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« Afrodisiaque » ou la lettre d’amour aux cheveux afros

Rencontre avec Maryline Chery, comédienne, dramaturge et femme engagée.

Par
Malia Kounkou
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« Comment on fait pour parler aux gens d’un sujet rough sans pour autant les accuser ou les marteler ? » C’est à voix haute que la comédienne Maryline Chery formule le fil rouge de son prochain spectacle, Afrodisiaque.

Dans cette pièce écrite de sa main et produite par le Collectif Théâtral Potomitan, la dramaturge d’origine haïtienne se questionne sur la place donnée aux cheveux de femmes noires, brunes et métissées au sein de la société. Bien que seule sur scène, Maryline se fait porteuse de nombreuses histoires symboliques et les livre avec un humour qui met chaque spectateur face à lui-même. Une expérience rendue disponible les 25, 27 et 28 novembre prochains au Centre Segal des arts de la scène.

«Le but de la pièce, c’est de montrer aussi la fatigue que les personnes noires éprouvent quotidiennement en S’adaptant constamment à tout.»

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Ce projet, elle le peaufine officiellement depuis 2016. Officieusement, il est la somme de tous ses différents sursauts de consciences capillaires, qu’ils aient été durant ses études en arts de la scène à Concordia ou bien au cours de son enfance en région, sa texture de cheveux l’excluant d’office de la norme. Le crâne aujourd’hui semi-rasé — « c’est vraiment libérateur, ça t’apprend à t’aimer sans artifices » —, elle nous explique le message de résilience dont Afrodisiaque est porteur.

Crédit : Courtoisie Maryline Maryline Chery / Jeremy Cabrera
Crédit : Courtoisie Maryline Maryline Chery / Jeremy Cabrera
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Pourquoi avoir choisi un solo théâtral comme méthode d’interprétation?

Au départ, je me suis juste dit : personne ne m’offre de rôle intéressant alors je vais m’en offrir sept! Puis, l’essence même du spectacle, c’est le rhizome dans la tête d’une fille noire de treize ans. Il lui parle à travers ses micro-agressions, il retourne dans le passé, revit ses traumas et défait ceux générationnels. Donc c’est beaucoup plus fort d’avoir une personne qui vit tout ça puis l’emmagasine. Le but de la pièce, c’est de montrer aussi la fatigue que les personnes noires éprouvent quotidiennement en s’adaptant constamment à tout.

«On a toutes vécu le même trauma, pas aux mêmes moments, mais de la même manière.»

Comment arrive-t-on à retranscrire cette ambiance immersive sur scène?

La scénographie aide beaucoup. On est dans le subconscient d’une petite fille, donc c’est très psychédélique, très boîte à musique. J’arrêtais pas de dire à nos concepteurs « kermesse au repos » parce que c’est un cirque où les cheveux changent tout le temps. Là, ils sont lisses, là, ils sont bouclés, là, ils sont puffy… C’est toujours en mouvance, et, même scalpés, ils continuent de pousser.

Afrodisiaque est un travail de longue haleine que tu as commencé dès 2016. Comment s’est passé ton processus de documentation?

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J’ai conduit beaucoup d’entrevues avec des spécialistes, dont certains qui ont ouvert leurs propres salons pour cheveux naturels à Montréal. J’ai aussi interviewé toutes sortes de femmes noires, brunes, métissées, de tout âge, horizon et classe. Que ce soit une petite fille au secondaire ou une femme dans la cinquantaine, on a toutes vécu le même trauma, pas aux mêmes moments, mais de la même manière. Tout le monde a aussi les mêmes références, comme se faire coiffer assises par terre, entre les jambes de sa mère, ou faire très attention à ne pas se mouiller les cheveux.

«désolée, mon headwrap est hot en criss!»

Comment interpréter le mot « Afrodisiaque »?

J’ai trouvé ce mot en parlant avec Michal Harewood du salon de coiffure InHAIRitance. Elle m’a fait mon big chop (ndlr : action de couper une partie ou la totalité des cheveux) et elle n’arrêtait pas de répéter « it’s aphrodisiac! » donc je me suis dit : « y’a “afro” dans “aphrodisiaque”, boum! »

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Parce qu’on est sensuelles, on est une obsession. On nous a scalpé la tête pour nous déshumaniser et nous forcer à ressembler à quelque chose que nous ne sommes pas. Après, quand les cheveux repoussent, on nous dit : « On veut pas les voir, couvre-les! » Mais désolée, mon headwrap est hot en criss! Et bientôt, tout le monde voudra aussi en mettre un, comme ça a déjà été le cas avec les waves, les afros, les updos, les cornrows, les box braids… Nos cheveux sont enivrants! Afrodisiaques!

Crédit : Courtoisie Maryline Maryline Chery / Jeremy Cabrera
Crédit : Courtoisie Maryline Maryline Chery / Jeremy Cabrera
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As-tu déjà subi des différences de traitement en raison de ta texture de cheveux?

Tellement. Par exemple, pendant ma dernière année d’étude, j’étais dans un cours de cinéma où on faisait un exercice simple : tu t’assieds sur une chaise puis les gens écrivent ce à quoi tu ressembles et quel genre de rôle tu pourrais recevoir. À l’époque, mes cheveux étaient en afro, et pendant cet exercice, on me disait que je ressemblais à une jeune réfugiée africaine qui aurait perdu ses parents dans une guerre civile, à une thug, à une jeune prodige qui vient d’un milieu défavorisé — soit clairement le plot du film Hidden Figures — et toutes sortes de choses de ce genre. Puis quand je me promène aussi dans la rue avec mes amis, il arrive que les gens me fusillent du regard. Le simple fait d’exister à proximité crée en eux un stress.

«Les cheveux, qu’on le veuille ou pas, sont politiques. Et ceux afros font du bruit.»

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Comment peut-on comprendre ce type de comportements?

C’est beaucoup d’aliénation et de brainwash. Je pense que les images de nous projetées dans les médias sont tout simplement négatives et inspirées de préjugés qui nous discriminent. Au Québec, surtout, les personnes de couleurs ne vont jamais être les leads, les héros, ces personnes juste contentes parce qu’elles aiment la littérature : impossible, on ne sait pas lire. C’est un mélange d’ignorance et de mésinformation. On nous a tous collé un stéréotype alors qu’être noir, ce n’est pas un monolithe. L’idée, c’est de changer la manière dont on nous perçoit, et c’est pour ça que le spectacle Afrodisiaque existe.

Qu’est-ce que c’est, au quotidien, d’être une femme noire québécoise avec cette texture particulière de cheveux?

Les cheveux, qu’on le veuille ou pas, sont politiques. Et ceux afros font du bruit. Ils ont aussi quelque chose de spirituel. Les cheveux, c’est l’axe le plus haut, ça aide à communiquer avec le divin. Et on avait cette connexion, mais on nous l’a coupée. Après, c’est ça le truc : peu importe ce que tu brûles, la racine repousse toujours.

«Être différent fait de toi un target d’injures et d’attaques, donc tu essaies le plus possible de te rapprocher du modèle de beauté caucasien.»

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Et une fois que tu réapprends à aimer tes cheveux, c’est beaucoup plus facile au quotidien. Moi, je me sens plus libre avec mes cheveux au naturel et sans extensions. Attention, il n’y a pas de mal à en mettre, mais c’est l’idée derrière. Si on t’y force parce qu’on ne veut pas voir tes cheveux naturels, parce que c’est pas professionnel, parce que ça fait malpropre, c’est là qu’est le problème pour moi.

Crédit : Courtoisie Maryline Maryline Chery / Jeremy Cabrera
Crédit : Courtoisie Maryline Maryline Chery / Jeremy Cabrera

Tu parles de réapprendre à aimer ses cheveux : quand s’est fait ce déclic pour toi?

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Je viens d’une première génération immigrante d’Antillais où ça a toujours été : « intègre-toi et rentre dans le moule ». Être différent fait de toi un target d’injures et d’attaques, donc tu essaies le plus possible de te rapprocher du modèle de beauté caucasien. Tu vas défriser tes cheveux, mettre des perruques, des greffes (tissages)… Et moi, à un moment donné, j’étais juste tannée. J’ai commencé à couper mes cheveux et quand ils repoussaient, je voyais qu’ils avaient l’air plus heureux.

À quelques jours de la première représentation, comment te sens-tu?

Je me sens fébrile, mais je me sens bien parce que mon équipe, c’est ma famille. Faire de l’art avec les gens que tu aimes, c’est que du plaisir. Et puis, plutôt que d’être la seule personne de couleur, toute l’équipe ici est diversifiée de A à Z. Donc ce n’est que de l’amour.

Et après Afrodisiaque, quel est le prochain projet sur ton agenda créatif?

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La prochaine chose que je vais faire, c’est sûrement plus du black joy, parce que j’aime pas quand on existe simplement dans le trauma. Puis aussi parce qu’il n’y a pas vraiment de dramaturges noirs francophones au Québec, alors je me fais une mission d’écrire les réalités du moment.