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On le sait, les plateformes de streaming ont déséquilibré l’offre et la demande dans le milieu du divertissement.
Les différents services offrent tellement de nouveau contenu chaque semaine qu’on finit plus souvent qu’autrement par regarder leurs suggestions étranges juste parce qu’elles sont faciles à choisir dans une mer de possibilités. On va cliquer sur l’option du haut avec la bande-annonce qui défile en continu, parce que ça ne nous tente pas de chercher quoi regarder.
Bien sûr, on se prive de belles découvertes en choisissant la facilité. On se prive aussi d’un plaisir qui se perd : réécouter de la maudite bonne télé.
Si vous n’avez pas le goût de regarder The Last Days of American Crime en fin de semaine, sachez que la série de Bryan Fuller Hannibal est de retour sur Netflix après quelques années sur les tablettes et vous pourriez faire bien pire que je vous re-claquer les 3 saisons pendant le mois de juin.
Un concept déjà gagnant
Pour comprendre la beauté du Hannibal de Bryan Fuller, il faut comprendre celle de l’oeuvre de Thomas Harris et de ses multiples adaptations.
Hannibal Lecter est le psychopathe le plus célèbre de la culture populaire des 30 dernières années. Il a carrément révolutionné notre idée de ce qu’est un tueur en série à travers l’interprétation wagnérienne qu’en a fait le légendaire Anthony Hopkins dans la série de films. Il était excentrique, brutal, imprévisible et avait étrangement beaucoup de classe. Il pouvait vous inviter à l’opéra un soir et vous forcer à bouffer votre propre visage le lendemain. Ou faire les deux le même soir. Un chic type.
On savait pas à quoi ça ressemblait un vrai psychopathe dans le temps. Fait qu’on pensait que c’était quelqu’un qui trippait les meurtres et le bon vin.
On est tout d’abord tombé collectivement tombé en amour avec le charismatique personnage, puis… on s’en est graduellement écoeurés. Victime de sa popularité, Hannibal Lecter incarnait le stéréotype de tueur en série par excellence dans la culture populaire: le gars intelligent, éduqué, qui mutile et tue les gens pour des raisons obscures. En d’autres mots : le gars qu’on croyait que Ted Bundy était à l’époque de la série de films (de 1986 à 2007).
Il appartenait aussi à une autre époque avant l’internet, où notre imaginaire était formé par les médias de masse. On savait pas à quoi ça ressemblait un vrai psychopathe dans le temps, c’était facile d’imaginer que ça se réduisait à quelqu’un qui trippe sur les meurtres et le bon vin. En 2020, on appelle ça un introverti.
Avec tout ce qu’on a appris sur les psychopathes grâce à la magie du web, c’était une question de temps avant qu’Hannibal Lecter ne revienne dans le discours culturel.
https://www.youtube.com/watch?v=Sx9bjEfzV_s
La réécriture comme nouveau remake
Ce qui fait le génie de la série Hannibal, c’est qu’il ne s’agit pas d’une adaptation ou d’un remake. C’est une réécriture complète.
L’extravagant et passionné Dr. Lecter d’Anthony Hopkins est remplacé par celui de l’impassible Mads Mikkelsen. Autrefois simple véhicule pour le développement de l’histoire, le protagoniste Will Graham (l’enquêteur chargé de mettre la main au collet de Lecter) est cette fois-ci imaginé comme un génie tourmenté avec le don empoisonné de pouvoir se mettre dans la peau d’un tueur pour mieux comprendre les scènes de crime. À première vue, il semble beaucoup plus instable et prompt à la perte de contrôle que le Dr. Lecter.
L’histoire est accessoire à la redécouverte de ces deux personnages iconiques.
Bien que la série suive (à peu près) les grandes lignes des romans de Thomas Harris, elle se concentre sur la relation entre Graham et le bon docteur cannibale (qui se bourre d’ailleurs la face de viande humaine dans à peu près chaque épisode). Ce dernier est obsédé par le jeune enquêteur parce qu’il possède quelque chose qu’il n’a pas, qu’il n’a jamais vu et qu’il ne comprend pas. L’histoire est accessoire à la redécouverte de ces deux personnages iconiques. C’est comme renouer avec un vieux chum pour se rendre compte que 1) il a extrêmement bien vieilli et 2) il est devenu beaucoup plus intéressant qu’à l’époque.
C’est rare que le monde change pour le mieux en vieillissant, la plupart des gens vont juste trouver de nouvelles paroles à la chanson de leur vie. Hannibal Lecter a profité de son passé, des idées préconçues qu’on se faisait de son personnage et des nouvelles connaissances au sujet des psychopathes pour se refaire une beauté.
Reverra-t-on Hannibal?
Si c’était SI bon que ça, pourquoi la série a été annulée après trois saisons?
Excellente question.
Voyez-vous, ça passait à NBC entre 2013 et 2015. À cette époque, le réseau ne voulait rien savoir des plateformes de streaming et croyait dur comme fer que l’audience allait se pointer chaque semaine pour regarder les épisodes. Grossière erreur. Les gens ont décidé de pirater les épisodes au lieu de payer un abonnement à NBC pour juste une émission.
Maintenant qu’elle est redevenue disponible, c’est à vous de prouver aux Netflix et Amazon Prime Video de ce monde que la série a un futur. Ce ne sera pas une tâche très déplaisante, mettons.
Black Lives Matter chez Netflix
On ne peut pas terminer cet article sans vous glisser un mot sur la nouvelle catégorie Black Lives Matter de Netflix, une curation de 51 films et séries qui traitent de près ou de loin de l’expérience des Noirs en Amérique. Si vous n’arrivez pas à la trouver, c’est ici.
Au Canada, au moment de mettre ce texte en ligne, la sélection comprenait des séries comme Dear White People, des fictions comme She’s Gotta Have It (de Spikee Lee) ou When They See Us et des documentaires comme les excellents 13th ou What Happened, Miss Simone? Black storytelling matters aussi.
Et pour poursuivre la réflexion, on vous a aussi proposé une petite liste de films canadiens à voir sur le sujet. Écoutez ça.