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Comme en témoigne ce titre, je suis d’ordinaire assez cynique. Mais surtout, j’avais été mal informée.
Je me suis toujours demandé à quoi bon marcher. À quoi bon manifester? Quel politicien se sentira visé par une manifestation? Qui, après avoir vu des centaines de milliers de personnes dans la rue, se dira : «c’est ben vrai, ça pas d’allure les gaz de schiste, le plan Nord, le peuple doit bien avoir raison»?
Les pires manifestations sont celles pour tout et pour rien. Les Français sont champions là-dedans. À peu près chaque mois, ils se réunissent à la Place de la République pour manifester contre «l’injustice sociale». Y a-t-il vraiment quelqu’un dans la vie qui est «pour l’injustice»?
Chaque politicien a sa propre petite rhétorique pour se convaincre (et convaincre les plus crédules, avec une arrogance suffisante) que ce qu’il fait est pour le bien commun. Ça, c’est la partie pas cynique de moi qui parle. J’ose espérer qu’aucun d’eux ne se félicite secrètement de rendre les pauvres plus pauvres.
Pire encore que les manifestations pour tout et pour rien : les pétitions pour les mauvaises choses. Une pétition qui reproche le scandale des commandites à Jean Charest, c’est mêlé en titi. Jean Charest peut bien rire dans sa barbe même s’il n’en a pas.
Toutes les circonstances étaient donc réunies cette fin de semaine pour que je trouve la manifestation du 22 avril vaine. Une manifestation pour un paquet d’affaires, rassemblant des gens en colère sans trop savoir contre quoi. Je me suis quand même retrouvée dans l’index de la grosse main.
Ça, c’est en grande partie grâce à mon comptable. S’il y en a un qui est bien informé, c’est bien lui, même s’il porte une dent de chacal dans le cou et que son bureau est orné de capteurs de rêves. Alors que je lui rendais visite pour signer mes déclarations d’impôts, il m’a dit «là tu vas faire un beau chèque au ministre du revenu du Québec, notre ami Bachand, pis là, un à notre ami Flaherty».
Je sais c’est quoi, une social-démocratie et j’ai toujours été très fière de payer mes impôts pour que les parents aient des garderies à 7$, que tout le monde puisse fréquenter l’université, que l’ONF finance des beaux films et pour que ma grand-mère ait droit à des belles robes à velcro au CHSLD. Chez mon comptable, c’est devenu ben ben concret que c’était pas pour ça que je signais mes chèques.
«Si j’étais pas dans le rush des impôts, tu peux être sûre que je serais pas ici, je manifesterais avec les étudiants au Palais des congrès», m’a-t-il dit. Mon comptable. C’était vendredi. Montréal était «à feu et à sang». Charest riait des étudiants devant une assemblée de cochons à la patte bien graissée ou en voie de le devenir. Personne ne trouvait ça drôle sauf eux.
J’ai compris que la manifestation, c’était pas pour convaincre Charest ou Harper de quoi que ce soit. C’était pour parler à ceux qui n’avaient pas encore réalisé l’importance d’avoir un peu plus de documentaires de l’ONF et un peu moins d’avions de guerre, un peu plus d’éducation et un peu moins de pétrole, un peu plus de solidarité et un peu moins d’individualisme. C’était pour tirer un peu plus la couverte à gauche. C’était pour dire que nous, les artistes, les familles, les comptables hippies et le gars avec la longue barbe et le monodread, on pense que ça serait mieux sans le plan Nord et sans la hausse des frais de scolarité.
Je me dis toujours que moi, au lieu de marcher, j’écris. Et si j’ai rien écrit concernant les étudiants depuis le début de la grève, c’est parce que j’haïs ça écrire pour rien. J’aurais eu l’impression de prêcher à des convaincus. Sur mon Facebook, y a à peu près juste un tata qui trouve que les jeunes sont des bébés gâtés, et je doute qu’il me lise. Ça, c’est dans mon cercle restreint de bobos de la gauche plateau. La marche, c’était pour ceux qui ne sont pas amis avec Jean Barbe, qui n’achètent pas déjà des légumes bio et qui votent pour leur sécurité financière.
Hier, en fin de journée, aux nouvelles, ça disait que les étudiants avaient «plein d’arguments» à faire valoir à la ministre. Je ne sais pas, à l’heure qu’il est, quel argument nouveau et jamais entendu pourrait faire changer les plans de Line Beauchamp, mais j’espère que la grosse main gauche d’en fin de semaine en aura convaincu plusieurs de ne plus réélire les mêmes.
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