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Au secondaire, je me souviens d’un gars qui s’appelait Dominic. C’était pas un gars facile. Il se battait souvent. Il aimait beaucoup s’aliéner les gens et les pousser à bout. C’était sa manière à lui de gérer le rejet. Se faire haïr d’avance, c’est une façon comme une autre de s’assurer de ne jamais se faire briser le coeur.
Si je sais ça à propos de lui, c’est que les circonstances nous ont mené à mieux nous connaître. Lorsqu’il s’est pointé au camp d’entraînement de l’équipe de basketball, l’entraîneur nous a fait passer au vote à savoir si on le voulait dans l’équipe. C’était 50-50. Il a décidé de lui donner une chance et il est devenu notre pivot partant. J’ai alors découvert un gars loyal et courageux, qui cherchait juste à s’investir auprès de gens qui ne le laisseraient pas tomber. Et on ne l’a pas laissé tomber. Quand, après son arrivée, un gars a voulu lui taper dessus, il avait toute une équipe dans son coin. We dug coal together.
C’est à ce moment que j’ai appris que les gens étaient plus que la somme de leurs actions et que remettre en doute ses jugements, c’était un peu comme avoir un super-pouvoir. Pourquoi j’vous parle de ça au juste? Parce que c’est très facile aujourd’hui avec internet et les réseaux sociaux, de juger et condamner quelqu’un qui pose des gestes qui vont a priori contre nos valeurs. S’investir dans une relation à première vue hostile, ça demande beaucoup plus d’énergie et de bon vouloir. Mais c’est aussi très enrichissant.
Si ça vous tente de vous pratiquer avec du monde qui n’existe pas vraiment en fin de semaine, je vous conseille de voir (ou revoir) la série Justified, disponible dans son entièreté sur Amazon Prime Video.
Raylan Givens vs Boyd Crowder
À première vue, ça semble (moralement) très clair: c’est l’histoire d’un flic (Raylan) qui essaie de mettre un néo-nazi (Boyd) en prison, quelque part au fond du Kentucky. Police = bon, néo-nazi = méchant (sur ce dernier point, quiconque vous dit le contraire est probablement membre de La Meute). Sauf que…
Raylan lui, règle tout avec son pistolet du début à la fin. Il applique la loi de manière immuable et systématique. Le problème c’est qu’il ne règle rien du tout.
Il se passe deux choses très importantes au fil des saisons: Boyd évolue et devient un personnage foncièrement différent du redneck qui fait exploser une église dans le premier épisode et Raylan lui, demeure le même. Après avoir frôlé la mort aux mains de Raylan, Boyd entre en crise existentielle et lâche Hitler pour Jésus. Lorsque son père tombera sous les balles des agents fédéraux (saison 2), Boyd décide de devenir chef du clan Crowder, la famille criminelle qui terrorise le comté de Harlan depuis des générations.
Raylan lui, règle tout avec son pistolet du début à la fin. Il applique la loi de manière immuable et systématique. Le problème c’est qu’il ne règle rien du tout. Sa gâchette légère et son mauvais tempérament donnent carrément à Boyd une raison de vivre. En lui enlevant son père, il lui donne une vocation de chef de famille et fait de lui le bandit le plus craint au Kentucky. Il est comme le Dr Frankenstein au fond, il crée un «monstre».
En tant que spectateur, on devient rapidement déchiré entre un gars qui évolue, tombe en amour (avec la femme qui a tué son frère!) et qui se trouve une vocation, et le flic intransigeant toujours convaincu de faire la bonne chose. C’est comme Breaking Bad, mais à l’envers. C’est le méchant qui devient graduellement le bon.
We dug coal together
Ce qui rend Justified aussi riche malgré la simplicité de sa prémisse, c’est la ressemblance entre Raylan et Boyd. Quand l’un parle de l’autre en son absence, la conversation débute toujours de la même manière: we dug coal together. Avant de prendre chacun leur chemin et de devenir des ennemis, ils ont travaillé ensemble dans une mine de charbon. Une expérience que les deux hommes respectent, malgré les tensions entre eux.
Avoir affaire à deux ennemis qui se ressemblent, c’est la clé pour un roman, un film ou une série mémorable. C’est important qu’il reflète au personnage principal les choix qu’il aurait pu faire.
Raylan et Boyd sont deux hommes intelligents et éloquents, qui ont grandi sans structure ou soutien parental et qui cherchaient une cause à laquelle se vouer. Raylan a choisi la justice et Boyd a choisi la famille, des concepts dont ils sont la métaphore vivante. Avoir affaire à deux ennemis, c’est la clé pour un roman, un film ou une série mémorable.
Raylan et Boyd ne sont pas deux gars que tout sépare. Ce sont deux gars qui étaient à une ou deux d écisions de prendre le même chemin.
Mais il y a quelque chose de plus dans la dualité entre Raylan et Boyd : le dynamisme avec lequel elle évolue au fil des saisons. Elle affecte tout le monde différemment et mène à un véritable questionnement existentiel. Pour certains, la réponse est simple. Raylan est le policier, son travail sauve des vies et assure la sécurité des citoyens, donc il est moralement justifié dans ses actions. C’est ce que pense le créateur de la série Graham Yost d’ailleurs, qui a dit après la saison 6: «Bien sûr, que Boyd est le méchant. Il est charmant, séducteur, mais c’est un voleur et un meurtrier.» Yost a d’ailleurs beaaaucoup étiré la sauce dans la saison 6 pour faire ressortir le côté psychopathe de Boyd après qu’il soit devenu le favori du public.
Pour d’autres comme moi, la réponse n’est pas si simple. Est-ce que j’aime mieux le gars qui apprend de ses erreurs et qui devient graduellement une meilleure personne au fil des saisons ou le flic qui joue à Dieu avec son gun? Le fan de Dirty Harry en moi n’a pas encore trouvé une réponse 100% satisfaisante, mais j’ai tendance à pencher vers Boyd, qui semblait être à une ou deux décisions de devenir quelqu’un d’extraordinaire. Dans son évolution, j’ai vu quelqu’un d’imparfait qui a décidé de s’assumer et de prendre ses responsabilités face à la vie qu’il s’est construit. J’y ai vu un peu de moi-même.
Dom, si vous lisez cet article, sachez que je juge encore les gens de temps à autre. C’est dans la nature humaine et je pense que tout le monde en est coupable. Mais j’ai jamais arrêté de remettre en doute la validité de mes propres jugements.
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