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Acheter un salon funéraire à 25 ans et assurer les soins mortuaires de son propre grand-père : la vie pas banale d’une thanatologue en région

Angle mort.

Par
Rose-Aimée Automne T. Morin
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À 12 ans, Marie-Soleil Phaneuf se passionne pour deux choses: les séries télé d’investigation et la psychologie. Adolescente, elle découvre la thanatologie. Le déclic se fait immédiatement, elle a trouvé sa vocation.

« Une thanatologue, c’est une professionnelle de la mort, m’explique-t-elle. Quand une personne décède, c’est moi qui reçois l’appel de ses proches, qui les rencontre, qui planifie avec eux la cérémonie, qui assure la partie en laboratoire (la préparation du corps du défunt), et qui les accompagne pendant les funérailles. Je suis même là pour eux après, s’ils en ont besoin. Mon rôle, c’est vraiment d’accompagner la famille du début à la fin. »

Ma fille est-elle normale? C’est ce que se demandera spontanément la mère de Marie-Soleil en apprenant son choix de carrière. Après tout, aucun membre de la famille n’œuvre dans le milieu funéraire, alors que la profession de thanatologue est souvent relayée de génération en génération… Comment donc expliquer ce choix? Or, elle se fera rapidement à l’idée : sa fille est faite pour ce métier. Tellement faite pour lui qu’elle achète son propre salon funéraire à l’âge de 25 ans.

Et c’est le début d’une aventure singulière à Ste-Martine.

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Une business pas comme les autres

La technique en thanatologie demande trois ans d’études. « On y apprend absolument tout, m’indique l’entrepreneure. Jusqu’à la bienséance et comment donner une bonne poignée de main! »

Si la première année se concentre sur la théorie, la seconde s’intéresse également à la pratique et la dernière est composée de stages. Marie-Soleil a décidé d’en profiter pour expérimenter le travail en grand complexe funéraire et en petit salon, question de définir ses préférences. Le choix se fait sans hésitation : une petite entreprise lui permettra de toucher à tout, plutôt que d’être cantonnée à un seul rôle. Dès lors, elle rêve de diriger son propre salon. En attendant, pas de souci, elle travaillera pour le complexe d’autrui.

Puis, un jour, un courriel se dépose dans la boîte de réception de l’entreprise : le salon funéraire de Sainte-Martine est à vendre.

Marie-Soleil et son conjoint de l’époque le visitent aussitôt. Deux mois plus tard – en juin 2013 – la jeune femme devient officiellement propriétaire des lieux. Elle quitte Saint-Hyacinthe et déménage dans l’appartement du dessus. « Je n’avais pas les moyens de m’acheter une maison en plus! Quand j’y repense aujourd’hui, je me dis : ayoye, j’étais game de me lancer là-dedans si jeune… Je n’ai pas d’employés. C’est moi qui passe le balai, qui lave la salle de bain, qui va chercher les corps, qui les embaume, qui rencontre les familles, qui organise les funérailles, qui nettoie les voitures. Je fais tout, tout, tout. »

«Quand j’y repense aujourd’hui, je me dis : ayoye, j’étais game de me lancer là-dedans si jeune… Je n’ai pas d’employés. C’est moi qui passe le balai, qui lave la salle de bain, qui va chercher les corps, qui les embaume, qui rencontre les familles, qui organise les funérailles, qui nettoie les voitures. Je fais tout, tout, tout.»

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Ça semble beaucoup, mais Marie-Soleil savait très bien que c’est ce qui l’attendait. En fait, ce qu’elle n’avait pas imaginé, c’est plutôt le stress occasionné par l’entrepreneuriat en région. Elle m’explique : « Dans mon salon, il n’y a pas un gros volume de décès [NDLR: la ville de Sainte-Martine compte environ 5 000 habitants]. Les années difficiles ont plus d’impact pour moi que pour une grosse entreprise… Faut être faite solide, à titre d’entrepreneure. Je ne souhaite jamais la mort de personne, cela dit! »

On la croit, bien entendu. Reste qu’il y a des réalités économiques difficiles à ignorer. Elle poursuit : « Le coût de la vie a beaucoup augmenté, mais les gens dépensent de moins en moins pour les funérailles. Je ne dis pas que ce n’est pas correct, mais je trouve ça plate que le monde nous perçoive encore comme des riches. Oui, il y a des familles qui ont un salon depuis 100 ans et il est payé. Tant mieux, mais ce n’est pas la réalité de tout le monde! Il faut savoir que le milieu funéraire en est un où le look est important. Les bâtisses doivent être belles, les voitures aussi, or c’est ce que les gens demandent. Ils ne voudraient pas de funérailles avec un vieux char, c’est normal… Mais il y a un coût à tout ça! »

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Tant qu’à parler d’argent, osons aller au bout de la chose : les thanatologues ne profitent-ils pas d’un moment de grande vulnérabilité chez les endeuillés pour vendre des produits parfois hors de prix?

Marie-Soleil ne se montre pas du tout ébranlée par la question. « Quand j’ai acheté le salon, j’ai effectivement un peu ressenti cette perception. Pas par rapport à moi, mais aux méthodes autrefois préconisées. Ce que tu décris, c’est une mentalité plus ancienne qui a existé pour vrai. Aujourd’hui, notre formation est davantage axée sur l’aspect humain du métier. Et l’avantage que j’ai, c’est que je suis zéro vendeuse. Pantoute. C’est comme ça que j’ai gagné la confiance des gens du village, ils ont rapidement compris que je n’étais pas là pour jouer avec leurs émotions. »

L’humain avant tout

« Ce que je préfère dans mon travail, c’est le lien particulier que je développe avec les familles. Je me sens privilégiée d’entrer dans une intimité très émotive, mais combien gratifiante! » La Marie-Soleil de 12 ans qui trippe sur la psychologie n’est jamais bien loin quand la thanatologue parle.

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Sa voix s’enveloppe de tendresse dès qu’elle relate les rencontres avec les proches endeuillés. On devine l’empathie, mais aussi un certain sens du devoir. Celui de rester droite, d’être l’épaule sur laquelle autrui peut s’appuyer : « J’ai pleuré une seule fois pendant des funérailles. Habituellement, j’arrive à garder mon côté fort pour aider les gens endeuillés, mais cette fois, je ressentais profondément le chagrin des parents qui perdaient leur enfant… J’ai flanché. D’un autre côté, je crois que ça leur a fait du bien de savoir que j’étais humaine. »

Humaine, peut-être. Mais surhumaine à certains égards, si vous voulez mon avis. Voyez-vous, moi, je ne crois pas que j’arriverais à faire les soins funéraires d’un proche (ou de qui que ce soit, pour être franche). Pourtant, au décès de son grand-père, Marie-Soleil n’a pas hésité à prendre la suite en charge.

«J’ai pleuré une seule fois pendant des funérailles. Habituellement, j’arrive à garder mon côté fort pour aider les gens endeuillés, mais cette fois, je ressentais profondément le chagrin des parents qui perdaient leur enfant… J’ai flanché.»

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« Pour moi, c’était très important de le faire et honnêtement, ça m’a fait du bien. La seule chose qui est difficile dans un cas comme ça, c’est que je dois mettre deux chapeaux : celui de la professionnelle et celui du membre de la famille. La ligne est difficile à tracer… J’y suis parvenu, mais lors des funérailles, je n’ai pas laissé autant place à mes émotions que je l’aurais fait si je n’avais pas été responsable de l’évènement. Par contre, j’ai eu des moments privilégiés avec mon grand-père quand je suis allée le chercher, quand je l’ai préparé, etc. Je le referais volontiers. Même avec ma mère, et c’est la personne avec qui ce serait le plus difficile, je crois. Je le ferais parce qu’elle ne sera jamais mieux traitée qu’avec moi. Je n’ai pas le moindre doute quant aux aptitudes des autres thanatologues, mais aucun autre ne pourrait lui donner autant d’amour. »

Qu’est-ce qu’on disait déjà? Ah, oui! [Sur]humaine.