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Aaron Carter et la culture passée date

Le tragique destin d'un artiste dont la culture populaire n'avait plus besoin.

Par
Benoît Lelièvre
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Le chanteur américain Aaron Carter a rendu l’âme samedi dernier. Il a été retrouvé mort dans sa baignoire à son domicile de Lancaster, en Californie. Il n’avait que 34 ans. La cause du décès ne pourra qu’être établie avec certitude à la réception du rapport toxicologique, mais l’hypothèse de la surdose a déjà été évoquée. Carter avait un problème de consommation bien documenté depuis plusieurs années.

Pour ceux et celles qui ont effacé ce sous-chapitre de l’histoire musicale contemporaine de leur esprit, Aaron Carter était le petit frère de Nick Carter, le beau blond des Backstreet Boys. Il a vendu neuf millions d’albums pendant sa carrière, dont trois de son deuxième album Aaron’s Party (Come Get It). Au sommet de sa popularité, le garçon avait l’air de ça :

Quelques mois avant sa mort, il avait l’air de ça :

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Ça ne prend pas la tête à Papineau pour comprendre qu’Aaron Carter n’allait pas bien, mais que lui est-il arrivé au juste?

Consommer les enfants

La carrière d’Aaron Carter a commencé à l’âge de neuf ans lorsqu’il montait sur scène pendant un spectacle des Backstreet Boys pour interpréter Crush on You du groupe The Jets. La même année, cette chanson deviendra son premier succès.

Il n’est pas le premier enfant-vedette et sûrement pas le dernier. Britney Spears est passée par là. Demi Lovato. Macaulay Culkin. Corey Feldman plusieurs années avant lui. Tous et toutes ont connu leur lot de difficultés avec le passage à l’âge adulte.

Passer d’idole pop à has been pendant les années cruciales où la plupart d’entre nous voyagent en sac à dos ou changent continuellement de concentration au cégep, ça doit faire mal.

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Il y a aussi plusieurs exemples d’enfants-vedettes pour qui la transition s’est bien passée : Daniel Radcliffe, Emma Watson, Millie Bobby Brown, etc. En règle générale, ça se passe beaucoup mieux pour les acteurs et actrices que pour les chanteurs et chanteuses. C’est beaucoup plus facile de transitionner à des rôles adultes dans un médium où le contrat stipule que c’est correct de changer de registre à chaque projet. Quand on aime un.e artiste musical.e, c’est habituellement pour la vie.

Mettez-vous dans la peau d’Aaron Carter pendant quelques minutes. De l’âge de 9 à 15 ans environ, il était la coqueluche des jeunes de son âge. Il a joué dans des films. Il s’est produit en spectacle partout dans le monde. La vie pouvait difficilement aller mieux.

Puis, ses fans se sont mis à vieillir. Leurs goûts se sont mis à changer. À évoluer. Ses parents se sont chicanés avec son producteur Lou Pearlman, également à l’origine du succès des Backstreet Boys. À l’âge de 24 ans, il déclarait faillite pour échapper à une dette fiscale de 3,5 millions de dollars.

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Pendant ses années formatrices, Aaron Carter a vu le succès lui être offert sur un plateau d’argent et soudainement, il n’avait plus rien à offrir et on lui demandait des comptes. Passer d’idole pop à has been pendant les années cruciales où la plupart d’entre nous voyagent en sac à dos ou changent continuellement de concentration au cégep, ça doit faire mal. Je comprends qu’il ait pu se sentir dépassé et inutile.

C’est bête et cruel, mais on a fini par consommer ce qu’Aaron Carter avait à offrir et jamais il n’a été capable de retrouver une formule magique capable de manifester l’amour de millions d’étrangers et d’étrangères. La drogue peut devenir une béquille qui sert à retrouver un sentiment de bien-être qu’on croit perdu à jamais quand la santé mentale commence à en prendre un coup. C’est un substitut chimique à un amour et un réconfort qu’on ne trouve plus.

Aaron Carter avait depuis longtemps perdu sa raison d’être, mais jusqu’au dernier moment, il a tout essayé pour retrouver une magie qu’il n’a jamais vraiment maîtrisée.

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La marchandisation des problèmes de santé mentale

Un autre phénomène encore plus laid dont Aaron Carter a été victime, c’est le même qui afflige Kanye West présentement. Lorsqu’on atteint un certain degré de célébrité, il devient plus profitable pour l’entourage d’une vedette d’exploiter ses problèmes de santé mentale pour mousser sa popularité que de lui procurer les soins dont elle a besoin.

Dans le cas de Kanye, son trouble de bipolarité a été officiellement diagnostiqué en 2016 après un séjour en hôpital psychiatrique. Tout le monde est au courant, mais tout le monde semble s’en foutre. Pour son entourage, c’est plus profitable qu’il accapare les manchettes médiatiques avec des histoires de jalousie malsaine ou des envolées antisémites sorties de nulle part que de lui procurer des soins. Il y a deux ans, West délirait pendant trois heures sur le podcast de Joe Rogan et ce dernier ne trouvait rien d’autre à dire que : « Wow, t’es vraiment différent, man. T’es vraiment pluggé sur un autre canal. »

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Les gens qui condamnent Kanye sont tout aussi coupables. C’est plus payant pour une carrière de signer une lettre ouverte dans le New York Times, sur Slate ou même sur les pages d’URBANIA pour dire que Kanye est plein d’marde que de prendre une minute pour se demander si ce gars-là a toute sa tête, même si on sait très bien qu’il souffre de problèmes de santé mentale depuis plusieurs années et refuse de se médicamenter. Ce refus de comprendre sa réalité ne fait que nourrir l’univers chimérique dans lequel il habite de plus en plus.

Les possibilités de fins heureuses pour Kanye sont de plus en plus minces.

Parce qu’on aura continuellement donné une plateforme à ses exubérances au nom du sacro-saint divertissement, Aaron Carter n’a probablement jamais ressenti le besoin de prendre soin de lui.

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Il s’est passé la même chose avec Aaron Carter. Dans les dernières années de sa vie, on ne l’invitait sur la place publique que pour ses déclarations incendiaires et son esthétique personnelle de plus en plus alarmante. Quelques jours avant sa mort, il a été reçu au populaire balado américain No Jumper, où il a entre autres confié que ses voisins étaient obsédés par lui, body shamé Pete Davidson et longuement divagué sur sa relation avec son frère après que l’animateur Adam Grandmaison lui eut rappelé qu’il a souvent traité Nick de violeur dans le passé. L’épisode a récolté jusqu’ici plus d’un demi-million d’écoutes.

Parce qu’on aura continuellement donné une plateforme à ses exubérances au nom du sacro-saint divertissement, Aaron Carter n’a probablement jamais ressenti le besoin de prendre soin de lui.

On en avait fini avec lui. La culture est intransigeante comme ça et elle risque de ne l’être qu’encore plus dans le futur. Si on arrêtait de faire parader les gens qui ne vont pas bien pour notre divertissement personnel, les soins deviendraient peut-être la seule option viable pour eux. On sauverait peut-être quelques vies.

On se sauverait peut-être aussi nous-mêmes.

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