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Adrénochrome : l’étrange lubie des complotistes

Enquête sur la substance qui a donné naissance à la théorie du complot la moins plausible au monde.

Par
Benoît Lelièvre
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Comme plusieurs d’entre vous, j’ai passé une bonne partie du mois de juin à obséder sur les publications de la page Facebook Les Illuminés du Québec.

Bien qu’elle s’intéresse principalement aux activités de Stéphane Blais et de la Fondation pour la défense des droits et libertés du peuple (qui affirment que la COVID-19 est une machination gouvernementale orchestrée par François Legault et Horacio Arruda), la page des Illuminés du Québec met en lumière une kyrielle d’autres théories lorsque l’occasion se présente. J’y ai d’ailleurs appris un nouveau mot : Adrénochrome.

Crédit: Les Illuminés du Québec
Crédit: Les Illuminés du Québec
Crédit: Les Illuminés du Québec
Crédit: Les Illuminés du Québec
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Quessé ça l’adrénochrome?

Selon cette étrange théorie du complot, il s’agirait d’une substance extraite de la glande surrénale d’une personne qu’on torture, alors qu’elle est encore en vie. Principalement des enfants. Cette «drogue» aurait des propriétés rajeunissantes. Elle ferait également partie d’un rituel satanique très exclusif et sophistiqué, visant à donner la vie éternelle. Selon d’autres variations, ça ferait juste buzzer dur.

Ouais, je sais. C’est trash… mais certain.e.s y croient dur comme fer et pas seulement sur Internet. Des Danielle, des Sylvie, des Stéphane, des gens de votre entourage IRL aussi.

Cependant, rassurez-vous : on est là pour répondre à toutes vos questions sur le sujet… et avec un peu de chance, les leurs!

Ça sort d’où, cette sordide histoire?

La première mention de l’adrénochrome dans la culture populaire remonte à 1954. L’écrivain Aldous Huxley en fait brièvement mention dans son essai The Doors of Perception, expliquant qu’il s’agit d’adrénaline humaine en décomposition. Il prend également bien soin de dire qu’il n’en a jamais consommé et qu’il ignore comment s’en procurer. L’essai d’Huxley porte sur ses trips de mescaline et sur les effets positifs des drogues psychotropes en général.

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Beaucoup plus de gens ont découvert le terme à travers le roman Fear & Loathing in Las Vegas, de Hunter S. Thompson et le film du même nom avec Johnny Depp. Si vous vous souvenez du film, il s’agit de la drogue qui lui donne un blackout duquel il se réveille en portant des bottes de pluie et une fausse queue de dinosaure. Selon le réalisateur Terry Gilliam, l’auteur américain a inventé de toutes pièces les informations qu’il véhicule à propos de l’adrénochrome.

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Pourquoi donc les complotistes ressortent ça en 2020?

C’est là que l’histoire devient plus étrange.

Selon le populaire site de vérification factuelle Snopes.com, l’adrénochrome aurait fait son retour dans la culture populaire en 2018 dans un article parlant d’une vidéo où Hillary Clinton et son assistante Huma Abedin se livreraient à des atrocités sur une petite fille. Les deux femmes se gorgeraient (entre autres) du sang de la petite dans le cadre d’un rituel satanique.

Bien sûr, il a été démontré depuis que la seule « preuve de l’existence de cette vidéo »:

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Si la théorie est remontée dans le cycle de nouvelles et a fait son petit bonhomme de chemin jusqu’au Québec, c’est à cause de Bill Gates. De Tom Hanks, Céline Dion, Sophie Grégoire et tous les autres « membres de l’élite » qui auraient mystérieusement attrapé la COVID-19 un peu partout dans le monde.

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Toujours selon la théorie du complot, ils auraient tous attrapé la COVID en consommant l’adrénochrome d’une personne infectée et seraient responsables de la pandémie.

Vous trouvez ça tiré par les cheveux? C’est parce que ce l’est. On est rendus pas mal loin des pangolins chinois… mais c’est plus facile d’haïr Céline parce qu’elle « tue des enfants » et donne la COVID au monde entier que de comprendre les origines réelles d’une pandémie.

Est-ce qu’il y a 0,01% des chances que ce soit vrai?

Non et il y a une raison bien simple pour ça : l’adrénochrome, ça existe.

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Rassurez-vous, il ne s’agit pas d’une drogue satanique. C’est un produit médical qui sert à refermer les plaies qui saignent pendant les opérations. C’est d’ailleurs possible d’en acheter en ligne si vous travaillez pour un hôpital. La compagnie Merck en vend au prix de 400$ pour une bouteille de 250 ml, de quoi faire buzzer toute une maisonnée satanique sans avoir à sacrifier d’enfants.

Selon la théorie du complot, moissonner de l’adrénochrome est un processus très compliqué et très violent alors qu’en réalité, il s’agit d’un produit fabriqué synthétiquement et disponible en quantité suffisante pour tout bon sataniste qui se respecte. Pourquoi alors ne pas simplement soudoyer le gars de Merck pour qu’il vous en vende sous la table? Si Céline Dion et Ellen DeGeneres ont l’air momifiées… c’est peut-être plus à cause du Botox? Hein?

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Des fois, l’explication la plus simple est la bonne, même si on aime ça inventer toutes sortes d’explications pour des phénomènes complexes.

Donc, je peux prendre de l’adrénochrome médical pour buzzer?

Minute, papillon!

C’est pas très prudent. Ce qu’on sait à propos des effets hallucinogènes de l’adrénochrome est principalement basé sur de la fiction et des ouvrages à la rigueur louche, comme Legal Highs, d’Adam Gottlieb. Une théorie soutient également qu’il s’agirait d’un p’tit nom donné par les beatniks d’Aldous Huxley au DMT, un puissant hallucinogène dont Joe Rogan n’arrête pas de parler dans son populaire podcast. Un psychotrope qui (encore une fois) ne requiert pas de sacrifices humains pour s’en procurer.

Je ne vous conseillerais peut-être pas un p’tit trip d’adrénochrome.

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Ce que je vous conseille, c’est de confronter votre tante Chantal la prochaine fois qu’elle vous parle des rituels sataniques de Céline Dion. Ces derniers ne se cachent plus depuis belle lurette et sont beaucoup plus intéressés à troller les chrétiens qu’à la consommation d’extraits de glandes surrénales.