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Alors, le film sur Céline, il est bon?
Cette semaine marquait la grande rentrée parisienne d’Aline, un biopic sur Céline Dion qui nous provient tout droit de l’imaginaire déjanté de l’actrice-productrice-humoriste Valérie Lemercier. Même si le reconfinement a chamboulé tous les plans de lancement, on a réussi à se faufiler pour sustenter votre soif de commérage. De rien.
L’appel était lunaire, tout comme la proposition qu’il amenait.
Je suis polie et je ne lui dis pas que le film est attendu avec une brique, un fanal et une bûche de bois à chauffage par la clique québécoise.
– Bonjour, ici machin (chaîne de télé assez big) de l’émission bidule (tout aussi big – qui contient le mot cinéma). Nous aimerions avoir un point de vue québécois sur le film Aline. En avez-vous entendu parler ?
Je suis polie et je ne lui dis pas que le film est attendu avec une brique, un fanal et une bûche de bois à chauffage par la clique québécoise. Non seulement Lemercier s’attaque à une icône nationale, la nôtre – nous sommes possessifs quand ça nous arrange – mais la crainte d’une litanie de clichés grossis au gros trait plane sévère sur l’affaire. Imitation d’accent, Amérindiens, hockey, poutine, Tabernacle et Sainte-Flanelle… c’est qu’on a déjà tellement donné. Ajoutons la propension marquée de Lemercier à faire majoritairement dans la parodie: la table est mise, mode Palais-Royal, pour l’hécatombe.
– Voui oui, j’en ai entendu parler.
Après m’avoir posé 2-3 questions pour s’assurer que j’étais en mesure d’aligner trois mots sans être sous-titrée, le journaliste me propose deux rendez-vous improbables en ce lundi de préconfinement. Ma mission, que j’ai acceptée d’emblée : me rendre à une projection privée avec un autre Québécois, pour ensuite donner une entrevue au studio de la big chaîne de télé avec mon binôme autochtone.
Mettons les choses au clair de suite. Je suis loin d’être une fan absolue de notre trésor national made in Charlemagne. Certes admirative de la carrière internationale de la femme devenue empire, envieuse de sa garde-robe pimpée par le dernier styliste star, jalouse de son lifestyle fait de fashion week et Met Gala à gogo. Il m’arrive aussi (oui bon OK on ne va pas en faire tout un plat) de chanter (hurler ?) J’irai où tu iras sous la hotte de cuisine, accompagnée en cœur de mon harem gai.
Mais que La Poune m’en témoigne, dans mon livre à moi, les lettres q-u-é-t-a-i-n-e flashent en néon mauve fluo – style affiche de bowling – lorsqu’il est question de Céline. On ne saurait donc m’accuser, ici, de délire fanatique. De voyeurisme peut-être : force est de constater que cette opportunité me chatouillait sérieusement la ceinture fléchée. Et comme j’aime Valérie Lemercier d’amour pur, compromettre mon combo du mardi brassée de masques et yoga me semblait jouable.
Aussi, cocasserie, le hasard de la vie et une connaissance commune un peu branchouille m’avaient permis de papoter avec elle un soir de printemps… L’action se déroule au Centre Culturel Canadien de Paris, nous sommes de la poignée d’amis du Canada qui assiste à une lecture de l’auteur Christian Guay-Poliquain venu offrir son livre en pâture aux Français. D’ailleurs, connaissez-vous le CCC? Vous devriez, mais là n’est pas le propos. En bonne stalker professionnelle, j’ai attaqué au flan, excitée comme une puce au salon de la moquette de pouvoir saluer le monument. Valérie. Pas Christian, que je ne connais pas encore.
– Bonjour Valérie, je suis Nathalie. Machin ne cesse de me dire que nous devons nous rencontrer.
– Ah, mais oui, il m’a parlé de toi ! Semble-t-il que tu es très drôle.
– Euh.
M’enfin. On dévie forcément sur LE film qui, s’il n’a pas fait de vagues alors au Québec, fait frétiller Paris. Parce que Lemercier, parce que Céline, parce que Québec-Canada. Elle confiera avoir contacté l’équipe de la star qui, sans s’opposer au projet, ne l’a pas particulièrement appuyé non plus. Elle est belle, grande, fofolle : comme Céline dans un lancement de sacoche. Pendant qu’elle me raconte son souhait de voir le public canadien adopter son bébé, je croise les doigts fort fort parce que… ce n’est pas gagné. Ce que je me garde bien de lui dire, puisqu’on se rappelle : je suis polie.
Retour vers le futur. Mercredi, veille du confinement 2 annoncé, dans un quartier bien famé de l’Ouest parisien. J’arrive à 14 heures, rue du midi. On m’installe dans une mini salle de cinéma, seule. Arrivent deux journalistes et le collègue québécois que, oh joie, j’ai croisé plusieurs fois autour d’une Blanche de Chambly. Benjamin est le sympathique tenancier du Quebecium, haut lieu du manger québécois à Paris. Est-ce qu’on s’embrasse ? Shit je ne sais pas. Tous installés dans nos rangées, on se regarde, sourcils en circonflexe.
– C’est spécial, non ?
– Vous êtes qui, vous ?
– Aimez-vous Céline ?
Le suspense est total. L’ambiance un peu weird. Chut. Ça commence.
Que dire ?
Que j’ai ri ? Oui.
Que j’ai pleuré ? Voui.
Que j’aurais aimé haïr ça pour médire un peu ? Tellement.
Que c’est cheesy. Bien sûr, c’est Céliiiiiiine.
Que c’est un grand film, clairement pas.
Toutefois, la vérité c’est que c’est bon et que ça marche pour plusieurs raisons.
Le respect. Tant la bande-annonce, la propension à la parodie de Lemercier que la production française d’une réalité québécoise sentaient le brûlé. Autant dire que je n’étais pas rassurée. Surprise agréable que de retrouver nombre de vrais québécois dans les rôles principaux (Sylvain Marcel, Roc Lafortune, Antoine Vézina, Danielle Fichaud) et constater qu’Aline avait mieux bossé son accent que les acteurs de Michalik. Pas de blasphèmes aux deux frames non plus, et une petite gêne de l’actrice, qu’on apprécie, à rendre clownesque la Diva des karaokés. C’est drôle, mais digne. Précisons que la productrice a bossé son projet pendant trois ans et interprète une Céline en kaléidoscope, de la mièvre adolescente à la bête de scène. Respect, disais-je donc.
La recherche. Moments phares (Eurovision, coming out amoureux, mariage, Vegas, problèmes de voix), costumes mythiques (perfecto de jean, robe des Oscars, manches froufrous), stylisme du Québec rétro (verres à moutarde, gruau Quaker, cuisine familiale), sorties médias (Unes célèbres, Snyder)… La production a fait ses devoirs, si bien qu’on flash-back avec une douce nostalgie dans le décor.
Le voyeurisme. Soyons clairs, Aline raconte les moments phares de Céline Dion tels que perçus par Valérie Lemercier. À la manière d’une bio romancée en quelque sorte, on obtient le récit fantasmé des moments, petits et grands, de la vie de Céline Dion. L’adolescente, l’amoureuse, la star internationale, la femme. Si nous avons suivi avec appétit (ou médisance) sa carrière fulgurante par le 7 Jours depuis ses tout débuts, peu peuvent se vanter d’avoir été dans la cuisine de la Maman Dion courroucée par l’impressario devenu prétendant, la chambre à coucher des amants en quête de devenir parents, et encore moins la noire limo sillonnant le désert du Nevada après un show. Par Aline Dieu et ses personnages satellites (Sylvette, Anglomard, Guy-Claude, etc), Valérie Lemercier traduit sa vision de la vie surnaturelle d’une artiste qu’elle admire, ça ne fait aucun doute. On le feel dans son récit pour la Céline-Aline tantôt vulnérable, tantôt carriériste, triste ou rigolote. On se lie d’affection pour le frère-protecteur, le maquilleur-confident, le mari-amoureux.
Pis, c’tu bon ?
Je dirais que rapidement, j’ai oublié l’accent réussi-mais-pas-tout-à-fait, et l’Aline vite devenue Céline, pour faire, sommes toutes, très bon voyage dans l’autobus du showbusiness chromé d’Aline Dieu, et croire, telle une jeune fille en fleur, à son conte de fées.
À voir on ne sait pas quand dans un cinéma près de chez vous.
https://www.youtube.com/watch?v=iLJsJ8vVYZA