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À regarder ce week-end : la deuxième saison de la websérie Dominos
Alors que le Québec s’isole, on n’aura jamais autant réalisé l’importance des histoires. Elles nous permettent de sortir de nos têtes, d’apaiser nos angoisses, de partir à la rencontre de l’autre qu’on ne pourra pas voir avant un bout. Je me dis que tant qu’à se tourner vers la fiction, autant de tourner vers la nôtre. Notre culture a besoin d’amour en ce moment et ça tombe bien parce qu’au Québec, on raconte de foutues belles histoires de foutues belles manières.
J’ai donc eu envie de vous parler de la websérie Dominos, dont la deuxième saison sera diffusée sur Unis TV le 24 mars prochain. Mettant en vedette une impressionnante distribution (Émile Schneider, Gregory Beaudin, Charlotte Aubin, Pascale Drevillon et plus encore), la première saison de Dominos a récolté les honneurs à travers le monde et s’est même vue couronnée meilleure série digitale aux Cannes séries 2018. La deuxième saison quant à elle, est aussi excellente, sinon meilleure. On retrouve les mêmes personnages attachants six mois plus tard, alors que Fred (Emile Schneider) revient d’un long séjour de fuite sous les palmiers de la Floride.
À l’occasion de cette sortie, j’ai jasé avec la scénariste-réalisatrice Zoé Pelchat-Ouellet du pouvoir de la fiction, de représentation dans la création, de la réalisation au féminin et de l’importance de la musique pour faire du beau et du profond.
La première saison a voyagé à travers le monde et a même remporté le Cannes séries, à quoi peut-on s’attendre pour la suite?
Notre objectif était que ce soit aussi bon sinon meilleur que la première saison. Je ne sais pas si on a réussi (rire), mais c’était notre but. D’un côté plus technique, il fallait présenter nos personnages sous un nouvel angle. On devait les redécouvrir tout en gardant la signature scénaristique et esthétique. Si la première saison était sombre, la deuxième est un peu plus légère à sa manière. La première saison commence quand la mère de deux personnages meurt, la deuxième commence quand un personnage revient de six mois en Floride. Ça part moins dark.
La première chose qui m’a frappée en regardant la série, c’est la grande qualité des dialogues et le jeu des acteurs. Ils arrivent à livrer le plus naturellement du monde le genre de phrases qui sont belles à l’écrit, mais étrange à voix haute. Qu’est-ce qui permet d’arriver à ce niveau d’osmose entre les textes et le jeu?
Les acteurs sont appelés à s’approprier le texte. Je leur demande leur avis et cette collaboration-là aide à ce qu’on sente moins l’écriture. On adapte beaucoup quand on tourne. Au tournage, ce n’est souvent pas comme quand tu le lis à voix haute chez vous. J’aime quand les acteurs me disent « ça, j’aimerais le dire différemment ». Ce dialogue est très important pour atteindre cet effet-là!
C’est en regardant la forme particulière des épisodes (chaque épisode suit un personnage différent) que l’on comprend le lien entre le titre et le concept de scénarisation. Tous les personnages sont interconnectés et les actions des uns ont des impacts sur les autres même s’ils ne se connaissent pas vraiment. Le titre, c’est donc un peu le thème de la série?
Dans la première saison, un personnage le fait remarquer : « on est comme des dominos qui tombent les uns sur les autres, faut juste apprendre à bien tomber ». On observe vraiment les conséquences des actions de certaines personnes sur les autres. C’est ma réflexion à propos de ça. Nos actions ont toujours des conséquences sur les autres, qu’ils soient près de nous ou pas.
Impossible de ne pas remarquer une soundtrack ultra variée qui va du rap québ à Jean Leloup. Quelle est l’importance de lier la musique à l’image pour toi? Qu’est-ce que la musique apporte à tes histoires?
Quand j’écrivais la saison un, c’est la chanson Solo de Frank Ocean qui m’a inspiré pour toute l’énergie de la série. La musique m’inspire vraiment, les chansons me viennent naturellement en tête. Parfois, une chanson transmet plus précisément la vibe ou l’émotion d’une scène que si j’essayais de l’écrire. Dans la première saison, il y avait beaucoup de rap, dans la deuxième la musique est beaucoup plus variée et ça reflète le fait qu’on montre des émotions différentes. J’ai aussi fait attention pour qu’on entende seulement des chansons québécoises.
Tu n’as pas seulement réalisé Dominos, tu signes aussi le scénario. Ce double rôle te donne quels avantages sur le terrain?
C’est une grosse préparation qui est déjà faite puisque le scénario fait partie de moi. Quand j’arrive sur le plateau, je connais mes personnages, leur backstory. Ça simplifie la direction d’acteurs et je peux modifier comme je veux. Ça fait que la vision que j’ai est encore plus précise. Je propose quelque chose de très personnel et me donne beaucoup de contrôle sur l’oeuvre. C’est certain que j’aimerais réaliser des choses écrites par d’autres, mais je sais que je n’aurai pas la même liberté sur le plateau.
Aux oscars cette année, beaucoup de gens ont pointé du doigt l’absence de réalisatrice en nomination dans la catégorie meilleure réalisation, pour toi est-ce que le métier a un sexe? Est-ce que les hommes et les femmes réalisent différemment?
En ce moment il y a une prise de conscience par rapport à ces inégalités-là et on travaille fort pour qu’il y ait une parité. C’est une bonne chose, parce que pour devenir un.e bon.ne réalisateur.ice t’as besoin d’avoir de l’expérience. C’est crucial en fait l’expérience parce que la réalisation demande des essais-erreurs. Pour ça, t’as besoin d’avoir des opportunités. C’est le fun de voir que le monde a envie que le travail des femmes soit mis de l’avant. Si tu veux voir de grandes réalisatrices naître, elles doivent être prises en considération, elles doivent pouvoir prendre de l’expérience. Mais en même temps, tu ne veux pas de subvention juste parce que t’es une fille…!
Alors que le Québec est en confinement, tu rappelais via un statut Facebook l’importance de la fiction. Quelle importance elle a pour toi la fiction?
La fiction c’est ma plus grande passion depuis que je suis enfant. J’ai toujours fait des histoires avec mon père. Quand on passait nos étés au chalet, il nous racontait des sagas quotidiennes. Chaque jour, il inventait des bouts à l’histoire. Ça devenait une série et nous on dessinait les personnages. Ça transporte les histoires et ça ne s’épuise pas. Les gens vont toujours aimer la fiction.
La date de la sortie était prévue depuis un bout, mais on pensait ne pas la sortir tout de suite à cause de tout ce qui se passe. On a aussi dû annuler le lancement. Mais je me suis dit pourquoi pas? On regarde de la fiction chaque jour.
Qu’est-ce que tu veux dire par « les représenter »?
Il y a un aspect éthique je crois, par rapport à la manière dont tu montres les femmes, les cultures, etc. On ne peut pas toujours avoir 10 sur 10. Je suis une femme blanche, je viens avec mon privilège, mais je considère que c’est ma job de poser les questions. J’écris des histoires fictives, je n’ai pas nécessairement envie de parler de moi, ce qui fait que la question de la représentation ne me quitte jamais. Ça demande une vraie réflexion, une sensibilité, une recherche. Et malgré tout, je peux me tromper quand même.
Par exemple, il y a un personnage trans dans la série. Au départ, Pascale Drevillon a refusé le rôle. J’ai eu le réflexe de me demander si c’était parce qu’elle trouvait qu’il y avait un problème avec le scénario. J’ai donc demandé à son agente si je pouvais m’entretenir avec elle. Pascale a accepté et on a jasé. Elle m’a dit que le personnage était unidimensionnel. J’étais désolée de ça, je ne m’en étais même pas rendu compte. On a donc retravaillé le personnage, on l’a rendu plus nuancé. Le fait qu’elle est est trans n’est presque pas abordé. Ce n’est pas un trait de personnalité, ça fait à peine partie de l’histoire. Après les modifications, Pascale a accepté d’interpréter le personnage.
La websérie est un format relativement court, est-ce qu’on peut s’attendre à voir Zoé Pelchat-Ouellet signer un long-métrage ou une série télé?
Je suis en train d’écrire un long-métrage, j’aimerais le finir d’ici 2020. Là je me sens prête pour réaliser des formats plus longs. J’aimerais aussi réaliser la série de quelqu’un d’autre. Je veux m’immerger dans le projet, tourner longtemps, développer une vision plus ambitieuse. Les formats longs ont des budgets plus charnus et ça permet d’explorer plein de choses. Quand tu fais de la fiction, tu fais de la fiction. Je vais aussi continuer à faire de tout même si je fais des longs-métrages. Ce n’est pas l’un ou l’autre pour moi.
Chose certaine, avec sa vision unique, son sens de l’esthétisme et sa plume poétique, Zoé Pelchat-Ouellet n’a pas fini de créer du beau, du juste et des histoires qui résonnent. Sa passion et ses nombreux talents font d’elle une artiste complète à surveiller de près dans les années à venir.
En attendant le 24 mars, si ce n’est pas déjà fait, allez visionner la saison un de Dominos sur Unis TV. C’est un coup de coeur assuré.
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