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Vous lisez Urbania, vous ne vivez donc pas sous une roche. Vous avez donc su, à moins de vous être fait couper Internet hier, qu’Arcade Fire sortaient hier un vidéoclip, un « EP » (qui est en fait un vinyle comportant une seule chanson), qu’ils donnaient un concert dans une petite école de danse latine de Montréal et, donc, qu’ils allaient lancer un album plus tard cet automne. Tout le monde en a abondamment parlé, moi y compris.
La semaine passée, on a aussi appris que Google allait lancer une nouvelle version de son système d’opération qui allait être nommé KitKat, en partenariat avec Nestlé. Apple n’étant pas en reste, nous savons depuis quelque temps déjà que c’est aujourd’hui que doivent être annoncés, en grande pompe, les nouveaux iPhones, lors d’une gigantesque conférence de presse.
David Mitchell du Guardian a écrit ce week-end un excellent article qui commence par ce paragraphe merveilleux: « Le nom du nouveau système d’opération Android de Google a été annoncé. Quelle drôle de phrase. Quand un de nos ancêtres s’est arrêté un moment pour choisir avec quelle roche il allait gratter la fourrure de ce mammouth, il ou elle ne se doutait certainement pas que ça se rendrait là. » Et il poursuit en disant, grosso modo, qu’un bon jour l’humain découvre l’agriculture, et une fraction de seconde plus tard, à l’échelle cosmique, on est rendus avec des gens qui sont payés pour annoncer le nom donné à un changement de version de programme sur des téléphones. Et ce ne sont pas eux qui fabriquent le téléphone, ni le programme, ni même eux qui choisissent le nom. Eux, ils ne font que l’annoncer. « Le premier feu allumé par l’Homme a créé une réaction en chaîne menant directement aux Relations Publiques. »
En lisant ce texte, j’ai applaudi.
Qu’on ne se méprenne pas: je travaille, aussi, dans le grand domaine des Communications, et je comprends bien que tout le monde a envie de voir son message se promener le plus possible. Mais il arrive un moment où on se demande bien à quoi tout ça peut-il servir.
En écrivant ce texte, j’ai vu sur Facebook (oui, j’y suis revenu) qu’une de mes amies avait partagé une publication venant du Centre d’interprétation de la courge. Ma première réaction a été de me demander si c’était sérieux. Après tout, ce ne serait pas la première page Facebook absurde à exister. Mais, oui, c’est sérieux: la courge a visiblement besoin d’être interprétée, en tout cas assez pour en faire des promotions sur les médias sociaux.
Je me demande un peu à quoi on joue. D’un côté, un des groupes les plus hypés de la planète indé se tord à inventer des moyens de promotion pour un album qui va de toute manière, selon toute vraisemblance, s’écouler à des centaines de milliers d’exemplaires, alors que de l’autre, un endroit d’autocueillette de cucurbitacées tente par tous les moyens de faire connaître son offre éducative et gastronomique pour toute la famille en lien avec les légumes d’automne.
Quand les experts-prophètes en médias sociaux clamaient que nous allions être témoins de la genèse de la grande démocratisation de l’expression humaine et que nous allions vivre dans une utopie de parole citoyenne généralisée où le plus petit comme le plus grand allait avoir une voix égale, ils avaient oublié une chose: les publicitaires et autres professionnels de la communication n’allait certainement pas manquer l’occasion de pratiquer encore une fois l’extension du domaine de la lutte, sous prétexte de court-circuiter les vilains médias et de “parler directement au vrai monde”. En fin de compte, tout ce que ça a ajouté, c’est une autre couche de bruit, un nouvel endroit où faire des stunts, où pratiquer le spin, où créer du buzz, où les grands font parler d’eux et où les petits essayent de faire pareil. Le message, finalement, ne se rend pas plus facilement, et l’égalitarisme promis s’est trop rapidement dégradé pour ne pas qu’on en sorte, au final, quelque peu cyniques.
David Mitchell a vu juste: où qu’on aille, l’évolution nous rattrapera bien, et nous ne saurions échapper bien longtemps aux Relations Publiques. Et les grands continueront de parler fort, et les petits continueront d’essayer de se faire entendre en criant plus fort, et le bruit finira par nous enterrer complètement.