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Ados & Armés : regarder le problème en pleine face

Fabrice Vil enquête dans un documentaire rigoureux et difficile, mais porteur d’espoir.

Par
Benoît Lelièvre
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Les querelles entre adolescents sont vieilles comme le monde. Les premiers conflits sociaux font partie, jusqu’à un certain point, du développement normal d’une jeune personne et ont rarement de graves conséquences sur leur futur.

Sauf que ce n’est plus le cas depuis quelques années. Au Québec, la montée soudaine de la violence armée chez les jeunes fauche de plus en plus de vies.

En 2022, on recensait pas moins de 127 incidents dans la région métropolitaine de Montréal uniquement. Le phénomène est en hausse constante depuis quelques années et la liste des victimes s’allonge : Amir Benayad, Lucas Gaudet, Meriem Boundaoui, Jannai Dopwell-Bailey, Thomas Trudel, pour n’en nommer que quelques-uns. Des jeunes sans histoire, qui n’auront jamais la chance de vivre la leur.

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Comment les armes à feu en sont-elles venues à être aussi omniprésentes dans le quotidien des adolescents? Comment doit-on adresser ce genre de problème? Voilà les questions auxquelles l’avocat et entrepreneur social Fabrice Vil tente de répondre dans le cadre du documentaire Ados & Armés, diffusé sur les ondes de Télé-Québec. Si le documentaire présente un état des lieux alarmants et une problématique qu’on ne comprend encore que partiellement, j’ai tout de même voulu approfondir la question avec le principal intéressé, et force est d’admettre : cette flambée de violence est le symptôme d’un mal socioéconomique plus profond auquel il est plus que temps de s’attaquer.

Rebâtir le lien avec les communautés marginalisées

« Briser le cycle de la violence, moi, j’y crois, » affirme d’entrée de jeu Fabrice Vil à l’autre bout du téléphone. « C’est certain qu’il s’agit d’un problème endémique auquel on doit appliquer une batterie de solutions, mais ça s’est fait ailleurs. C’est possible. »

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Vil me donne en exemple le modèle de Glasgow, dont il est rapidement question dans le documentaire. Élue capitale du meurtre en Europe aussi récemment qu’en 2005, la ville a largement remédié à son problème en commençant à traiter la violence comme un problème de santé publique. Ainsi, on traite la problématique comme une maladie dont on peut suivre l’évolution et juguler la contagion.

Voilà une bien belle idée, mais comment est-ce que ça s’articule, concrètement? « Un bon exemple d’une mesure mise en place, c’est dans les hôpitaux de Glasgow. Parce que c’est à ce moment qu’elles sont le plus susceptibles de souhaiter un changement, à la suite d’une agression, des personnes ont pour responsabilité d’aller à la rencontre des victimes.. Les ressources appropriées sont alors au bon endroit, au bon moment. »

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Il m’explique aussi que le gouvernement du Québec et la ville de Montréal ont mis sur pied le projet PIVOT. Inspiré par le modèle de Glasgow, il se trouve présentement dans une phase test: « Il y a un accompagnement pour environ trente à cinquante jeunes issus de quartiers défavorisés, comme Rivière-des-Prairies ou Montréal-Nord. Pour leur venir en aide, on leur offre entre autres des opportunités d’emploi. Il va y avoir un travail fait pour améliorer la relation avec eux.. »

Selon Fabrice Vil, le manque de ressources institutionnelles et psychosociales auprès des familles vulnérables se trouve au cœur de la problématique.

Lui-même impliqué auprès de jeunes en difficulté avec son organisme Pour 3 Points, il m’explique que la jeune personne qui développe des problèmes de frustration et d’agressivité envers son environnement provient souvent (pas tout le temps) d’une famille à revenu précaire où le parent peut avoir plusieurs emplois pour subvenir aux besoin de sa famille et n’a pas le temps de s’impliquer auprès de ses enfants. Si l’encadrement ne peut pas être trouvé à l’école ou quelque part dans son milieu de vie, la jeune personne en question ira trouver du soutien ailleurs.

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« Les mots amour et bienveillance prennent tout leur sens dans un contexte comme celui-ci, » affirme-t-il avec l’aplomb et la rigueur métronomique qu’on lui connaît . « Le premier pas, c’est toujours de bâtir le lien. Croire que les jeunes ont du potentiel. Les jeunes le sentent. Le manque de ressources se fait sentir auprès des jeunes qu’on n’accompagne pas. »

Ados & Armés présente de nombreux adolescents criminalisés, qui ont débuté leur parcours très jeunes dû à ce fameux manque de ressources cité par Fabrice Vil pendant notre entretien. Le premier pas, c’est de donner d’autres options aux jeunes et pour ça, il faut croire en leurs chances de réussir.

Le mythe du phénomène montréalocentrique

Le gros danger avec un documentaire comme Ados & Armés, c’est que le message passe dans le vide. Que quiconque n’a pas vécu ou été témoin de violence armée au quotidien ne se sente pas concerné. J’explique à Fabrice Vil que je viens de la Côte-Nord et que pour plusieurs, la violence armée chez les jeunes, ça n’existe qu’à la télévision.

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« On parle principalement de Montréal dans le documentaire, parce que c’est 50% de la population de la province. Même si ça se retrouve pas chez notre voisin, on parle quand même de notre avenir collectif, de nos jeunes. Ils deviennent un fardeau pour la société s’ils prennent le mauvais chemin, mais ils y contribuent quand ils réussissent. Tout le monde a tout à gagner à transformer un problème en solution. C’est un travail collectif, » affirme Fabrice Vil.

La disponibilité des armes sur Internet constitue une autre facette du problème à ne pas négliger.

Bien que plusieurs zones d’ombres persistent par rapport à la distribution d’armes à feu chez les jeunes, le problème n’est pas nécessairement localisé. Le trafic d’armes se fait principalement sur les réseaux sociaux et sur une application encryptée nommée Telegram. Quiconque a accès au marché et l’argent nécessaire peut s’acheter une arme comme en témoignent plusieurs jeunes dans le documentaire. Oui, ça se passe principalement dans la région métropolitaine de Montréal, mais pas que.

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Ados & Armés présente une réalité inconfortable sans se défiler ou offrir de conclusions moralisatrices. Cette flambée de violence armée chez les jeunes est-elle un problème qu’on peut réellement enrayer? C’est à nous tous d’agir et on doit le faire maintenant.

Le documentaire Ados et armés sera diffusé en primeur le mercredi 18 octobre à 20h, sur les ondes de Télé-Québec.