Logo

À qui le ptit coeur après huit heures?

L'amour et le dating vus par trois couples « pandémiques ».

Par
Laïma A. Gérald
Publicité

La pandémie amène son lot de défis et l’amour n’y fait pas exception. Comment rencontre-t-on des partenaires par les temps qui courent? Comment les humains conjuguent-ils confinement et sexualité? Quelles sont les nouvelles règles du jeu de l’amour?

Ce sont les questions que se pose le photographe Hamza Abouelouafaa depuis près d’un an. « J’ai eu envie de savoir comment les gens vivaient le rapport à leur corps, à leur intimité en cette période où la distanciation est de mise » explique Hamza au bout du fil. Depuis le printemps dernier, je mène un projet artistique en plusieurs éditions, où je photographie des gens chez eux, à distance, via des supports virtuels comme des téléphones ou des tablettes. »

«Le rapport au temps, à l’espace, à l’exclusivité, au désir et à la sexualité sont des enjeux très influencés par les restrictions actuelles.»

Publicité

Pour souligner le premier anniversaire de son projet et faire un clin d’oeil à la Saint-Valentin, Hamza Abouelouafaa lance ces jours-ci une édition “couple”. « J’ai photographié 9 couples qui se sont rencontrés pendant la pandémie. Ayant moi-même commencé une nouvelle relation amoureuse il y a quelques mois, je trouve ça vraiment intéressant de documenter les défis propres au contexte actuel, confie le photographe. Le rapport au temps, à l’espace, à l’exclusivité, au désir et à la sexualité sont des enjeux très influencés par les restrictions actuelles. »

Hamza a choisi de photographier les 9 duos volontaires à travers deux téléphones distincts afin de montrer le rôle des technologies dans la naissance de la majorité des nouvelles relations pandémiques. « Pour la plupart des gens, les applications et les réseaux sociaux sont centraux dans les rencontres amoureuses, affirme Hamza, qui a choisi de placer les téléphones au cœur d’une maquette colorée représentant une ville.

« J’ai eu envie de créer un projet qui porte beaucoup de douceur, de beauté, de sensualité et d’érotisme. C’est une manière de contrer la morosité ambiante et la lourdeur qu’on ressent ces derniers temps, en regardant les nouvelles. Je pense qu’on a besoin de lumière en ce moment, admet Hamza. Pour moi, l’amour vécu par ces couples représentent une formidable pulsion de vie, en réponse à la crise très sombre que l’on traverse. »

Nous avons rencontré quelques-uns de ces amoureux.

Publicité
View this post on Instagram

A post shared by HAMZA (@hamza.abouelouafaa)

ASV: Miryam, 30 ans + Drake, 31 ans. New York City

Comment vous êtes-vous rencontrés?

Publicité

Miryam: Au début de la pandémie, j’avais perdu mon emploi et je m’ennuyais vraiment. J’ai décidé de me créer un profil sur Hinge, pour voir ce qui s’y passait pendant le confinement. La première journée, j’ai swipé personne. Mais le deuxième jour, je suis tombée sur le profil d’un gars et en le voyant, je me suis dit: « I feel like I know this person. » Pourtant, je ne le connaissais absolument pas, c’était une intuition vraiment puissante, voire spirituelle. J’ai décidé de le DM. De son côté, Drake était un peu désillusionné de la dating life à NYC et mon message est le seul auquel il a répondu. On s’est mis à s’écrire beaucoup et je sentais quelque chose de fort.

Quelle a été votre première date?

«On a fini par se prendre la main, mais en restant à 2 mètres.»

Au bout de quelques jours, Drake m’a proposé qu’on s’appelle. On a passé deux heures au téléphone. La conversation était vraiment organique et naturelle. À un moment donné, il m’a demandé: « Est-ce que tu serais à l’aise de sortir prendre une marche et de continuer la conversation? ». J’ai hésité à cause de la COVID, mais j’ai finalement accepté.

Publicité

Il est venu directement du Bronx me rejoindre dans Harlem, où j’habite. C’était comme si je retrouvais un vieil ami, c’était fou. Je l’ai reconnu tout de suite, même si on était masqués.

C’était le 5 avril et ce jour-là, Drake portait une veste de laine trop chaude et ça l’encombrait donc je lui ai proposé de la déposer chez moi. On est monté dans mon appart et on s’est assis sur mon couch, à deux mètres de distance. On a fini par passer 8h sur le sofa, on a commandé des sushis, on a parlé de tout, on s’est confié des secrets sur nos vies, nos expériences. C’était tellement fluide. On a fini par se prendre la main, mais en restant à 2 mètres.

À la fin de la soirée, Drake m’a demandé: « Can I see you again? ». Ça me paraissait vraiment évident que oui. Tellement, qu’il est revenu chez moi le lendemain à 10h du matin, avec son ordi pour travailler, et on ne s’est pas quitté depuis.

Quels sont les plus grands enjeux lorsqu’on commence une relation en pleine pandémie?

«En ce moment, je peux pas te montrer les choses que je fais, mais je peux te montrer qui je suis.»

Publicité

Selon moi, pour comprendre une personne entièrement, il faut la voir dans son état social. En ce moment, on est complètement privé de cette sphère-là et c’est pas évident. On n’a pas rencontré les amis de l’autre en groupe, on s’est pas vraiment vus interagir avec des gens.

Par contre, le fait d’être “incubés” ensemble (pour faire un jeu de mots avec le virus), ça a été bénéfique dans la création de notre intimité et l’enrichissement de la sphère personnelle de notre relation. C’est plus le côté interpersonnel qui en prend un coup.

Plus largement, comme j’ai perdu mon emploi de bartender, j’ai moins de distraction et de responsabilités en ce moment. Sans ça, je n’aurais jamais eu le temps et la disponibilité pour passer 8h sur mon couch à parler à quelqu’un que je connaissais à peine. Ça nous permet vraiment de nous plonger l’un dans l’autre.

Tout ça crée un espace pour se présenter de manière plus personnelle, sans tenir compte de l’environnement extérieur, c’est comme une couche de moins. En ce moment, je peux pas te montrer les choses que je fais, mais je peux te montrer qui je suis.

Publicité

Qu’est-ce que vous avez le plus hâte de faire après la pandémie?

Pendant le premier confinement, on avait tellement hâte d’aller au musée. On est de grands fans d’art et ça a été incroyable quand on a enfin pu y aller. Là, on a vraiment hâte de pouvoir voyager. En fait, on a hâte de créer des souvenirs ensemble!

ASV: Laura, 20 ans + Cécile, 20 ans. Strasbourg

Comment vous êtes-vous rencontrées?

«On annulait toujours à cause d’un petit mal de gorge ou une petite fatigue.»

Publicité

Cécile: Au début de la pandémie, on était toutes les deux étudiantes à Montréal. Une journée avant le premier confinement, on a eu un match sur Tinder. Laura avait une seule photo et pas de bio. D’habitude, je ne like jamais les profils sans bio, mais là, je sais pas pourquoi, j’ai swipé à droite. On a commencé à s’écrire et on s’est rapidement rendu compte qu’on avait grandi à quelques kilomètres l’une de l’autre, en France. En se “stalkant” mutuellement sur Facebook, on a aussi réalisé qu’on avait une amie du lycée en commun. De drôles de coïncidences, qui ont vraiment attiré notre attention l’une sur l’autre!

Quelle a été votre première date?

Laura: C’est seulement un mois et demi après le match qu’on s’est rencontrées en vrai. On était un peu hésitantes à cause de la COVID. On a commencé par se parler au téléphone 2 ou 3 fois, puis on a planifié plusieurs fois des rencontres, qu’on annulait toujours à cause d’un petit mal de gorge ou une petite fatigue.

Publicité

Finalement, fin avril, on a décidé de se lancer. J’ai marché de Verdun jusqu’à Côte-des-Neiges pour aller voir Cécile! Et finalement, on a passé le week-end entier ensemble!

Quels sont les plus grands enjeux lorsqu’on commence une relation en pleine pandémie?

«Ces photos représentent vraiment nos retrouvailles!»

Cécile: De notre côté, c’est pas seulement la pandémie qui a été un enjeu puisque Laura est rentrée en France en août et que je ne l’ai rejointe que fin janvier. On a donc été séparées pendant quelques mois. En fait, on a fait les photos avec Hamza 1h après mon arrivée à Strasbourg. On était tellement contentes de se retrouver et ce projet représente vraiment nos retrouvailles!

En rentrant en France, j’ai emménagé chez Laura, donc on vit maintenant ensemble.

Quand on était à Montréal, c’était un défi de se voir en prenant en considération les mesures sanitaires. J’avais un coloc asthmatique, donc on devait faire encore plus attention pour ne pas le mettre à risque.

«Quand tu écris à quelqu’un pendant 1 mois et demi avant de la voir, tu as des attentes, tu veux que ça marche.»

Publicité

Laura: Ce que je trouve particulier, c’est qu’en ce moment, c’est tout ou rien. Soit on est éloignées, soit on est très proches. C’est comme si la pandémie ne permettait pas de demi-mesures. Tu ne peux pas juste aller boire un verre une heure. Ça peut mettre un peu de pression sur les nouvelles relations. Quand tu écris à quelqu’un pendant 1 mois et demi avant de la voir, tu as des attentes, tu veux que ça marche. Et quand tu te vois, tu ne peux pas partir au bout d’une heure, c’est plus «impliquant» de voir les gens. Mais d’un autre côté, se voir autant nous donne le temps de nous connaître plus profondément qu’en temps normal. Il y a quelque chose de très beau là-dedans.

Qu’est-ce que vous avez le plus hâte de faire après la pandémie?

On a hâte d’avoir une VRAIE première date. Juste d’aller prendre un café en terrasse ou aller au cinéma!

ASV: Luca, 24 ans et Charles, 22 ans, Montréal.

Comment vous êtes-vous rencontrés?

« Ça a pris un bon 4 mois avant que ça devienne officiel.»

Publicité

Charles: Au printemps dernier, on a tous les deux été acceptés à la même école de théâtre. Notre cohorte a organisé un Zoom pour qu’on puisse tous se rencontrer et rencontrer les profs. J’ai tout de suite remarqué Luca. J’ai su plus tard qu’elle avait eu le même feeling. Quelques semaines plus tard, notre classe a décidé d’organiser un pique-nique dans un parc. J’ai encore une fois vraiment remarqué Luca.

Quelle a été votre première date?

Luca: On s’est mutuellement tombés dans l’œil. Deux jours après la rencontre au parc avec toute la classe, on est allés pique-niquer juste nous deux. C’est à partir de ce moment-là qu’on a commencé à se fréquenter, mais ça a pris un bon 4 mois avant que ça devienne officiel.

Quels sont les plus grands enjeux lorsqu’on commence une relation en pleine pandémie?

«Si on se voit pas avant 20h, on se manque pour toute la nuit.»

Publicité

Luca: En temps normal, quand tu commences à dater quelqu’un, tu varies les activités. Tu vas au resto, tu vas voir un show, tu vas dans un party avec des amis. Là, c’est pas possible, donc il fallait être vraiment créatif pour trouver des choses à faire. C’est un défi, mais en même temps, ça permet d’essayer de nouvelles choses.

Charles: D’un côté plus personnel, en ce moment, il y a tellement d’incertitudes dans la vie que c’est facile de transposer ça à un début de relation. Tu y penses à deux fois avant de t’embarquer parce que si tu es blessé, tu ne pourras pas voir tes amis pour t’en remettre. Je pense que ça explique pourquoi on a autant pris notre temps.

Luca: En fait, oui, on a eu beaucoup plus d’opportunités de se voir souvent, mais la pandémie m’a aussi permis de prendre tout le temps dont j’avais besoin pour savoir ce que je voulais, m’ouvrir à une nouvelle relation amoureuse et respecter mon rythme. C’est très positif.

Charles: Le confinement m’a permis d’apprendre à connaître Luca plus rapidement dans son intimité, et ça nous a permis d’être très authentiques l’un envers l’autre. D’un côté plus logistique, le couvre-feu nous oblige à être beaucoup plus organisés dans nos horaires. Quand je travaille jusqu’à 19h, si je veux dormir chez Luca, j’ai pas le temps de repasser chez moi avant le couvre-feu, donc il faut absolument que je prépare mes affaires en partant le matin…

Publicité

Luca: En temps normal, ça pourrait nous arriver de vouloir faire chacun nos trucs de notre bord (genre nos devoirs, s’entrainer ou juste chiller) puis se retrouver en fin de soirée mais là, si on se voit pas avant 20h, on se manque pour toute la nuit. Donc si on se voit, c’est pour la soirée au complet. Au travers de tout ça, il y a le défi de respecter le “Me time” de l’un et de l’autre tout en préservant notre spontanéité. Je pense qu’à date, on est pas pire!

Qu’est-ce que vous avez le plus hâte de faire après la pandémie?

Luca: On a hâte de sortir faire la fête avec nos gang d’amis et avec les gens de notre cohorte. Aussi, on est tous les deux passionnés de théâtre et de musique et on n’a encore jamais vu de show ensemble. On a vraiment hâte de viber ensemble! Ah et aussi, juste se faire une soirée romantique au resto, tout simplement.

«On est tous les deux passionnés de théâtre et de musique et on n’a encore jamais vu de show ensemble.»

Publicité

En ce moment, c’est comme si on “prenait de l’avance” du côté personnel et intime, en se voyant vraiment beaucoup. C’est une belle chance de pouvoir approfondir notre lien et se rapprocher comme ça. Quand la vie normale va reprendre, on verra davantage nos amis, on fera plus d’activités chacun de notre côté, mais on va continuer de chérir les moments qu’on passe ensemble.

+++

Pour en savoir plus sur le processus créateur de Hamza Abouelouafaa et approfondir différents enjeux en lien avec sa démarche, rendez-vous sur le site web du Club Sexu.

Crédit photo: Hamza Abouelouafaa
Crédit maquette : Camille Barrantes
Retouches photo : Camille Dubuc