est-ce qu’il ne faut pas penser la question du pardon », demande-t-elle, « et essayer de ne pas reproduire entre nous une violence que par ailleurs on dénonce, celle qu’on reçoit en tant que féministes »?