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En langue française comme en religion, il existe plusieurs courants de pensée. D’abord, il y a les cathares linguistiques, qui défendent une sorte de pureté absolue de la langue. Par dogmatisme, les extrémistes rejettent toute évolution et imposent le gaminet pour remplacer le t-shirt. Ils s’inventent des mots à eux que personne n’utilise. Ils exercent une sorte de xénophobie lexicale qui interdit tout espoir pour un mot étranger de venir immigrer dans notre dictionnaire à nous ; et quand vient le soir, ils boivent du sang dans des sous-sols d’église — mais peut-être que j’exagère.
À l’autre bout du spectre, il y a ceux qui s’en câlissent royalement. Les sataniques. On en connaît tous. Ceux qui écrivent leurs textos en phonétique. Celles qui écrivent des statuts Facebook comme si leur téléphone était entre les mains d’un cégépien. Ceux qui économisent une réflexion à la faveur d’un LOL, d’un OMG ou d’un Nuff Said. Celles qui font des fautes sur le tableau d’accueil de l’école… bref, tous ceux qui portent un crucifix à l’envers sur la poitrine.
Moi? Je suis comme vous. Entre les deux. Plutôt linguiste libéral. J’invite des mots étrangers dans ma bouche. Je magouille. J’écris comme je parle. Je joue entre deux eaux. Au fil des conversations, des courriels, des réseaux sociaux, je me définis. Ce lexique et ce style à vous, c’est votre personnalité littéraire. La forme en dit toujours plus que le fond.
Mais alors, où fixer la frontière du bien et du mal parler? Si le langage est individuel et changeant, la langue est collective et non négociable. La langue est l’outil du langage. La langue, c’est la grammaire, la règle. Le langage c’est le style, l’oralité. La langue c’est l’économie, le langage c’est le social. La langue c’est la droite, le langage c’est la gauche.
C’est alors que cette semaine, le sujet de la langue française s’invite à la table du débat politique, avec une improvisation savoureuse. Côté PLQ, le bilinguisme de fait. Côté PQ, un lavage de cerveau en règle pour les petits anglos de Montréal, prémisse d’un Armageddon qui viendra éradiquer les Seconde Tasse, les Boutique du Futur et les Pneu Canadien de ce monde et à grands coups de loi 101 appliquée à l’aveugle. Encore des règles. Encore de la police avec des radars. Rien sur la promotion ou le financement de la culture, du cinéma, des livres, tout ce qui nous fait aimer notre langue, tout ce qui crée un langage. Nulle part la passion, l’amour, la créativité. Du bâton, pas de carotte. Or, une langue n’a pas besoin qu’on la protège, elle a besoin qu’on l’embrasse.
Et à longueur d’interventions médiatiques, des politiciens qui débattent du français dans un français approximatif. Des députés qui disent « quand que », « ça l’a pas d’allure » ou « la bus ». Satan! Un analphabète qui défend ma langue, je préfère autant qu’il en défende une autre.
Une chance, le langage politique a un atout. En français, il existe un mot qui sert à tout… et à son contraire. Un malaise lexical bien pratique pour celui qui veut exercer toutes sortes de pouvoirs sans changer de langage. On range ses affaires, on est à son affaire, on tombe sur une affaire en or, on se lance en affaires, on passe aux affaires publiques, on est pris dans une sale affaire, on se tire d’affaire, on veut parler des vraies affaires pour oublier les petites affaires, sans compter les love-affairs et bien d’autres affaires.
Si on comprend pourquoi la classe politique veut défendre notre langue, on comprend encore mieux qu’elle défende son langage, qui ne contient qu’un seul mot : les affaires.
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