Logo

Anne, son rein et le karma

Par
Judith Lussier
Publicité

On ne donne pas pour recevoir, mais lorsqu’on donne un rein à un ami, on serait quand même en droit d’attendre un peu en retour du karma. Mais le karma est ainsi fait qu’en donnant un rein, il arrive parfois qu’on perde sa job. C’est ce qui est arrivé à Anne B. Godbout. Alors qu’elle partait en congé de maladie pour cause de don d’organe, son patron a décidé de couper son poste.

Vingt-trois ans, la fille. Mère monoparentale de deux enfants, un super grand cœur et d’autres organes qui, apparemment, fonctionnaient très bien. Elle a décidé de donner l’un de ceux-là à son ami Hugo. Victime du syndrome d’Alport, Hugo doit se pointer à l’hôpital trois fois par semaine pour des shifts de quatre heures sur la machine à dialyse depuis un an et demi. Il en ressort chaque fois lessivé et abattu. Cette opération changera sa vie. Et celle d’Anne.

C’est pas rien, donner un rein. C’est des milliers d’examens, des tests, plein de prises de sang, une anesthésie générale et le risque de ne jamais se réveiller que ça comporte, une semaine à l’hôpital, huit de convalescence, le risque de complications par la suite. C’est aussi n’avoir plus qu’un rein, et être condamné pour le restant de ses jours à le chérir jusqu’à la moelle, même si la moelle, c’est ailleurs dans le corps. Bravo Anne.

Publicité

Au Canada, rémunérer une personne pour ses organes est illégal. On comprend bien la logique. Mais si ce n’était que de moi, les donneurs d’organes mériteraient qu’on se prosterne devant eux pour le reste de leurs jours. Ils mériteraient de passer dans la section «Le geste qui compte» à chaque numéro du Reader’s Digest. Ils mériteraient d’être reçus au bureau de Stephen Harper avec la même déférence que deux pandas venus de Chine. Pas de perdre leur job.

Du retour de karma, Anne B. Godbout en souhaite surtout à son ancien patron. «Il est pas très correct comme employeur, sans croire au karma et ces trucs, je suis certaine que ça va finir par lui revenir», m’a-t-elle dit avant même que je lui dise que ce qui m’intéressait, dans son histoire, c’était ça, le karma. Cette espèce de croyance orientale selon laquelle si tu craches dans les airs, ça va invariablement te retomber dessus, et l’inverse.

Pourtant, même si ça peut avoir l’air cheap, de renvoyer une fille qui va donner son rein, ça se peut. Il y avait des restructurations à faire et Anne est passée dans le tordeur, sans que son don de rein n’ait rien à voir dans le rapport de causalité. Ça fait partie des choses qui arrivent. Comme accepter un poste à l’étranger alors que d’autres ont besoin de nous ici. Comme placer un parent en CHSLD. Comme se départir d’un chat parce qu’on est allergique, finalement. Comme laisser sa blonde une semaine avant sa fête ou un mois après le décès de sa mère. Il n’y a juste pas de bon timing pour laisser sa blonde. Et tout ça ne fera jamais en sorte que vous méritiez de vous faire piétiner par un troupeau d’alpagas.

Publicité

Si le karma existait, les pandas auraient été reçus par quelqu’un d’autre que Stephen Harper à Ottawa. Le gros cave libertarien de Sainte-Anne-des-Monts qui a écrit les 42 points négatifs à propos des femmes nord-américaines, texte qui commence par «Elles sont grosses», se ferait passer sur le corps par 42 vierges obèses et mourrait dans ses vomissures. Daniel Thomas jouerait le bon dans toutes les émissions et les profs de yoga qui donnent des sessions karma rouleraient en BMW… électrique.

Mais non.

«Difficile de croire au karma, m’a dit Anne, quelques jours après avoir perdu sa job et quelques heures avant de passer sous le bistouri. C’est pas la première fois que tout va mal en même temps dans ma vie». Y a des personnes comme ça, dont on dirait que tout le mal du monde leur est destiné. Comme mon oncle qui est passé au feu trois fois. Moi, zéro. Des choses qui arrivent.

Seul petit retour de karma pour Anne, les parents d’Hugo, qui n’étaient pas compatibles avec lui rénalement parlant, ont offert à Anne de garder ses enfants. Quant à Hugo, il vivra dorénavant avec le rein d’Anne. «Dans tout ça, mon plus grand stress, c’est pour Anne. Le fait qu’elle ait perdu son emploi s’ajoute à ça», dit-il, en essayant de ne pas trop se sentir en dette, parce que c’est ça que les psychologues recommandent à ceux qui reçoivent un organe. «Mais je serai toujours là pour elle».

Publicité