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Aller à la bibliothèque pour briser l’isolement
Aller à la bibliothèque pour briser l’isolement.
C’est peut-être la chose la plus triste que vous avez lu de votre vie à part des statuts-fleuve de gens qui racontent pourquoi ils prennent une pause sur Facebook, mais c’est le constat auquel on arrive après une mini-tournée de bibliothèques en marge de leur récente réouverture.
Ce phénomène rare dans le contexte actuel (quelque chose qui rouvre) est d’ailleurs passé pas mal inaperçu, sans doute parce que les gens sont occupés à tergiverser pour statuer si la nouvelle série Bridgerton est oui ou non de la chnoute.
En résumé: les jeunes peuvent se rendre depuis deux semaines à la bibliothèque pour étudier, un privilège étendu depuis le 18 janvier au reste de la population. Du moins, c’est le cas à Montréal comme on peut le lire sur la page de Bibliothèques Montréal.
J’écris ces lignes assis seul dans la section réservée à cet effet à la bibliothèque de Saint-Michel. En arrivant, j’ai croisé une ancienne camarade d’URBANIA dont j’ai oublié l’identité qui promettait de venir télétravailler d’ici pour changer le mal de place.
Après avoir salué l’agent de sécurité costaud me demandant si j’avais des symptômes, le monsieur à l’accueil m’a désigné la table de travail #1, probablement parce qu’il a senti que j’étais un WINNER. « On demande aux gens de venir au minimum une heure pour éviter que les cols bleus nettoient sans arrêt les postes de travail », m’a expliqué le sympathique bibliothécaire masqué, avant de me lire à voix haute la longue liste des règles à suivre.
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En gros: Port du masque obligatoire en tout temps, travail individuel seulement ( pas de ces FOUS partys de travail d’équipe… ) et interdiction de manger ou boire (sauf de la nourriture pour l’âme awww).
Des ordinateurs sont aussi à la disposition des gens, pour leur permettre d’aller sur Internet prendre des nouvelles de la chicane censurée entre Varda et MC Toupin. Les rayons sont fermés par contre, sauf pour les gens qui viennent récupérer des livres réservés en ligne. Voilà, vous savez tout.
Et me voilà coincé ici une heure pour ne pas faire chier le col bleu. Je pourrais plaider que ce dernier se crisse pourtant pas mal de moi quand il réveille ma maison en déneigeant à deux heures du matin, mais inutile d’être rancunier.
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Deux autres jeunes hommes débarquent ensuite tour à tour, s’installant à une même table, mais à une saine distance.
«Ce qui est bizarre, c’est que les conditions pour réaliser les études changent, mais pas les attentes. Performer sans avoir les meilleurs outils, c’est utopique.»
Celui au poste de travail #3, Simon, me raconte venir ici pour être capable de se concentrer pendant la rédaction de sa maîtrise. « Considérant que nous sommes trois dans un quatre et demi et que j’ai un TDAH, ce n’est pas la joie quand il faut réfléchir intensément », avoue Simon, qui a dû réorganiser sa façon de travailler atypique en raison du couvre-feu. « Le pire a été d’aller dans des parcs jusqu’à deux heures du matin en octobre parce que tout était fermé. La nuit/soirée a toujours été ma période de prédilection pour écrire et réfléchir, car je suis moins distrait », ajoute Simon, qui compatit avec les étudiants inscrits à plein temps à distance. « Ce qui est bizarre, c’est que les conditions pour réaliser les études changent, mais pas les attentes. Performer sans avoir les meilleurs outils, c’est utopique », résume-t-il.
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Sortir à la Grande bibliothèque
Il me reste encore vingt minutes avant de pouvoir partir. J’en profite pour raconter ici ma première escale faite plus tôt à la Grande bibliothèque, là où un autre agent de sécurité m’a demandé si j’avais des symptômes en arrivant.
À ce sujet, près d’un an après le début de la crise, on sent une petite exaspération concernant le questionnaire de santé à l’entrée. Avec 14 000 pubs quotidiennes du gouvernement à la radio, les points de presse quotidiens du PM et le Purell obligatoire partout, la plupart des gens ont bien intégré la consigne de rester à la maison en cas de perte d’odorat.
« Vous pouvez aller vous asseoir au 2e ou 3e étage, en respectant les consignes», m’avait donc indiqué une gentille dame au rez-de-chaussée de la Grande bibliothèque, en griffonnant simplement mes initiales dans un registre. Un nombre maximum de visiteurs est admis et on recommande de réserver en avance.
La dame m’a aussi expliqué qu’il fallait quitter durant une heure en après-midi, le temps d’un nettoyage.
Les portes de l’ascenseur se sont ouvertes sur un troisième étage semi-barricadé, là où m’attendait un autre préposé derrière un comptoir en Plexiglas. Il m’a répété les règles entendues deux étages plus bas. « Pas le droit de manger », a-t-il aussi souligné.
Difficile de ne pas le prendre personnel.
Être un tantinet baquet ne signifie pourtant pas que je mange constamment.
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Je m’étais installé au fond de la salle, près des fenêtres. La bibliothèque avait ouvert ses portes à peine une heure avant et l’étage affichait presque déjà complet. On n’entendait d’ailleurs pas une mouche voler, sinon quelques zippers de sacs à dos et le son des doigts qui se faisaient aller sur les claviers.
«La fermeture de tous les endroits a été très brutale pour ma motivation et ma concentration. Ça me fait du bien de venir étudier ici.»
Un agent de sécurité multipliait les rondes aux cinq minutes, ce qui compliquait grandement mes possibilités d’entrevues avec des visiteurs environnants. Comme je suis un génie, j’ai tendu mon laptop de loin avec ce message aux gens autour.
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Ma voisine Sevghi m’a écrit aussitôt, afin de m’expliquer les raisons de sa présence ici. « Je viens pour étudier. J’avais l’habitude de toujours étudier en dehors de chez moi avant la COVID. La fermeture de tous les endroits a été très brutale pour ma motivation et ma concentration. Ça me fait du bien de venir étudier ici », m’a raconté l’étudiante inscrite en psycho et en religions d’Asie de l’est à l’Université McGill.
C’était sa deuxième visite à la Grande bibliothèque, mais elle promet de visiter d’autres endroits prochainement. « Lire, écrire, manger et dormir au même endroit, c’est dur à la longue. Venir ici me force à sortir, prendre une marche et je pense que c’est vraiment important de briser le sentiment d’isolement », a ajouté Sevghi.
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Une entrevue en «chat» avec ma voisine Sevghi
Au deuxième étage, il y avait moins de monde, sinon quelques personnes plus âgées en train de flâner sur Internet.
Dehors, le va-et-vient était incessant. La plupart des visiteurs ramenaient des livres et allaient en récupérer de nouveaux au comptoir.
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Baptiste lui, venait profiter de la quiétude des lieux pour étudier. « Je vis en colocation et je viens pour avoir un peu moins de bruit, sortir un peu et voir la Ville », soulignait ce futur ingénieur de McGill fraîchement arrivé de France, il y a un mois. « J’habite tout près sur le Plateau », a souligné ce grand gaillard, qui doit se sentir aussi spécial là-bas qu’un Tremblay au Lac-Saint-Jean.
Maria Isabel, elle, venait tout juste d’apprendre (grâce à qui hein?) que la bibliothèque était accessible au public. « Je suis en télétravail depuis peu alors ça pourrait être une option. Je vais me tanner vite d’alterner entre la cuisine et le salon », avouait en riant la jeune femme travaillant en architecture, venue rapporter deux romans de Celeste Ng lus en trois jours.
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L’heure est terminée à la bibliothèque Saint-Michel.
ENFIN LIBRE!
Il ne me reste qu’une escale pour que cet article soit digne d’un prix Judith-Jasmin ( c’est comme le Pulitzer, mais pour les gens qui travaillent à La Presse ou Radio-Canada), soit la rutilante bibliothèque Marc-Favreau sur Rosemont.
En traversant le boulevard pour m’y rendre, je réalise à la dure que la vendeuse du Yellow m’avait menti en répondant « oui» à la question: est-ce que mes bottes sont imperméables?
C’est donc les pieds mouillés que j’entre dans la bibliothèque, avant d’être aussitôt refoulé, faute de places. Les treize places disponibles sont hélas occupées en milieu d’après-midi. « C’est possible de réserver pour le lendemain et le surlendemain », m’explique la dame à l’entrée, avec empathie.
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Morale de cette histoire, les gens se garrochent nombreux dans les bibliothèques, même si leur réouverture demeure à ce jour un secret bien gardé.
Après cet article, parions que les bibliothèques deviendront rapidement les nouveaux Costco.
D’ici l à, ayons une pensée solidaire pour tous ces cafés et locaux de coworking toujours fermés parce que…parce que…parce que quoi donc?