La pièce 4’33’’ se vend plutôt bien sur iTunes : sa cote de popularité est au maximum. Pourtant, quand on pèse sur play pour en écouter un extrait… on n’entend rien.
N’ajustez pas vos haut-parleurs : l’artiste exécute à merveille cette composition de John Cage, qui consiste en quatre minutes et trente-trois secondes de silence.
L’idée derrière la pièce? Entre autres faire prendre conscience au public que n’importe quels sons peuvent constituer de la musique. Mais aussi qu’il est impossible de se trouver en présence de silence complet. Bien d’autres choses également : on sent l’émotion et l’importance de cette pièce pour le compositeur quand on lit ses propos par rapport à celle-ci (non, ce n’était pas une joke; il considère même cette œuvre comme la plus importante de sa carrière).
Par contre, lors de la première représentation, ce n’est pas l’ensemble du public qui a adoré. Assis dans une prestigieuse salle de concert américaine, après avoir payé un billet pour un récital de piano contemporain, certains ont trouvé humiliant d’être forcés à écouter les sons ambiants (dont ceux qu’ils produisaient eux-mêmes) pendant 4 minutes 33, maintenus en place par le décorum qui s’impose dans une salle de concert.
Légende : Le clapet du piano est même fermé lors de l’interprétation, pour montrer que le silence de l’instrumentiste est intentionnel.
Mais c’était précisément là une réflexion que voulait amener l’artiste : si la musique est, comme Cage le prétend, bâtie de “périodes de temps” remplies de notes et de silences (silences qui sont, eux, meublés par des sons non intentionnels), qu’est-ce qui empêcherait un compositeur de remplir entièrement ces “périodes” de silences, et donc de bruits non intentionnels? La composition deviendrait-elle ainsi intentionnellement non intentionnelle?
Mais au-delà de la théorie, revenons à iTunes : pourquoi payer pour cette pièce, alors qu’on pourrait juste ne rien écouter à la place? Il y a plusieurs réponses.
On peut l’acheter par curiosité, ou encore parce qu’on aime l’idée véhiculée par le compositeur et qu’il s’agit d’un statement que de l’acheter. On peut aussi se dire qu’une pause de 4 minutes 33 en plein milieu d’une liste de lecture peut nous amener à réfléchir : pourquoi écouter de la musique en ce moment? Quels bruits est-ce que l’on dissimule, ce faisant? Comment on se sent, quand notre environnement auditif artificiellement paramétré s’estompe?
En plus de ces réflexions, on peut aussi se dire qu’il y a plus absurde comme achat : rappelons-nous que presque chaque commerce vend des bouteilles d’eau.
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La pièce de John Cage a évidemment poussé plusieurs personnes à s’interroger sur l’essence de la musique, un peu comme les tableaux blancs de Robert Rauschenberg les poussaient à s’interroger sur l’essence de l’art.
Plusieurs autres pièces suscitent la fascination de par leur forme, comme ce morceau où tous claquent des doigts ou tapent des mains à des moments bien précis, réussissant ainsi à reproduire de façon étonnante les sons d’un orage. Les bruits de la nature peuvent être transcrits sur une partition, et pas juste de façon métaphorique!
Parlant de partition, on a réussi à en déchiffrer une si ancienne qu’on estime qu’elle a été jouée cette année pour la première fois depuis 1000 ans. Le long intervalle de silence entre l’interprétation actuelle et la précédente est si impressionnant qu’il suffit à conférer à cette musique une aura de mystère, alors qu’il ne s’agit pourtant pas de la seule œuvre de cette époque à parvenir jusqu’à nous.
Son vénérable âge n’est même rien lorsqu’on la compare aux chants hourrites, qui remontent à… l’an -1400, environ.
Et nous ne sommes évidemment pas les premiers à porter attention à la forme de la musique : certains intervalles de notes auraient été considérés à une certaine époque comme « associés au diable », et il fallait absolument éviter de les intégrer aux compositions, tout particulièrement à la musique d’église…
Si on trouve aujourd’hui absurde de se scandaliser de la juxtaposition de deux notes, il en sera peut-être de même demain lorsque les prochaines générations liront qu’un public fut un jour offensé d’être amené à réfléchir devant un long silence.
Il paraît qu’on ne réalise la valeur de ce que l’on a que lorsqu’on le perd.
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Pour lire un autre reportage de Camille Dauphinais-Pelletier : “Pourquoi les covers sont-ils si populaires?”
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