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Il y a des univers de fiction qui nous interpellent tout particulièrement. Voici une courte série de notre collaborateur Jeremy Hervieux qui explore comment certaines interactions avec nos profs, en apparence banales, prennent une dimension étrange et tout à fait curieuse lorsqu’on les extirpe de nos souvenirs.
En secondaire 3, on fait avaler des poires d’angoisse à notre prof d’éthique. Elle dit « amène-moi ton agenda » et on lance notre agenda par la fenêtre en disant oopsy daisy. Notre matériel scolaire s’écrase dans les pare-brise des autos en dessous avec la violence d’une perdrix qu’on vient d’abattre. Pauvre Doris, on devrait plutôt tourmenter le prof d’éduc, celui qui nous montre à jouer au basket en disant : « Pour faire un tir au panier réussi, faut lancer le ballon en cassant nos poignets comme les tapettes ». Mais on choisit de s’en prendre à Doris parce que ses réactions sont drôles. À un moment, elle fait l’erreur de partir aux toilettes et on l’embarre dehors. On attend que les larmes naissent dans ses yeux pour lui ouvrir. Doris décide alors que ça va faire. Aux grands maux les grands moyens : le lendemain, on découvre avec surprise un nouvel arrivant dans notre classe, pas mal plus vieux que nous.
Doris dit : Je vous présente Jesùs, mon fils. Il a les bras croisés et un air bête, on comprend tout de suite que Doris compte l’utiliser comme chien de garde pour nous discipliner. Ça fonctionne : on ferme nos gueules parce qu’on sent dans nos nuques le regard perçant de Jesùs, qui veille sur sa mère avec la beauté d’un Ange. On observe sa splendeur dans le reflet de nos calculatrices scientifiques : ses cils sont longs, recourbés, les fils électriques doivent remuer quand il cligne des yeux. On va aiguiser nos crayons juste pour le contempler, son visage me donne envie de lui construire un autel et d’y faire fondre mes plus beaux cierges. Il a encore l’étiquette sur sa casquette et c’est tellement cool que ça me pogne dans le ventre. Le matin d’après, je me vide la bouteille de gel dans les cheveux pour faire comme lui, ça me fait un genre de casque de Playmobil en croûte.
Mais en rentrant dans la classe, je constate avec malheur qu’il n’est plus là pour nous resserrer les bretelles. Doris commence son cours, et pour une rare fois les élèves sont à l’écoute, respectueux. Puis je garroche mon agenda par la fenêtre dans l’espoir de faire revenir Jesùs.
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